Droitisation et populisme – Canada, Québec et États-Unis
Sous la direction de Frédéric Boily, professeur en science politique au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, le livre Droitisation et populisme – Canada, Québec et États-Unis «repose sur l’idée que la droite se retrouve en réalité dans une profonde phase de reconfiguration, travaillée par des tendances contradictoires avec des forces politiques, comme le populisme, qui émergent pendant que d’autres s’effondrent, comme c’est le cas pour plusieurs partis de la droite traditionnelle».
Introduction – Les recompositions de la droite : «Il y a seulement quelques années encore, on pouvait croire, non sans bonnes raisons, que la droite canadienne […] entrait dans une période d’hibernation qui serait plus longue que brève». Il en était de même aux États-Unis à la fin du deuxième mandat de Barack Obama. La suite a démontré qu’il n’en était rien. Cela dit, peut-on affirmer qu’on assiste à une irrésistible droitisation populiste de la vie politique occidentale? C’est cette question qu’aborde ce livre, tout en analysant d’autres aspects de l’évolution des idéologies politiques de droite, ainsi que l’effet de cette évolution sur la gauche et sur la démocratie elle-même.
1. La droitisation entre mythe et réalité : Ce chapitre vise à cerner la nature du retour «de la droite, du populisme et du nationalisme d’extrême droite». Pour ce, l’auteur aborde :
- les débats sur la droitisation, distinguant la droitisation des partis de celle des citoyen.nes;
- les facteurs économiques, sociaux, identitaires et sécuritaires à la base de la droitisation;
- la première droitisation, de 1980 à 2008, celle entamée avec Thatcher, Reagan et Mulroney, et poursuivie par d’autres, marquée par la réduction de la taille de l’État, le recours au secteur privé et la lutte contre le communisme, qui s’est terminée avec la crise financière de 2008 et le recours intensif de l’État pour réparer une partie des pots cassés, comme sauver les banques;
- la deuxième droitisation, de 2008 à 2020, qui a en fait chevauché la première (avec notamment la chute du mur de Berlin en 1989 et les attentats du 11 septembre 2001), avec le basculement de la droite économique vers la droite identitaire et avec la montée de l’extrême droite.
2. Les mouvements populistes américains des XIXe et XXe siècles – Richard Hofstadter et le style paranoïaque : En se basant tout d’abord sur le livre The Age of Reform de Richard Hofstadter paru en 1955, l’auteur retrace l’histoire du populisme aux États-Unis. Pour ce, il aborde :
- le populisme des fermiers dans la deuxième moitié du XIXe siècle et le People’s Party;
- l’interprétation de ce populisme par Hofstadter, avec ses aspects positifs (comme la dénonciation de problèmes bien réels et la solidarité entre les fermiers, même Noirs), sa dimension religieuse, son conspirationnisme et son caractère xénophobe, notamment antisémite;
- la révolte des pseudo-conservateurs de 1945 à 1960;
- la persistance du populisme, avec des formes bien différentes (Tea Party, Donald Trump, Elizabeth Warren, Bernie Sanders, etc.).
3. La permanence du populisme au Canada – un survol des années 1960 à 2020 : Le Canada est rarement mentionné dans les publications portant sur le populisme. Cela ne signifie pas qu’il est vacciné (l’auteur dit en fait «immunisé») contre ce phénomène… Le populisme peut en effet se manifester par un style politique (notamment le recours à une «rhétorique de l’appel au peuple») associé à une idéologie pas nécessairement extrémiste. Dans ce contexte, l’auteur aborde :
- le populisme rhétorique de Réal Caouette et de John Diefenbaker, puis de Camil Samson;
- le populisme protestataire de Preston Manning et du Parti réformiste du Canada;
- l’opposition populiste «entre les élites économiques et les familles ordinaires» de Jack Layton;
- le populisme identitaire de Mario Dumont et de l’Action démocratique du Québec, puis, sous une forme plus modérée, de la Coalition avenir Québec de François Legault;
- le populisme anti-élite de Doug Ford en Ontario, identitaire de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick et régionaliste de Jason Kenney en Alberta.
