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Les déterminants de l’inflation

26 août 2021

déterminants de l'inflationStatistique Canada a annoncé le 18 août que l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 3,7 % au Canada et de 4,1 % au Québec entre juillet 2020 et juillet 2021. Il n’en fallait pas plus pour que des chroniqueurs.euses et surtout des politicien.nes en fassent un enjeu de la présente campagne électorale, Erin O’Toole accusant même «le gouvernement Trudeau d’être responsable de l’augmentation des prix avec toutes ses dépenses et ses politiques économiques», alors que Jagmeet Singh l’attribuait plutôt à la crise immobilière de Justin Trudeau.

En fait, ce niveau d’inflation s’explique principalement par la hausse du prix de l’essence (hausse de 31 % au Canada et de 28 % au Québec), le prix d’achat et de location d’automobiles (5,7 % au Canada et 5,2 % au Québec), et celui du logement (4,8 % et 4,4 %) entre les deux mois de juillet, selon le tableau 18-10-0004-01 de Statistique Canada. En fait, seule la troisième de ces hausses (le logement, aussi bien locatif que de propriété) est préoccupante, les deux premières étant dues à des facteurs internationaux et la deuxième plus spécifiquement à la pénurie de semi-conducteurs, deux facteurs qui n’ont rien à voir avec les dépenses du gouvernement ou avec la politique de la Banque du Canada. Il est aussi bon de savoir que ces hausses de l’IPC (3,7 % au Canada et de 4,1 % au Québec) sont calculées sur l’IPC du mois de juillet 2020, qui connaissait une très faible hausse par rapport à juillet 2019 (0,15 % au Canada et 0,3 % au Québec). Sur deux ans, soit de juillet 2019 à juillet 2021, cette hausse fut de 3,9 % au Canada et de 4,4 % au Québec, soit près du centre de la cible annuelle de la Banque du Canada (entre 1 et 3 % par année).

Pour plus de détails sur les facteurs expliquant la hausse de l’IPC cette année, on peut aussi lire ce court document de la Banque Scotia (trois pages de texte, mais en anglais). On y conclut que le bas niveau d’inflation de l’an passé explique 71 % de la hausse de l’inflation actuelle et que la rupture des chaînes d’approvisionnement (semi-conducteurs, bois, etc.) en explique 13 %, pour un total de près de 85 % de la hausse totale.

On voit donc que le niveau d’inflation actuel a peu à voir avec les décisions du gouvernement et de la Banque centrale. Mais, est-ce toujours le cas? Juste comme je voulais parler de la phobie actuelle entourant l’inflation, j’ai lu une étude de Philipp F. M. Baumann, Enzo Rossi et Alexander Volkmann intitulée What Drives Inflation and How? (Quels sont les facteurs qui influencent l’inflation comment le font-ils?), en fait surtout son résumé. L’étude étant très technique (avec plein d’équations et de modèles), je vais ici me baser en premier lieu sur le résumé, tout en le complétant avec certains éléments de la présentation des résultats de l’étude et avec sa conclusion.

Introduction

La plupart des pays riches ont connu une période de forte inflation dans les années 1970 à 1990, période suivie par une baisse graduelle et puis prolongée du taux d’inflation. Les économistes ont proposé de nombreux facteurs pour expliquer cette baisse. Si ces facteurs ont sûrement joué un rôle, l’impact de chacun d’entre eux n’a jamais été démontré. Cette étude analyse l’impact sur l’inflation de 37 variables explicatives dans 122 pays de 1997 à 2015 à l’aide de 108 modèles différents basés sur huit théories économiques (fiou!).

Résultats

Après avoir fait le tour de la littérature sur le sujet et décrit les données et les modèles qu’ils ont utilisés, les auteurs présentent leurs résultats.

1. Le prix de l’énergie et les rentes qui y sont associées : Le facteur qui a le plus influencé l’inflation est le prix de l’énergie, notamment du pétrole, surtout quand on tient compte des rentes (profits supérieurs à ceux que procurerait un marché équilibré) qu’on en retire. Notons en plus que ce résultat a été obtenu au cours d’une période (1997 à 2015, je le rappelle) se situant bien après la crise pétrolière des années 1970.

2. Démographie, progrès technologique et mondialisation : Si le vieillissement de la population a contribué à la baisse de l’inflation de ces deux décennies, il a eu bien moins d’impact que le prix de l’énergie et des rentes qui y sont associées. D’autre part, la hausse de la part du capital des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le PIB fait augmenter l’inflation, tandis que l’ouverture commerciale et financière des pays a peu d’impact sur elle (mais beaucoup sur d’autres aspects de la vie économique!).

