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Toujours plus d’études sur le salaire minimum!

25 février 2021

Toujours plus d’études sur le salaire minimum!Dans le dernier billet que j’ai consacré à des études sur le salaire minimum il y a moins d’un mois, je mentionnais que j’étais étonné que l’annonce du nouveau président des États-Unis disant que son gouvernement allait hausser le salaire minimum de 7,25 $ à 15,00 $ n’ait pas suscité plus de réactions. Je ne perdais rien pour attendre! Je vais résumer ici le plus brièvement possible un bon nombre des études qui ont été publiées sur le sujet au cours du dernier mois.

Salaires, salaires minimums et leurs effets sur les prix – le cas des restaurants McDonald’s

L’étude intitulée Wages, Minimum Wages, and Price Pass-Through – The Case of McDonald’s Restaurants de Orley Ashenfelter and Štěpán Jurajda a été publiée en janvier 2021 par la Princeton University.

À l’aide de données sur les prix et les salaires de 2016 à 2020 fournis par les restaurants McDonald’s, d’une liste complète de ses 14 000 établissements et d’une enquête téléphonique annuelle auprès de ces établissements (avec un taux de réponse variant entre 80 % en 2016 et 71 % en 2020, pour un total de plus de 52 000 observations), les auteurs observent que, en se basant sur les 300 hausses du salaire minimum des États, des comtés et des villes au cours de cette période :

  • les prix dépendent très peu des types de restaurants (franchises, propriété de l’entreprise, à l’intérieur d’un autre commerce, etc.) et de la présence d’écrans tactiles pour les commandes, mais les salaires versés par les franchisés sont un peu moins élevés;
  • contrairement à la théorie néoclassique, les hausses du salaire minimum n’encouragent pas l’implantation de technologies qui font diminuer les besoins en main-d’œuvre (les écrans tactiles, dans ce cas);
  • les coûts supplémentaires dus aux hausses du salaire minimum (et de toute autre hausse des salaires) sont entièrement transférés aux prix des produits vendus;
  • les hausses du salaire minimum n’ont aucun effet sur les ouvertures et fermetures de restaurants, même quelques années après ces hausses;
  • les employé.es qui touchent un salaire plus élevé que le salaire minimum conservent leur écart salarial après une hausse du salaire minimum;
  • les hausses du salaire minimum n’entraînent probablement pas de baisse du nombre d’emplois, compte tenu de l’absence d’impact sur l’implantation des écrans tactiles et sur le niveau d’ouvertures et de fermetures des restaurants (les auteurs ne peuvent toutefois pas l’affirmer avec certitude, leurs données ne leur permettant pas).

L’effet insaisissable du salaire minimum sur l’emploi

L’étude intitulée The Elusive Employment Effect of the Minimum Wage d’Alan Manning, comme les trois prochaines, a été publiée dans l’édition de l’hiver 2021 du Journal of Economic Perspectives, dans le cadre d’un symposium sur le salaire minimum.

Après avoir été décrié dans les années 1980 et 1990 un peu partout en Occident, le salaire minimum a regagné les faveurs de nombreux économistes et politicien.nes plus récemment. Le nombre d’États qui ont adopté un salaire minimum supérieur à celui du gouvernement des États-Unis est par exemple passé de 10 en 1988 à 29 actuellement, sans compter les nombreux comtés et villes qui en on fait autant. Ce revirement s’observe aussi dans des pays européens (Allemagne, Royaume-Uni et autres) et ailleurs. Les organismes internationaux comme le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et même la Banque mondiale le voient aussi d’un meilleur œil de nos jours.

