La révolution agroécologique
Avec son livre La révolution agroécologique – Nourrir les humains sans détruire la planète, Alain Olivier, professeur en agroforesterie à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, «nous guide dans cet ensemble de principes scientifiques et de pratiques agricoles qu’est l’agroécologie».
Prologue : L’auteur se voit comme «un enfant des forêts et des champs», de la nature et de la culture, considérant que l’une ne va pas sans l’autre. Ce livre est consacré à la rencontre entre les deux.
Introduction : Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’auteur ait choisi d’étudier en agronomie. Il raconte ensuite son passage au Burkina Faso au cours duquel il a appris que les paysan.nes pouvaient en savoir plus que lui sur les plantes qu’on y cultive et que les méthodes qu’on lui avait enseignées étaient loin d’être les meilleures.
Première partie – Les fondements de l’agroécologie
1. L’héritage de la «révolution agricole» : L’auteur s’oppose au fait que des entreprises à but lucratif puissent breveter des organismes vivants en ajoutant un gène à une espèce de plante existante. Pourtant, les modifications du genre apportées au cours des millénaires précédents ont toujours été disponibles à tous les humains. Il aborde aussi :
- l’importance de conserver la diversité des plantes quand on en introduit une nouvelle;
- les dangers liés à la culture des mêmes plantes sur différents territoires, à la monoculture et à l’utilisation de pesticides, de fongicides, d’engrais et même de l’irrigation, soit les méthodes pour adapter l’environnement aux plantes jugées plus performantes plutôt que de sélectionner des plantes les mieux adaptées à leur environnement;
- les conséquences environnementales et sociales de la «transformation des modes de production agricole à compter de la deuxième moitié du XIXe siècle», appelée «la révolution agricole», qui, malgré ses succès indéniables, montre ses limites, surtout dans les pays du Sud.
2. Qu’est-ce que l’agroécologie? : L’auteur répond à la question du titre en précisant aussi ce que l’agroécologie n’est pas (par exemple, l’agriculture biologique peut aussi bien être agroécologique que ne pas l’être) et qu’elle comprend des dimensions sociales, économiques et politiques, en plus de s’intéresser à toutes les étapes de la production et de la consommation de produits alimentaires. Le concept d’agroécologie est formé de principes plutôt que de prescriptions, ce qui la rend à la fois polysémique et adaptée à la réalité de chaque terroir et à chaque système alimentaire.
3. L’agroécologie face aux enjeux du système alimentaire : L’agroécologie ne vise pas seulement à ce qu’on puisse se nourrir aujourd’hui, mais aussi qu’on puisse le faire avec des aliments nutritifs et diversifiés à long terme et partout, bref, d’assurer la sécurité alimentaire pour tous les êtres humains de la planète. L’auteur aborde ensuite :
- le lien et l’influence mutuelle entre l’environnement, l’économie et la société;
- la santé des sols, l’approvisionnement en eau de qualité et le bien-être animal;
- l’influence de l’agriculture sur les changements climatiques et de ceux-ci sur l’agriculture;
- le rôle de l’agroécologie sur ces enjeux;
- les externalités négatives engendrées par l’agriculture industrielle et positives par les pratiques agroécologiques, notamment par la provision de services écosystémiques et socioculturels;
- la nécessaire revalorisation du travail des paysan.nes;
- des précisions sur le concept de durabilité de l’agriculture et de la sécurité alimentaire.
Deuxième partie – Les principes écologiques de l’agroécologie
4. Des sols vivants : La santé des sols exige des apports que les engrais chimiques ne parviennent pas à fournir complètement. L’auteur explique les principes de l’agroécologie à cet égard, axé notamment sur la présence et la stabilisation de la matière organique (débris végétaux et animaux, et organismes vivants) dans les sols. Il aborde aussi les principes de l’agroforesterie (pratiques «associant arbres, cultures et animaux sur une même parcelle agricole»).
5. L’eau, source de vie : «Sans eau, il n’y a ni production végétale ni production animale». L’eau est donc avec raison au centre des préoccupations des paysan.nes et le sera encore plus avec le réchauffement climatique. L’auteur explique les moyens de favoriser l’approvisionnement et surtout la rétention de l’eau dans les sols de culture avec des moyens associés aussi bien à l’agroécologie qu’à l’agroforesterie. Il aborde finalement la question de la qualité de l’eau, en lien avec l’agriculture industrielle, l’agroécologie et l’agroforesterie.