4. La droite fédérale au Canada – une nouvelle étape de son histoire? : Face à l’échec de la droite depuis la fin du gouvernement Harper en 2015, l’auteur émet l’hypothèse que «les conservateurs entrent dans une période de profonde remise en question», comme ils l’ont fait entre les gouvernements Diefenbaker et Mulroney. Pour ce, il:
- pose un diagnostic sur l’état actuel de la droite et de la gauche canadiennes en le comparant avec celui des droites et des gauches des autres pays;
- analyse les défis auxquels la droite canadienne fait face, dont le conservatisme social et religieux, les différences régionales de la droite et la tentation du populisme;
- aborde le populisme identitaire de Maxime Bernier;
- conclut que la direction que prendra la droite est encore confuse (ce livre a été écrit avant la défaite de Trump et la nomination d’Erin O’Toole à la tête du Parti conservateur du Canada).
5. Des intellectuelles de droite au Canada et au Québec – identification et exploration thématique (2015-2018) : L’auteur explique tout d’abord les critères qu’il a utilisés pour choisir les intellectuelles de droite dont il va analyser le discours. Il a retenu cinq femmes, deux anglophones (Barbara Kay et Diane Francis) et trois francophones (Lise Ravary, Denise Bombardier et Nathalie Elgraby-Lévy). À partir de 1566 articles parus de 2015 à 2018, il a dégagé deux thèmes qu’il analyse plus à fond :
- leurs réactions face à l’élection de Donald Trump et à ses actions à la présidence (critiques, mais pas trop);
- leurs perceptions de l’islamisme (incompatible avec les valeurs occidentales, menace contre les démocraties, infiltration au Canada des djihadistes, etc.) du hidjab (signe de soumission des femmes, voire étendard de l’islamisme) et de l’islamophobie (n’existe pas, outil pour infiltrer nos sociétés et pour «museler la critique de l’islamisme radical», etc.).
Conclusion – À l’ère des brouillages idéologiques : L’auteur revient sur quelques constats du livre, notamment sur les deux périodes de droitisation, sur les multiples facettes de la droite et sur la direction imprévisible qu’elle prendra, questionnement encore pertinent au lendemain de l’élection fédérale, avec entre autres la croissance de l’appui au Parti populaire du Canada de Maxime Bernier. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’une troisième vague de droitisation se manifeste au cours des prochaines années, avec une forme encore à définir. Il en est de même du populisme, aussi bien de droite que de gauche.
Postface – Les idéologies après le coronavirus : Survenue alors que l’auteur s’apprêtait à envoyer son manuscrit à l’éditeur, la crise sanitaire pourrait modifier son analyse, la droite pouvant moins promouvoir la réduction de la taille de l’État dans un contexte où ses interventions furent indispensables, mais devenir encore plus identitaire avec la fermeture nécessaire des frontières (et la hausse de 80 % en 2020 du nombre de crimes haineux «ciblant la race ou l’origine ethnique et déclarés par la police», ce que l’auteur ne pouvait pas savoir). Cela rajoute certainement une couche d’incertitude à celles mentionnées plus tôt!
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire, mais avec quelques bémols. Lire, car ce livre contient une somme impressionnante d’information et une analyse fouillée de l’évolution des mouvements de droite et du populisme aux États-Unis, au Canada et au Québec. Quelques bémols, car la structure de ce livre est parfois déroutante, l’analyse allant parfois d’un bord comme de l’autre. Cela dit, il ne faut pas s’en étonner, car cette analyse doit par sa nature être nuancée, tenir compte de nombreuses interprétations des faits et proposer des possibilités tout aussi nombreuses de développement. Je dois ajouter que j’ai lu ce livre pour mettre la table avant de me procurer son dernier livre que je viens enfin de réserver à la bibliothèque. Chose certaine, cette lecture m’a permis de mieux comprendre le monde mystérieux de la droite! Autre bon point, les 638 notes, surtout des références, mais aussi quelques compléments d’information, sont en bas de page.