Après avoir fait une revue des études sur le sujet dans de nombreux pays (j’ai trouvé cette revue très intéressante), l’auteur se demande pourquoi ces études arrivent à la conclusion que le salaire minimum a si peu d’effets négatifs. Voici ses principaux constats :

  • les employeurs ne semblent pas réduire d’autres avantages à leurs employé.es (pauses, avantages sociaux, formation, etc.);
  • le roulement de personnel diminue, donc les frais d’embauche, d’encadrement et de la formation de départ, et la productivité augmente (voir notamment ce billet);
  • les dépenses pour les employé.es au salaire minimum ne représentent qu’une faible proportion des dépenses des entreprises (voir ce billet);
  • le besoin (ou la demande) en personnel est peu élastique dans ces milieux de travail;
  • les entreprises où on trouve le plus d’employé.es au salaire minimum exercent des activités de proximité et leurs concurrents doivent aussi faire face à la même hausse du salaire minimum (on n’ira pas en Chine prendre son café si son prix augmente légèrement, ni même en banlieue), ce qui facilite le transfert des coûts supplémentaires aux clients (voir ce billet);
  • la hausse du salaire minimum fait augmenter les dépenses des employé.es qui en bénéficient, créant de l’emploi dans l’économie;
  • le marché du travail est probablement celui qui correspond le moins à l’hypothèse de la concurrence parfaite des modèles des économistes orthodoxes;
  • la présence de monopoles d’embauche réduit les salaires réels artificiellement, et la hausse du salaire minimum compense cette réduction, au moins en partie;
  • une hausse du salaire minimum augmente aussi l’offre de main-d’œuvre (des personnes qui ne seraient pas intéressées à travailler au salaire minimum le deviennent).

En conclusion, l’auteur ajoute qu’il aimerait que des études cherchent à établir jusqu’à quel niveau on peut hausser le salaire minimum avant qu’il ne commence à nuire à l’emploi de façon importante. Ce type d’études existe (voir ce billet), mais il serait de fait bon que les études à venir se penchent davantage sur cette question.

Quels sont les effets des salaires minimums locaux ?

L’étude intitulée City Limits – What Do Local-Area Minimum Wages Do? a été rédigée par Arindrajit Dube et Attila Lindner.

42 villes des États-Unis ont un salaire minimum, d’au moins 15 $ de l’heure dans 22 cas, ce qui est un peu normal, car elles adoptent des salaires minimums pour qu’ils soient plus élevés que ceux du gouvernement fédéral et des États. Ces villes couvrent ainsi près de 8 % de la main-d’œuvre des États-Unis. Washington fut la première ville qui en a adopté un, en 1993. Ce n’est que 11 ans plus tard que d’autres villes l’ont imitée (San Francisco et Santa Fe). Il a fallu attendre jusqu’en 2010 pour qu’une quatrième ville fasse de même. Cette émergence rapide depuis 2010 s’explique surtout par le niveau trop bas du salaire minimum fédéral, par le coût de la vie plus élevé dans les villes et par la mobilisation des mouvements sociaux, dont les syndicats. Les auteurs notent que 28 États interdisent à leurs villes d’en faire autant. Le salaire minimum horaire le plus élevé est à Seattle (16,39 $) et la ville qui présente le ratio du salaire minimum sur le salaire médian le plus élevé est Los Angeles (75 %), mais ce ratio moyen pour les 42 villes est d’environ 40 %.

Les constats sont semblables à ceux des études précédentes : hausses des prix limités, moins de roulement, pas d’effets négatifs sur l’emploi ni de déplacements d’entreprises, même s’il est facile pour les consommateur.trices et les entreprises de passer du territoire de ces villes aux banlieues qui ont un salaire minimum moins élevé, etc. Et, comme toujours dans ce genre d’étude, les auteurs espèrent la poursuite des recherches sur le sujet, notamment sur l’effet des hausses du salaire minimum sur les déplacements d’entreprises, le niveau des loyers et le prix des maisons.

Comment les entreprises réagissent-elles aux augmentations du salaire minimum?

L’étude intitulée How Do Firms Respond to Minimum Wage Increases? Understanding the Relevance of Non-Employment Margins a été rédigée par Jeffrey Clemens.

