Le marché du travail en août 2021 aux États-Unis et la COVID-19
Après avoir analysé les données sur l’emploi de mars 2020 à juillet 2021 du Bureau of Labor Statistics (BLS) et de l’Enquête sur la population active (EPA), je vais commenter celles d’août 2021 dans deux billets différents, parce que les données pour les États-Unis ont été publiées une semaine avant celles pour le Canada et le Québec, et que la situation dans ce pays a connu des développements inattendus. En plus, cela allégera un peu ce billet que j’ai de la difficulté à raccourcir! On verra dans ce premier billet si ma prévision d’une hausse de l’emploi moins élevée qu’en juillet aux États-Unis s’est réalisée.
Août 2021 aux États-Unis
Le BLS publie au début de chaque mois (le 3 septembre pour août 2021) les données de deux enquêtes, soit celles de la Household Survey (HS), l’équivalent de l’EPA canadienne auprès des ménages, et de l’Establishment Survey (ES), qui ressemble plus à l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) du Canada auprès des entreprises. Alors que les médias ne font à peu près jamais la distinction entre ces deux enquêtes et commentent uniquement la variation de l’emploi selon l’ES et le taux de chômage selon la HS, j’ai eu la surprise de lire dans l’article de l’Agence France-Presse repris par les principaux journaux du Québec, dont celui-ci publié dans La Presse, une mention de l’existence de deux sources de données. En effet, après le classique «235 000 emplois ont été créés le mois dernier» (sans quand même mentionner que cette donnée vient de l’ES, voir la dernière colonne de ce tableau), cet article ajoute que «Quant au taux de chômage qui prend en compte des données différentes, il recule de nouveau, à 5,2 % (-0,2 point)» (sans mentionner non plus que cette donnée vient de la HS, voir la septième ligne de cet autre tableau). En effet, ces données sont très différentes, tout particulièrement ce mois-ci.
– emploi, taux de chômage et activité
Si on regarde les données de la dernière colonne de ce tableau, on voit que les estimations de la HS montrent une hausse de 509 000 emplois en août plutôt que de 235 000 emplois comme l’ES, soit plus du double, avec une différence de 274 000 emplois! Notons par contre que la hausse de 235 000 emplois de l’ES s’additionne aux révisions positives de 134 000 emplois des données de juin 2021 (+24 000) et de juillet (+110 000), ce qui rend le niveau d’emploi en août plus élevé de 369 000 que celui publié pour juillet 2021, niveau encore inférieur de 140 000 à la hausse de l’estimation selon la HS. La hausse officielle de l’emploi selon l’ES (235 000) est en outre encore plus éloignée des 728 000 anticipés par les prévisionnistes, soit moins du tiers de cette prévision. Les prévisionnistes ont toutefois mieux anticipé le taux de chômage qui est comme prévu passé de 5,4 % à 5,2 %, une baisse de 0,2 point de pourcentage.
Entre février 2020 et août 2021, l’emploi a baissé de 5,3 millions (3,5 %) selon l’ES et de 5,6 millions (3,5 % aussi) selon la HS, baisses environ trois fois plus élevées qu’au Canada (1,3 % en juillet 2021) et qu’au Québec (1,2 %). En plus, si les États-Unis avaient conservé leur taux d’emploi de février 2020, soit 61,1 % au lieu de 58,5 %, il y aurait 6,8 millions d’emplois de plus en août 2021, un nombre plus élevé de 4,4 %. Cette estimation (6,8 millions d’emplois) représente mieux le rattrapage à faire pour retrouver la situation d’avant la pandémie.
Le tableau de la HS nous apprend aussi que le nombre de personnes inactives a baissé de 49 000 en août et que la population active a augmenté de 190 000 personnes, hausse insuffisante pour faire augmenter le taux d’activité qui est demeuré à 61,7 % (passant en fait de 61,708 % à 61,747 %), restant en baisse de 1,6 point par rapport à février 2020 (63,3 %). Notons aussi que le BLS estime que, en raison des erreurs de classification que j’ai expliquées dans le billet de juin 2020, le taux de chômage devrait être plus élevé, possiblement de 0,3 point de pourcentage, soit à 5,5 %.
– emploi selon le sexe et l’industrie
Selon ce tableau, la hausse de 235 000 emplois en août 2021 selon l’ES s’est traduite par un ajout de 28 000 emplois chez les femmes (0,04 %) et de 207 000 chez les hommes (0,28 %). Entre février 2020 et août 2021, l’emploi a baissé de 3,0 millions (3,9 %) chez les femmes et de 2,3 millions (3,1 %) chez les hommes. Du côté industriel, les hausses d’emploi furent les plus importantes dans :
- les services professionnels, scientifiques et techniques (58 500 emplois);
- le transport (53 000 emplois);
- le secteur manufacturier (37 000 emplois, dont 24 000 dans la fabrication de pièces pour véhicules automobiles);
- les autres services (37 000 emplois);
- le divertissement, loisirs, jeux de hasard et loteries (30 000 emplois).
