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La présence des femmes en économie

18 novembre 2021

présence des femmes en économieDe plus en plus d’études analysent la faible présence des femmes en économie. Je vais en présenter ici quelques-unes. J’ai pris connaissance des quatre premières par un billet du blogue de Timothy Taylor et de la cinquième grâce à un résumé publié par le site VoxEU.

Les femmes en économie : Des progrès en panne

L’étude intitulée Women in Economics: Stalled Progress de Shelly Lundberg et Jenna Stearns a été publiée par le Journal of Economic Perspective de l’hiver de 2019.

La présence des femmes en économie, que ce soit comme étudiantes ou comme professeures, a connu de nombreuses variations au cours des 100 dernières années. Au milieu de la première décennie du XXIe siècle, elle a atteint 35 % des étudiant.es au doctorat et 30 % des professeur.es agrégé.es, mais n’a plus progressé depuis lors (voir le graphique de l’image qui accompagne ce billet). Les autrices font le tour des études sur le sujet pour faire ressortir les facteurs qui pourraient expliquer cette sous-représentation, puis analysent les domaines de l’économie qui sont choisis par les hommes et les femmes (qui vont plus souvent dans le domaine de l’économie du travail), l’opinion des hommes et des femmes sur l’intervention des gouvernements dans l’économie (elles l’appuient davantage) par rapport aux solutions de marché et la représentation encore plus faible des femmes dans les postes de professeur.es titulaires (entre 8 et 13 % depuis 30 ans) en la comparant avec la situation dans d’autres disciplines (qui est la pire en économie). Elles reviennent sur les principales barrières à l’accès à la profession, excluant la productivité, mais incluant le manque d’appui des professeurs, l’absence de réseau pour la recherche et les biais dans l’évaluation de leurs travaux.

Elles concluent en excluant certains facteurs venant spontanément à l’esprit, comme les responsabilités familiales et l’aversion aux mathématiques, mais en soulevant des problèmes d’acceptation dans une discipline dominée par les hommes, y compris le harcèlement, le manque de respect (euphémisme) et la discrimination. Elles abordent finalement des pistes de solution pour corriger cette situation et l’importance de favoriser la diversité dans cette discipline.

Variation de la réussite des femmes dans les programmes de doctorat en économie

L’étude intitulée Variation in Women’s Success across PhD Programs in Economics de Leah Boustan et Andrew Langan a aussi été publiée par le Journal of Economic Perspective de l’hiver de 2019.

Les auteur.es analysent plus à fond et avec des données plus complètes l’évolution de la présence des femmes chez les débutants au présence des femmes en économie_1doctorat en économie aux États-Unis de 1994 à 2017. Le graphique ci-contre illustre la comparaison de cette présence dans les principaux départements d’économie (88 sur 127) entre 1994 à 2005 et 2006 à 2017. Si la proportion de femmes a en moyenne augmenté (il y a plus de points en haut de la diagonale qu’en bas), les différences entre les départements sont importantes, leur présence passant de 10 % à 60 % selon les départements et la période, et se sont en grande partie maintenues, comme l’indique le coefficient de corrélation de 0,38 entre ces deux périodes, et même de 0,53 en ne retenant que les plus gros départements. Les auteur.es constatent aussi que :

  • le taux d’obtention de doctorats par débutant.es est semblable pour les hommes et les femmes;
  • plus il y a de femmes dans un département, plus la proportion d’étudiantes est élevée;
  • l’accès aux postes de professeur.es est identique pour les hommes et les femmes ayant obtenu les mêmes diplômes, mais les hommes sont plus nombreux dans les départements les mieux cotés, obtiennent plus de promotions et leurs travaux sont davantage publiés dans les revues les plus prestigieuses;
  • les diplômées travaillent plus souvent dans une université dans des postes hors de l’enseignement, et les diplômés plus souvent dans des emplois à l’extérieur des États-Unis;
  • les femmes font face à plus d’obstacles en début de carrière.

À partir d’entrevues (31 dans six départements avec des taux de présence féminine différents), les auteur.es explorent les facteurs qui peuvent expliquer ces constats. Les résultats de ces entrevues sont difficiles à résumer, mais les répondant.es soulèvent entre autres fréquemment des biais de genre, des attitudes différentes envers les étudiants et les étudiantes, et envers les professeurs et les professeures, quelques cas de harcèlement, mais peu de cas de discrimination flagrante.