6. L’énergie solaire : Comme l’eau, l’énergie qui provient du soleil est indispensable à la vie. Avec l’eau et le dioxyde de carbone, elle permet la photosynthèse. L’auteur montre que l’agriculture industrielle (notamment en raison de la monoculture) est beaucoup moins efficace que l’agroécologie et l’agroforesterie pour utiliser cette énergie gratuite et que toutes les plantes n’ont pas besoin de la même quantité d’ensoleillement (certaines bénéficient par exemple de l’ombrage des arbres). La présence d’arbres évite aussi les grandes chaleurs et le froid nocturne.
7. L’extraordinaire diversité du monde vivant : L’auteur raconte qu’un paysan pratiquant l’agriculture industrielle s’est soudainement inquiété des odeurs de son champ et de l’absence de bruit de toute vie animale à ses alentours. Il profite de cette anecdote pour souligner «l’érosion de la diversité», comme la disparition ou la diminution de nombreuses espèces d’insectes et la perte d’habitats dues à nos pratiques agricoles (et à d’autres facteurs, dont l’urbanisation), et son importance pour la vie sur notre planète, dont la nôtre. Il aborde aussi :
- l’utilisation d’antagonistes (comme les coccinelles pour les pucerons) au lieu d’insecticides;
- l’importance de la pollinisation en agriculture et pour la diversité, menacée par les insecticides;
- le rôle de la préservation des habitats pour attirer les antagonistes et les pollinisateurs;
- l’impact positif de l’agroécologie sur l’agriculture, l’environnement et l’économie.
8. Atténuer les changements climatiques et s’y adapter : Même si l’agroécologie n’a pas été conçue pour lutter contre le réchauffement climatique (elle existait avant qu’il ne soit un enjeu), elle peut l’atténuer et même favoriser l’adaptation à ces changements. L’auteur explique les principes de l’agroécologie qui vont dans ce sens et les pratiques de l’agriculture industrielle qui vont en sens inverse, causant une hausse des émissions de GES. Il aborde aussi l’utilisation des terres agricoles pour la production d’agrocarburants qui réduit beaucoup moins les émissions de GES que ses promoteurs le disent, quand elle ne les accroît pas, en polluant en plus et en faisant diminuer la sécurité alimentaire. La production des biocarburants de deuxième génération (résidus agricoles, forestiers et ménagers) est plus acceptable, mais prive quand même les sols «d’une source importante de matière organique qui est pourtant à la base de leur constitution», à moins que son approvisionnement soit minime.
9. Quelle place pour l’élevage en agroécologie? : L’auteur répond à cette question en commençant par montrer que les animaux non humains sont sensibles, utilisent des outils et font preuve d’empathie (voir notamment ce billet), puis en déplorant «monoélevage». Il aborde aussi :
- l’utilisation des céréales pour nourrir les animaux (voir ce billet), alors qu’une forte proportion de la population humaine souffre de la faim;
- l’utilisation prépondérante des terres agricoles pour l’élevage et son impact sur la dégradation des sols, la déforestation, la consommation d’eau, la pollution et les émissions de GES;
- les avantages de l’élevage (culturels, alimentation de proximité, identité, lien avec la nature, rôle dans l’agrosystème, etc.) et les moyens d’en diminuer les impacts négatifs.
- Il conclut que l’animal «pourrait avoir une certaine place dans les pratiques agroécologiques. Mais, son élevage ne doit pas se faire de n’importe quelle façon», ce qui implique «de profonds changements aux systèmes de production agricole, mais aussi au système alimentaire dans son entier», dont la diminution de sa consommation de viande.
Troisième partie – Les dimensions socioéconomiques de l’agroécologie
10. Manger à sa faim et vivre en santé : L’auteur explique le sens du concept de sécurité alimentaire et nutritionnelle, puis décrit ses causes et ses caractéristiques. Il montre ensuite comment l’agroécologie permet de l’améliorer. Il aborde aussi :
- la fragilité de notre approvisionnement de nourriture révélée par la crise de la COVID-19 et les moyens pour y faire face;
- le concept de justice alimentaire, pas seulement liée à l’insécurité alimentaire, mais aussi aux faibles revenus et salaires, et aux conditions de travail déplorables dans l’agriculture et dans la transformation alimentaire (on l’a constaté durant la pandémie avec les éclosions);
- les liens «qui unissent alimentation et santé» (obésité, diabète, épidémies, intoxications, etc.).
