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Les pots cassés

26 avril 2021

pots cassésAvec son livre Les pots cassés – Une histoire de l’assurance-chômage, Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC), «propose un survol historique de la création et de l’évolution du programme d’assurance-chômage en insistant sur les luttes qu’ont dû mener les syndicats et les groupes de défense des droits des chômeurs et chômeuses».

Introduction : Qu’on les appuie ou les conspue, tout le monde semble avoir un avis sur les chômeur.euses. L’auteur, qui en côtoie depuis plus de 40 ans, les considère essentiellement comme des personnes dignes ayant perdu un emploi entre des périodes de travail. Le chômage est loin d’être un mode de vie. D’ailleurs, la grande majorité des chômeur.euses trouvent un nouvel emploi (ou retournent au même emploi) rapidement. Il décrit ensuite quelques réalités du marché du travail, dénonce l’évolution du programme d’assurance-emploi et présente les objectifs de ce livre.

Rien et la charité (avant 1940) : Avant la création du premier programme d’assurance-chômage en 1940, l’État ne fournissait que peu de ressources aux plus pauvres, laissant cette responsabilité aux familles et aux organismes religieux. L’auteur aborde dans ce chapitre les camps de travail pour les chômeurs durant la Grande Dépression, les mouvements revendiquant la création d’un programme d’assurance-chômage dès les années 1920 et la création de deux commissions, la Commission nationale de l’emploi du Canada de 1936 à -1938 (Purvis) et la Commission royale sur les relations entre le Dominion et les provinces de 1937 à 1940 (Rowell-Sirois). C’est à la suite de ces commissions que les provinces ont accepté une modification à la constitution canadienne pour donner le droit au gouvernement fédéral de créer un programme d’assurance-chômage.

Mise sur pied et expansion du programme d’assurance-chômage (1940-1975) : «La Chambre des Communes a voté, le 29 juin 1940, la première loi d’assurance-chômage». Les premières cotisations furent prélevées en juillet 1941 et les premières prestations furent versées en 1942. Elle ne s’appliquait toutefois pas à tous les salarié.es (de 42 % en 1941 à 59 % en 1954) et il n’y avait pas de prestations de maladie et de maternité. L’auteur aborde ensuite le rapport Marsh sur la sécurité sociale au Canada déposé en mars 1943, l’amélioration de la loi en 1955 et sa réforme majeure en 1971 (couverture presque complète des salarié.es, admissibilité facilitée, période de prestations allongée, hausse des prestations, création des prestations de maladie et de maternité, et bien d’autres). Cette loi a toutefois subi quelques changements à la baisse dès 1977.

Des années d’inquiétude (1980-1989) : L’auteur raconte ses débuts comme représentant des chômeur.euses en 1980 à Rouyn-Noranda, à la veille d’une dure récession. Il aborde ensuite la Grande Marche pour l’emploi de 1982 et 1983 (il avait déménagé à Montréal), les changements mineurs apportés à la loi sur l’assurance-chômage dans les années 1980 et les recommandations de la Commission Macdonald et la Commission Forget en 1985 et en 1986.

Des années dévastatrices (les années 1990) : La dévastation du titre de ce chapitre a commencé en novembre 1990 par l’adoption d’une loi par les conservateurs de Brian Mulroney qui a réduit l’admissibilité aux prestations et leur niveau, a augmenté la durée de l’exclusion lors d’un départ volontaire «sans motif valable» ou d’un congédiement pour inconduite (l’exclusion pour ces motifs est devenue totale trois ans plus tard) et a éliminé la contribution gouvernementale au financement du programme (cela m’a rappelé que j’ai rédigé un mémoire contre ce projet de loi à l’époque quand je travaillais pour une centrale syndicale). Même s’ils s’étaient opposés fortement à cette loi, les libéraux de Jean Chrétien en ont rajouté une couche à leur retour au pouvoir, dès 1994 et encore une autre (plus épaisse) en 1996 (nuisant particulièrement aux femmes et aux jeunes, mais pas seulement), changeant même le nom du programme (assurance-emploi). Ces changements ont permis au gouvernement de créer des surplus et de les accaparer (plus de 57 milliards $ entre 1994 et 2008) pour réduire ses déficits et sa dette. Malgré quelques améliorations apportées au programme par la suite, jamais les dommages à ce programme que ces réformes ont entraînés ne seront réparés.

Nos batailles, nos stratégies (les années 2000) : L’auteur raconte l’évolution des mouvements militants, expliquant notamment la «contradiction entre l’aide individuelle et l’action collective», les deux piliers de ces mouvements. Cette tension entre ces deux piliers est un des facteurs qui a mené en 2005 à une scission entre les groupes représentant les chômeur.euses. Il présente ensuite les batailles menées par le groupe créé lors de cette scission et pour lequel il travaille toujours, le Comité national des chômeurs et chômeuses (CNC).

Une occasion historique ratée (2011-2014) : Après l’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur sous Stephen Harper en 2011, l’auteur considérait qu’il était temps de rapatrier le programme d’assurance-emploi au Québec. Il raconte ses démarches et rencontres pour former un front commun de partis politiques, de syndicats et d’autres organismes dans ce but.