Stratégies pour que la discipline de l’économie fonctionne mieux pour les femmes

L’étude intitulée Fixing the Leaky Pipeline: Strategies for Making Economics Work for Women at Every Stage de Kasey Buckles a aussi été publiée par le Journal of Economic Perspective de l’hiver de 2019.

Sachant que la discipline économique éprouve encore des problèmes à accueillir correctement les femmes, il s’agit maintenant de chercher comment améliorer cette situation. L’autrice a mené diverses expériences à ce sujet et en cite d’autres pour proposer les mesures qui ont eu le plus de succès. Elle précise que l’image du pipeline qui fuit du titre (Leaky Pipeline) vise à imager le fait que la proportion de femmes diminue à chaque étape, de l’inscription au baccalauréat à celle au doctorat, puis aux postes de professeur.es agrégé.es et de professeur.es titulaires, et même dans des carrières non universitaires. Les mesures qu’elle propose visent donc chacune de ces étapes :

  • au baccalauréat : améliorer l’information aux étudiantes, offrir du mentorat, présenter des modèles et modifier l’image des départements d’économie;
  • au doctorat : encourager la participation à des conférences, donner des formations dans les départements sur le biais de genre et sur le harcèlement sexuel, et développer des mécanismes efficaces de traitement des plaintes;
  • pour les postes de professeur.es adjoint.es (assistant en anglais) : réduire les biais de genre dans l’octroi des subventions et dans l’acceptation des publications (en omettant les noms des auteur.es, par exemple), offrir du mentorat et tenir compte des absences pour maternité;
  • pour les postes de professeur.es agrégé.es (associate en anglais) : le faible taux de passage des postes de professeur.es agrégé.es à professeur.es titulaires est la fuite du pipeline la plus importante; l’autrice propose les mêmes mesures que pour les postes de professeur.es adjoint.es (en insistant sur le mentorat), une meilleure appréciation des tâches connexes qu’elles acceptent davantage que les hommes et l’encouragement à participer à des activités externes;
  • après des élèves du primaire et du secondaire : montrer que l’économie n’est pas une discipline uniquement associée au monde des affaires et à la finance, mais aussi à la santé, à l’éducation, à l’emploi, aux familles et à bien d’autres domaines.

L’autrice précise qu’elle s’est concentrée sur les mesures applicables individuellement ou à des départements, alors que des mesures publiques aideraient aussi, par exemple en favorisant la conciliation entre le travail et la vie personnelle (congés de maternité, services de garde, horaires flexibles, etc.). D’autres mesures ne peuvent pas être évaluées avec des groupes témoins, alors que la plupart de celles qu’elle a proposées l’ont été. Elle conclut en soulignant que ces mesures ont un coût, mais que celui-ci est minime par rapport aux avantages liés aux principes d’équité et à une plus grande diversité dans la discipline.

Sexe, race et carrière universitaire – L’économie se compare-t-elle aux autres disciplines?

L’étude intitulée Gender, Race, and Academic Career Outcomes – Does Economics Mirror Other Disciplines? de Donna K. Ginther a été publiée par le National Bureau of Economic Research (NBER) en octobre 2021.

Par rapport aux domaines des mathématiques et des statistiques, des sciences politiques, des sciences biomédicales, des sciences physiques et de l’ingénierie, la probabilité qu’une femme soit promue à un poste de professeur.es agrégé.es est 15 % moins élevée en économie «après contrôle des publications, des citations et des subventions de recherche» (voir ce graphique). L’autrice aborde présence des femmes en économie_2aussi les différences entre ethnies. Le graphique ci-contre montre la probabilité de recevoir un prix remis pour des recherches indépendantes selon l’ethnie dans différents domaines. On voit que les Noir.es ont une probabilité près de deux fois moins élevée que les Blanc.hes de recevoir ce prix (16,1 % par rapport à 29,3 %) et que la probabilité est aussi inférieure à celle des Blanc.hes pour les Asiatiques et les Hispanophones. Elle ajoute que «même en tenant compte de la scolarité, des bourses de recherche antérieures, des caractéristiques de l’employeur et des publications, nous avons pu expliquer moins de 25 % de l’écart de financement entre […] les Noir.es et les Blanc.hes». Elle a aussi constaté que, même si les Noir.es ont publié autant de documents que les Blanc.hes au cours de leurs études doctorales et postdoctorales, ceux-ci étaient moins cités. En plus, les Noir.es n’ont pas reçu le même appui de leurs mentors.