11. À qui appartiennent la terre, l’eau et les semences? : Ce chapitre porte sur la propriété et la protection des terres agricoles, des ressources hydriques (l’eau) et des semences (dont les organismes génétiquement modifiés, OGM). L’auteur aborde aussi la disparition d’un grand nombre de variétés de semences et de plantes comestibles, et la concentration des plantes cultivées qui réduit la diversité bioculturelle (biologique, culturelle et même linguistique).
12. Valoriser l’expertise des paysans et des paysannes : À l’instar des colonisateurs qui ont ignoré les savoirs des Autochtones, les Occidentaux dénigrent souvent les savoirs des paysan.nes, qui sont pourtant fondamentaux en agroécologie, voire à son origine. En effet, ces savoirs sont précieux et surtout adaptés à chaque terroir, contrairement aux techniques de l’agriculture industrielle. Cela ne veut pas dire que ces paysan.nes ne peuvent pas bénéficier d’une formation plus technique ou scientifique, mais celle-ci doit «se greffer aux savoirs paysans, et non l’inverse». L’auteur donne quelques exemples de ces savoirs et de leur pertinence, puis souligne l’apport des connaissances des femmes.
13. Un territoire habité : L’auteur explique l’impact de l’agriculture industrielle sur les territoires et les paysages qui ont tendance à se ressembler de plus en plus, la production agricole étant «de plus en plus déconnectée des particularités du territoire historique dans lequel elle s’inscrit» et influençant les autres activités (économiques et autres) des régions où elle est présente. Il aborde aussi l’impact de l’agroécologie en milieu urbain et les défis auxquels elle doit faire face.
14. La dimension politique de l’agroécologie : L’agroécologie n’est pas qu’une science et un ensemble de pratiques, mais aussi un mouvement social. De nombreuses organisations de la société civile sont associées à l’agroécologie, comme La Via Campesina (La Voie paysanne). Ces organisations militent aussi pour une véritable sécurité alimentaire pour les communautés autochtones et paysannes. L’auteur aborde aussi :
- la vision de l’économie en agroécologie, axée sur les biens communs, la diversité de la production, la sécurité alimentaire, la santé des paysan.nes et la mise en marché de proximité, et limitant la marchandisation de la nature;
- les désavantages de cette vision, dont l’exigence de plus de travail humain et les délais de production et de rentabilité;
- la tension entre «la portée sociale de l’agroécologie et sa portée écologique» et les dangers associés à sa récupération et à son institutionnalisation (qui aurait aussi ses avantages).
15. A-t-on vraiment le choix?- La transition agroécologique : L’auteur reconnaît l’apport important des techniques développées par les recherches en agriculture. Pour lui, les problèmes qu’il soulève ne relèvent pas tous de la nature de ces technologies, qui peuvent même être très utiles en agroécologie, mais de la façon dont on les utilise et de leur accès restreint en raison de leur contrôle par un petit nombre d’entreprises qui réduisent l’autonomie des paysan.nes plutôt que de l’accroître. Cela dit, certaines de ces technologies sont nuisibles quand on tient compte des externalités négatives de leur utilisation. Les abandonner ne signifie pas de retourner en arrière, même si leur abandon entraînerait une augmentation du travail humain, mais de les adapter à des méthodes respectueuses de la nature. La transition agroécologique ne sera donc pas simple, encore moins quand on tient compte de la puissance des lobbys de l’industrie actuelle et des besoins différents dans les pays riches et pauvres, et entre ces pays. Elle devra se faire de façon graduelle et exigera un appui de l’État pour passer d’un mode de production à l’autre et permettre aux sols de revenir en santé.
Conclusion : L’auteur fait le tour des problèmes (économiques, environnementaux, sociaux et autres) générés par les systèmes de production agricole et alimentaire actuels, puis souligne les bienfaits que pourrait apporter l’agroécologie à cet effet.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! J’ai beaucoup appris dans ce livre qui est pour moi complémentaire à celui de Louis Robert Pour le bien de la terre (voir ce billet), mais plus complet et plus convainquant. Il explique bien les caractéristiques de ce mouvement et n’hésite pas à souligner ses désavantages après avoir présenté ses nombreux avantages. L’auteur sait aussi joindre aux présentations plus techniques les impacts sociaux et sanitaires importants des changements qu’il met de l’avant. Ne maîtrisant pas le sujet, je ne peux pas conclure sur les bienfaits de l’agroécologie au niveau mondial, même si mon biais de confirmation me porte à l’appuyer! En plus, ce livre se lit étonnamment bien, l’auteur sachant bien vulgariser son propos. Autre bon point, les notes, surtout des compléments d’information, souvent substantiels, mais aussi des références, sont en bas de page.
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