L’auteur considère que les études sur le salaire minimum se concentrent trop souvent seulement sur ses effets sur l’emploi et les salaires, et pas assez sur d’autres aspects, comme les conditions de travail (par exemple sur les horaires et les mesures en santé et sécurité au travail) et les avantages sociaux (dont le paiement par l’employeur d’une assurance santé), les prix et les changements technologiques (pourtant, les études précédentes abordent la plupart de ces questions…).

Après avoir analysé le transfert des coûts aux consommateur.trices par des hausses de prix (sujet mieux abordé dans les études précédentes), l’auteur constate :

  • une légère baisse de la couverture d’une assurance santé (mais en se basant sur une seule source approximative);
  • une hausse de productivité qu’il attribue à des pressions des employeurs dans deux milieux de travail, alors que les études précédentes l’expliquent par la baisse du roulement de personnel;
  • une baisse des profits, mais avec seulement deux études venant d’Israël et de Grande-Bretagne;
  • quelques cas de non-respect du salaire minimum, notamment auprès de travailleur.euses sans permis;
  • quelques cas de remplacement d’employé.es peu qualifié.es par des employé.es plus qualifié.es;
  • des résultats non concluants sur l’adoption de nouvelles technologies pour remplacer le personnel.

Les enjeux soulevés dans cette étude sont pertinents, mais ne sont pas appuyés par des données fiables (l’auteur le dit lui-même), ce qui laisse de gros doutes sur la validité de ses constats. Chose certaine, il serait bon que des recherches de qualité examinent ces enjeux de façon plus rigoureuse, ce que conclut aussi l’auteur.

L’augmentation des salaires minimums américains, de 1912 à 1968

L’étude intitulée The Rise of American Minimum Wages, 1912–1968 a été rédigée par Price V. Fishback et Andrew J. Seltzer.

Dans cette revue de l’évolution du salaire minimum aux États-Unis de 1912 à 1968, les auteurs se concentrent sur cinq thèmes :

  • l’impact des lois sur le salaire minimum des États (la première fut adoptée en 1912) et leurs liens avec les lois sur les heures de travail et sur le travail des femmes et des enfants;
  • l’impact sur ces lois des décisions de la Cour suprême basées sur la liberté de contracter;
  • l’impact des lois adoptées au Congrès dans le cadre du New Deal dans les années 1930;
  • les hausses du salaire minimum plus fréquentes après la Deuxième Guerre mondiale et l’élargissement de la couverture du salaire minimum à plus de travailleur,euses (les premiers salaires minimums ne s’appliquaient qu’aux femmes et aux enfants, et les suivants ont ajouté des industries précises);
  • les débats sur l’impact du salaire minimum chez les économistes.

Dans leur conclusion, les auteurs font remarquer que le sommet du salaire minimum a été atteint en 1968 (voir le graphique de l’image qui accompagne ce billet). Il y a eu peu de débats sur le sujet avant les années 1990, mais ils sont repartis de plus belle avec la célèbre étude de 1994 de David Card et Alan Krueger qui n’a constaté aucun effet négatif sur l’emploi d’une hausse du salaire minimum au New Jersey (voir ce billet).

Les effets budgétaires de la loi de 2021 sur l’augmentation du salaire minimum

L’étude intitulée The Budgetary Effects of the Raise the Wage Act of 2021 a été publiée en février 2021 par le Congressional Budget Office (CBO). La réplique vient de Josh Bivens, David Cooper, Heidi Shierholz, et Ben Zipperer de l’Economic Policy Institute (EPI) et a été publiée le 8 février.