Soulignons aussi la baisse de 41 500 emplois dans les services de restauration et débits de boissons, secteur dont l’emploi avait augmenté de près de 1,4 million entre janvier et juillet 2021 (et toujours de plus de 100 000 par mois), soit de 13,6 % en six mois. Malgré cette hausse, l’emploi dans cette industrie était en août 2021 toujours moins élevé de 966 000 ou en baisse de 7,9 % depuis février 2020. Il est difficile de ne pas lier ce renversement de situation à la hausse du nombre de cas de COVID-19 et à la baisse des dépenses de consommation des ménages en raison de la fin des programmes d’aide aux travailleur.euses dans 26 États (voir la deuxième partie de ce billet). Chose certaine, la fin de ces programmes ne semble pas avoir permis de résoudre la «pénurie» de main-d’œuvre, notamment dans cette industrie, l’objectif avoué de ces États en y mettant fin.
– conséquence de l’inactivité
Les données de la HS permettent aussi de répartir la baisse du nombre de personnes en emploi entre celles qui sont considérées par le BLS en chômage ou inactives. Entre février 2020 et août 2021, le nombre de personnes en chômage a augmenté de 2,7 millions et le nombre d’inactif.ives de 4,9 millions, soit 83 % de plus! Si le taux d’activité s’était maintenu à 63,3 % comme en février 2020 (il était de 61,7 % en août 2021), il y aurait 4,2 millions de personnes inactives de moins et 4,2 millions de personnes en chômage de plus. Dans ce cas, il y aurait 6,9 millions de chômeur.euses de plus qu’en février 2020 (plutôt que 2,7 millions) et le taux de chômage ajusté aurait atteint 7,6 % en août 2021 plutôt que 5,2 %, en hausse de 4,1 points de pourcentage plutôt que de 1,7 point depuis février 2020 (3,5 %).
Notons que je ne suis pas le seul à calculer des taux de chômage ajustés. Dans ce billet, Bill McBride utilise une méthode différente pour ce faire (je préfère nettement la mienne!) et en arrive à 7,9 %, un niveau quand même assez semblable au mien (7,6 %).
Et après?
Avec la hausse de l’emploi moins élevée que prévue en août, il devient difficile de prévoir la suite. Selon toute vraisemblance, l’emploi augmentera en septembre, mais il y a trop de facteurs dont l’effet est difficile à estimer pour préciser davantage. Tout d’abord, le nombre d’infections à la COVID-19 continue à augmenter et ne semble pas montrer de baisse significative d’ici la semaine de référence de la HS (la semaine prochaine) et celles de l’ES (de la semaine prochaine à la fin du mois, selon la période de paye, soit hebdomadaire, aux deux semaines ou autre).
Ensuite, les programmes d’aide à l’intention des travailleur.euses, que ce soit les programmes spéciaux à l’intention des travailleur.euses autonomes et des personnes qui ont épuisé leurs prestations d’assurance-chômage ou le supplément de 300 $ ajouté aux prestations des personnes qui y avaient encore droit, a pris fin lundi dernier (le 6 septembre), et le gouvernement fédéral et les États n’entendent pas les prolonger. La fin de ces programmes laissera 8 millions de personnes sans revenus et 2,7 millions avec des prestations d’assurance-chômage réduites. Si certaines personnes pensent que cela pourrait permettre de pourvoir plus de postes vacants, les données d’août et celles qui ont suivi la fin de ces programmes dans la moitié des États montrent que cet effet pourrait être mineur et même être négatif sur l’emploi en raison de la baisse des dépenses de ces quelque 11 millions de personnes (voir encore une fois la deuxième partie de ce billet). Bref, l’emploi devrait continuer à augmenter en septembre, mais l’ampleur de cette hausse demeure difficile à prévoir pour l’instant.
Et alors…
J’avais prévu dans mon billet sur les données de juillet 2021 que la hausse de l’emploi serait moins élevée en août qu’en juillet (hausse de plus de 1 million, après révision), mais je m’attendais à ce que cette hausse soit tout de même plus importante, même si je trouvais les prévisionnistes optimistes avec leur hausse de plus de 700 000 emplois. Je m’attendais plus à une hausse avoisinant les 500 000 emplois. Mais, ce qui m’a le plus surpris, c’est la concentration de ces emplois chez les hommes, alors que l’emploi a bien plus baissé chez les femmes depuis le début de la pandémie, et la répartition de cette hausse par industrie, notamment la baisse de plus de 40 000 emplois dans les services de restauration et débits de boissons qui semblait sur une tendance durable à la hausse. Comme toujours avec les données sur l’emploi, il est plus facile d’expliquer leurs résultats après leur publication qu’avant!
En fait, c’est ce genre de surprise qui me fait aimer l’analyse des données sur l’emploi (et dans d’autres domaines économiques), surtout au cours de la période d’incertitude actuelle. On a beau bien connaître ce domaine, les comportements humains et leurs conséquences nous surprendront toujours!
Trackbacks