La sous-représentation des femmes dans les diplômes de premier cycle en économie en Europe : Une comparaison avec les STIM et le commerce

L’étude intitulée Underrepresentation of women in undergraduate economics degrees in Europe: A comparison with STEM and business de Rigissa Megalokonomou, Marian Vidal-Fernandez, Duygu Yengin a été publiée par l’Institute of Labor Economics (IZA) en mars 2021.

Même si le taux de présence des femmes parmi les étudiant.es universitaires a grandement augmenté au cours des dernières décennies, il a plafonné à entre 30 % et 35 % en économie aux États-Unis, avec en plus un taux de professeures titulaires demeurant à près de 10 %.

présence des femmes en économie_3Le graphique ci-contre illustre l’évolution de 2013 à 2018 du ratio de femmes sur les hommes (l’égalité donnerait 1) :

  • chez l’ensemble des diplômé.es (ligne la plus haute avec des cercles blancs), le ratio a été assez stable entre 1,3 et 1,4, ce qui donne environ 57 % de femmes (1,35 / 2,35 = 57,4 %);
  • chez les diplômé.es en commerce (ligne avec des x), le ratio est passé de 1,2 à un peu plus de 1,0, ce qui donne un taux de femmes passant d’environ 55 % à un peu plus de 50 %;
  • chez les diplômé.es en économie (carrés blancs), le ratio est passé de 0,7 à un peu plus de 0,5, ce qui donne un taux de femmes passant d’environ 41 % à 34 % avec une moyenne de 37,5 %;
  • chez les diplômé.es en STIM, soit en science, technologie, ingénierie et mathématiques (triangles noirs), le ratio a évolué autour de 0,35, ce qui donne entre 28 % et 29 % de femmes.

Les autrices soulignent que la proportion de femmes en économie est en Europe un peu plus élevée qu’aux États-Unis (entre 30 et 35 % selon les années), différence encore plus marquée chez les professeur.es titulaires (22 % par rapport à environ 10 %), proportion toutefois bien loin de la parité et encore plus de la moyenne chez l’ensemble des étudiant.es. Les autrices recommandent finalement quelques mesures, en fait très semblables à celles de la troisième étude que j’ai présentée dans ce billet, si ce n’est la possibilité de faciliter les transferts entre les domaines d’études à l’université.

Les autrices ont aussi publié un texte intitulé Why having more women/diverse economists benefits us all (Pourquoi avoir plus de femmes et de diversité parmi les économistes serait bénéfique pour nous tous) sur le site VoxEU le 11 novembre 2021. En plus de résumer l’étude que je viens de présenter, elles expliquent qu’une plus forte présence des femmes dans cette discipline permettrait de varier le choix des sujets que les économistes examinent et modifierait les recommandations politiques. On observe en effet que les femmes s’intéressent davantage que les hommes à des domaines comme le marché du travail (je dois avoir un côté féminin…), la santé et l’éducation. Elles ont de moins bons résultats que les hommes en macroéconomie, mais de meilleurs en microéconomie, surtout dans l’analyse des décisions individuelles des consommateurs, des gouvernements et des entreprises. Elles appuient aussi plus que les hommes les interventions gouvernementales, la réglementation environnementale et la lutte aux inégalités, dont celles entre les hommes et les femmes (bis!).

Et alors…

En commençant à lire ces études, je craignais qu’elles soient répétitives. Si de fait certains thèmes reviennent, ils sont abordés de façon complémentaire. On mentionne d’ailleurs dans une étude que les problèmes de diversité de cette discipline ne se limitent pas aux femmes, mais s’observent aussi du côté des minorités ethniques. La dernière étude que j’ai présentée est en fait assez répétitive, mais elle montre que les constats portant sur la situation aux États-Unis sont aussi en grande partie valables pour l’Europe, avec quand même quelques différences qui permettent d’obtenir un portrait plus complet. J’ai déjà écrit en paraphrasant Jacques Généreux qu’une des plus grandes victoires de la droite est d’avoir convaincu les gauchistes que l’économie est une discipline de droite. Ces études m’amènent à penser que la droite et certains économistes ont aussi réussi à convaincre les femmes que l’économie n’est pas une discipline pour elles. Il est temps que ça change!

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