Ce document vise à déterminer les effets du projet du gouvernement Biden de hausser graduellement le salaire minimum de 7,25 $ à 15,00 $ d’ici 2025 :

  • les revenus salariaux augmenteraient de 333 milliards $ de 2021 à 2031, soit la différence entre les gains des personnes (27 millions en 2025) qui occuperaient un emploi au salaire minimum ou à un salaire un peu plus élevé (509 milliards $) et les baisses de revenus des personnes (1,4 million, soit une baisse de 0,9 % de l’emploi) qui perdraient leur emploi (175 milliards $);
  • le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté diminuerait de 900 000;
  • le déficit cumulatif augmenterait de 54 milliards $;
  • les prix augmenteraient (sans précision sur l’ampleur) et feraient réduire la consommation des biens et services produits par ces travailleur.euses.

Le CBO ajoute que ces prévisions sont fragiles et qu’une baisse moins forte de l’emploi pourrait entraîner des effets plus positifs dans la lutte à la pauvreté et moins négatifs sur le déficit fédéral (voire positifs), et vice-versa (ça pourrait être pire). Le document précise qu’il s’est basé «sur le comportement économique des individus et des entreprises». Les changements de comportement qu’il prévoit correspondent à la vision des économistes néoclassiques (coûts plus élevés, hausses de prix, baisse de la demande, changements technologiques, etc.), et ne tiennent pas compte des constats révélés par de nombreuses études, dont celles que j’ai présentées dans ce billet. Par exemple, il ne dit mot sur les effets d’une telle hausse sur le roulement de personnel, les coûts d’embauche et de formation, et sur la hausse de productivité. Et il a utilisé un modèle d’équilibre général dynamique pour estimer l’ampleur des effets de ces changements de comportement, genre de modèle que de nombreux économistes (dont moi) ont pourfendu ces dernières années (voir entre autres ce billet).

Les auteur.es de la réplique de l’EPI soulignent de nombreuses différences entre leur analyse de cette hausse du salaire minimum et celle du CBO, notamment du côté de l’impact budgétaire (positif plutôt que négatif), des pertes d’emploi (moins élevées, conformément à l’ensemble des études sur le sujet) et du financement de la hausse de ces salaires (surtout par les prix et un peu par les profits pour le CBO, et par les prix, la productivité et les baisses de profits pour l’EPI). Arindrajit Dube, l’économiste qui est pour moi le plus crédible à ce sujet, conteste aussi l’ampleur des pertes d’emploi prévues par le CBO dans un texte paru hier dans le Washington Post, s’attendant à une baisse maximale de 500 000 emplois, soit environ le tiers de l’estimation du CBO, prévision qu’appuie Paul Krugman. Finalement, on peut lire le témoignage que l’EPI a livré hier devant la Commission des petites entreprises de la Chambre des représentants, qui reprend essentiellement des arguments soulevés ici.

Encore plus d’études!

Il y a eu bien d’autres études publiées sur le sujet récemment. Par exemple, ce billet de Timothy Taylor résume comme je l’ai fait ici les quatre études publiées dans l’édition de l’hiver 2021 du Journal of Economic Perspectives, ce qui est normal, car il en est l’éditeur, puis mentionne la première et la dernière que j’ai présentées dans ce billet, ainsi que deux autres que je n’ai pas lues. Mais, bon trop, c’est comme pas assez!

Et alors…

Quand j’ai commencé à lire ces études, je ne pensais pas toutes les résumer, me disant qu’elles se répéteraient inévitablement. C’est le cas en partie, mais en fait, elles apportent toutes une valeur ajoutée aux autres. J’aurais bien sauté celle du CBO, mais, venant d’un organisme gouvernemental et étant au centre de débats sur la hausse du salaire minimum projetée par le gouvernement Biden, elle est incontournable. On notera toutefois, comme le souligne en conclusion la réplique de l’EPI, que, même si c’est la plus négative des études présentées ici, elle prévoit quand même des effets positifs dans la lutte contre la pauvreté et contre les inégalités, et une hausse importante des revenus de personnes à bas salaires. Imaginons ces avantages si les pertes d’emplois étaient moins nombreuses que le prévoit le CBO! Cela montre à quel point cette hausse du salaire minimum est importante et doit entrer en vigueur.

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