3. Monnaie et croissance du crédit : La théorie quantitative de la monnaie établit un lien direct entre la quantité de monnaie en circulation (avec d’autres facteurs) et l’inflation. Pourtant, cette relation est moins évidente qu’il ne paraît. La croissance de la masse monétaire a fait augmenter l’inflation avant la crise financière de 2008. mais pas après. Par contre, l’augmentation du crédit l’a fait plus augmenter.

4. Politique monétaire et configuration politique : Contrairement à la théorie monétariste de Milton Friedman, les stratégies de politique monétaire et l’indépendance et la transparence des banques centrales ont un pouvoir explicatif faible sur le niveau de l’inflation. Par exemple, les cibles d’inflation (comme celle de la Banque du Canada entre 1 et 3 %) ont en fait peu d’effet sur l’inflation, mais le contrôle du taux de change en a plus. Parmi les variables politiques, seules les libertés civiles ont un impact significatif, en fait déflationniste.

5. Finances publiques : Les effets de la dette et des déficits publics sur l’inflation ont fait l’objet de nombreux débats entre les économistes et entre les politicien.nes. Les auteurs ne constatent pourtant aucun effet important de la dette publique sur l’inflation, sauf lorsque la part des dettes externes au pays est élevée.

6. Inflation passée : Des périodes d’inflation influencent le niveau d’inflation qui suit, probablement en raison des anticipations de la population et des entreprises.

7. Le niveau du PIB réel par habitant : L’inflation augmente en fonction du PIB réel par habitant entre 10 000 $ et 50 000 $, mais pas au-dessus. Dans les pays à faibles et moyens revenus, cet impact ne s’est fait sentir qu’après la crise de 2008. La croissance du PIB et un niveau du PIB qui surpasse le PIB potentiel ont aussi un effet inflationniste, mais bien moindre que le niveau du PIB réel.

Conclusion : Les auteurs expliquent que leurs résultats peuvent avoir des conséquences importantes sur les politiques monétaires, montrant par exemple que le ciblage de l’inflation a peu d’impact, et surtout moins que le contrôle du taux de change, et que la croissance du crédit en a plus que l’augmentation de la masse monétaire. De même, le peu d’impact sur l’inflation de l’indépendance et de la transparence des banques centrales va à l’encontre d’une des plus importantes hypothèses économiques sur l’organisation de la politique monétaire. Dans le même sens, le rôle important de la part des dettes externes sur l’inflation et au contraire le faible impact du niveau de la dette publique devraient influencer les politiques budgétaires. Cette conclusion se termine par une exploration des aspects de ces résultats qui devraient faire l’objet de futures recherches.

Et alors…

Je suis toujours un peu sceptique face à ce genre d’études basées sur des modèles économiques opaques, les situations de chacun des pays étudiés pouvant être bien différentes des autres et les liens entre les variables pouvant varier avec le temps, ce que les auteurs observent d’ailleurs en isolant les résultats avant et après la crise financière. Ils estiment aussi que ces résultats devraient faire l’objet de futures recherches, notamment pour approfondir les relations causales entre les variables étudiées et leurs résultats, ce qui serait en effet important, car lister ces résultats sans explication comme je viens de le faire laisse plus de questions en suspens que ça en résout. Cela dit, j’ai quand même souri à de nombreuses reprises en lisant cette étude, car ses résultats vont à l’encontre de bien des prétentions de la théorie orthodoxe. Le faible impact des politiques monétaires et en particulier de l’établissement d’une cible d’inflation qui est une politique de contrôle de l’inflation adoptée par presque tous les pays riches, est étonnante, mais il faut bien réaliser que ce genre de politique ne peut pas grand-chose contre les effets d’une crise pétrolière ou, comme actuellement, contre une pénurie de semi-conducteurs ou de bois de construction! Par contre, si l’effet de ces politiques de ciblage de l’inflation sur de longues périodes semble bien faible, d’autres politiques peuvent amoindrir l’effet de hausses de prix précises comme celles qu’on observe actuellement dans le prix des logements et le niveau des loyers. Mais, sur une longue période et en étudiant plus de 100 pays, l’effet de ce genre de mesures serait imperceptible.

Malgré ces limites et les doutes qui peuvent subsister sur ses résultats, cette étude permet tout de même de demeurer humble face aux déterminants de l’inflation et à l’efficacité des politiques monétaires. Cela est déjà pour moi un apport important.

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