Une contre-réforme odieuse (2012-2013) : Une loi adoptée en 2012 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper a aboli les tribunaux administratifs (conseil arbitral et juge-arbitre) pour les remplacer par une structure plus lourde et moins efficace, le Tribunal de la sécurité sociale. Elle modifiait aussi le concept d’emploi convenable, pénalisant surtout les travailleur.euses saisonnier.ières, particulièrement nombreux.euses dans l’est du Canada (70 %). L’auteur raconte la mobilisation que cette loi a suscitée et les actions entreprises pour s’y opposer.

Hommage à Sylvie Therrien : Sylvie Therrien est cette enquêtrice à l’assurance-emploi qui a révélé au Devoir en 2013 l’existence de quotas de prestations à couper et qui a été par la suite congédiée. L’auteur avait déjà entendu d’autres fonctionnaires de l’assurance-emploi se plaindre de ces quotas, mais Mme Therrien fut la première à vraiment briser l’omerta à ce sujet. Son geste a mis dans l’embarras le gouvernement Harper, mais elle fut la seule à en subir les conséquences. Le CNC a alors organisé une campagne de soutien et a pu lui remettre plus de 45 000 $.

Parenthèse non liée au livre : En fait, ces «cibles» existent depuis au moins 30 ans. Les enquêteur.trices doivent les atteindre ou donner de bonnes raisons pour ne pas les avoir atteintes, et peuvent recevoir des sanctions pour récidive. Exemple différent de ceux de l’auteur des effets néfastes de ces cibles, j’ai déjà rencontré dans mon emploi une enquêtrice qui avait reçu l’ordre de cesser ses enquêtes sur les fraudes de numéros d’assurance sociale (NAS) émis par le ministère, parce que ces enquêtes n’amenaient pas assez d’«économies» à l’assurance-emploi, car elles étaient surtout utilisées pour frauder l’aide sociale provinciale! Par la suite (en 1998), les médias ont révélé (voir au bas de cette page) le scandale du manque de contrôle des NAS (au moins quatre millions de NAS invalides qui peuvent être utilisés pour de nombreux types de fraudes), forçant le ministère à reprendre ses enquêtes sur les NAS.

Le fonctionnaire de chômage et Hannah Arendt : L’auteur présente quelques cas particulièrement odieux d’enquêtes sur des personnes démunies qui le seraient devenues encore plus sans l’intervention du CNC. Notons que j’ai déjà aussi représenté des chômeur.euses dans cette situation et en suis venu à connaître les noms des agents les plus sévères ou injustes (euphémisme), ce qui montre que tous les fonctionnaires de l’assurance-emploi ne sont pas des salauds et que la présence de contre-pouvoirs aux décisions de ces fonctionnaires est essentielle.

Conclusion – un système à rebâtir : L’auteur lance un appel à une refonte du programme d’assurance-emploi. Ce programme est en effet miné par les nombreuses réformes adoptées au cours des dernières décennies et n’a pas su s’adapter aux changements qui ont touché le marché du travail. L’auteur conclut qu’il est primordial de poursuivre les types de combats que lui et d’autres mènent à la fois pour défendre individuellement des chômeur.euses et pour améliorer collectivement la protection de l’ensemble des personnes qui ont la malchance de se retrouver en chômage.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Toute personne intéressée par l’évolution de ce programme majeur de notre filet social devrait s’intéresser à ce livre. L’auteur décrit bien cette évolution, en entrecoupant cette description d’exemples de luttes qui ont permis qu’il ne se dégrade pas davantage. J’ai bien quelques bémols sur certaines parties du livre, mais rien de majeur. Dans l’ensemble, ce livre assez court (128 pages, selon l’éditeur) a satisfait à mes attentes. Il faut dire que je connais bien ce programme, ayant travaillé pour le ministère qui l’administre (même si je n’ai jamais travaillé pour ce programme), ayant donné de la formation sur l’assurance-chômage et ayant défendu des dizaines de cas individuels et collectifs pendant trois ans quand je travaillais pour une centrale syndicale. Autre bon point, les notes sont en bas de page, formées aussi bien de références que des compléments d’information.

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3 commentaires leave one →
  1. 26 avril 2021 5 h 42 min

    Durant 2020 et en 8 mois, le Covid a permis à la fortune des 500 personnalités les plus riches du monde d’augmenter de 809 milliards de dollars, sans qu’on conteste le montant et qu’on les traite de fainéant ou de voleurs…
    Par contre la pauvreté a augmenté, et être chômeur est toujours suspect,… Jusqu’où vont les limites du capitalisme…
    Pourtant sur un plan écologique nous devrons réduire notre impact sur la planète et sur son exploitation d’au moins 80%, soit ne travailler qu’un jour sur cinq …
    Qu’ont prévu les gouvernements pour tous ces futurs chômeurs.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/2021/03/18/le-rmu-premier-pas-ecologique/

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