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La garantie d’emploi

22 novembre 2021

garantie d'emploiAvec son livre La garantie d’emploi – L’arme sociale du Green New Deal, Pavlina R. Tcherneva, économiste américaine, professeure associée au Bard College et spécialiste de la théorie monétaire moderne (MMT), «défend l’idée que la priorité doit être de donner un emploi à tous ceux qui désirent travailler. Une telle idée n’est pas utopique, elle correspond simplement à une volonté politique».

Préface : La pandémie de COVID-19 nous a montré que le «plein emploi» qu’on disait presque atteint aux États-Unis avant son déclenchement était bien fragile, d’autant plus que bien des gens en emploi en cherchaient en fait des plus convenables que ceux qu’ils occupaient. Elle nous a aussi montré que l’État a des moyens d’intervention bien plus importants que certaines personnes le pensaient et que c’est la volonté politique qui nous fait défaut pour entreprendre de grands changements, pas les moyens.

Introduction : «La garantie d’emploi est une politique publique dont le but est de donner une possibilité d’emploi [dans des services publics] à toute personne qui recherche un travail, quelle que soit sa situation personnelle ou celle de l’économie». Ces emplois garantis à un salaire décent seraient dans les services publics du soin (care dans le livre), de la réinsertion sociale, de la protection de l’environnement ou de la construction de petites infrastructures.

1. Une option publique pour de bons emplois : Il est de plus en plus long de retrouver le niveau d’emploi antérieur après les récessions et les bénéfices de ces reprises sont fortement concentrés chez les plus riches. Le marché du travail offre de nos jours une proportion plus grande d’emplois précaires, souvent à temps partiel. La garantie d’emploi permettrait l’offre d’emplois utiles au salaire décent.

2. Le coût exorbitant du statu quo : Dans ce chapitre, l’autrice aborde :

  • le concept fallacieux du chômage naturel;
  • le cercle vicieux du marché du travail et la responsabilité collective du chômage;
  • le coût économique, social, politique et sanitaire du chômage;
  • le manque de volonté politique dans la lutte contre le chômage (ou pour le plein emploi).

3. La garantie d’emploi – un nouveau contrat social et un nouveau modèle macroéconomique : La prospérité des ménages ouvriers et le plein emploi ont cessé d’être des priorités gouvernementales sous Ronald Reagan, au début des années 1980, lors du virage néolibéral. L’autrice considère que la meilleure solution pour remédier à cette situation est la mise en œuvre de la garantie d’emploi. Elle explique que :

  • l’État offre déjà des garanties (pension de retraite, éducation, dépôts bancaires, etc.);
  • l’État garantit aussi les prix agricoles et achète même les surplus; il fixe un salaire minimum, mais ne garantit pas d’emploi aux personnes «en surplus»; il le ferait avec la garantie d’emploi;
  • la garantie d’emploi stabiliserait le «prix» du travail et servirait de contrôle à l’inflation;
  • elle servirait de stabilisateur automatique, compensant sans délai la perte d’un emploi;
  • elle éviterait le stress du chômage et le chômage de longue durée qui rend difficile le réemploi;
  • elle fixerait une norme pour définir un emploi décent, qui éliminerait les emplois de misère;
  • elle valoriserait le secteur des services;
  • elle offrirait de la formation aux travailleur.euses, ferait baisser les inégalités, faciliterait l’intégration des immigrant.es au marché du travail et améliorerait le filet de sécurité sociale, aussi bien par la création d’emplois décents que par les services rendus par ces emplois.

4. Mais comment financer tout ça? : L’autrice affirme que ce n’est pas un problème. Elle aborde :

  • le système monétaire et la possibilité pour les États de créer autant de monnaie qu’ils le veulent, en se reposant sur la théorie monétaire moderne (MMT);
  • ces dépenses seraient peu inflationnistes, car utilisées pour un travail concret et utile;
  • lors de récessions, la garantie d’emploi éliminerait les coûts du chômage;
  • les dépenses pour ce programme varieraient selon la conjoncture, plus élevées lors de récessions et plus basses lors de périodes de croissance;
  • selon ses calculs, le coût de ce programme s’élèverait à entre 250 et 350 milliards $, soit entre 1,0 % et 1,3 % du PIB (qui serait plus élevé d’environ 500 milliards $) et créerait une inflation supplémentaire variant entre 0,63 et 0,74 point de pourcentage;
  • il ferait diminuer la pauvreté des ménages de 20 % et celle des enfants de 63 %.

5. Quoi, où, comment? Les emplois, le contenu, la mise en œuvre : Ce programme serait «inclusif et volontaire», c’est-à-dire ouvert à toute personne en âge de travailler, peu importe son statut sur le marché du travail. Les emplois s’ajouteraient à ceux voués aux services publics. Il serait administré de façon décentralisée, par les États, les municipalités et des organismes communautaires. En plus :

  • le salaire (15 $ de l’heure pendant 32 heures) et les avantages sociaux (frais de garde, services de formation, assurance-santé, congés payés, etc.) seraient les mêmes pour tous ces emplois;
  • les besoins sont grands que ce soit en environnement (contrôle des inondations, surveillance des espèces menacées, plantation d’arbres, nettoyage, recyclage, installation de panneaux solaires, etc.), dans les soins aux personnes (personnes âgées, aide aux devoirs, repas à domicile, etc.) et dans d’autres domaines;
  • ce programme a déjà existé aux États-Unis et existe encore ailleurs sous différentes formes.

L’autrice répond ensuite à huit craintes émises à propos de la garantie d’emplois :

  1. mainmise de l’État de diverses activités (qui relèvent pourtant déjà de l’État);
  2. difficultés à administrer ce programme, alors que l’État en administre des bien plus complexes;
  3. elle ferait réduire la productivité (en fait, c’est vrai, mais sans importance!);
  4. elle créerait des emplois bidon (ils le seraient bien moins que de nombreux emplois existants);
  5. elle bouleverserait le marché du travail, ce qui est en fait un de ses objectifs;
  6. les changements technologiques ne détruiront pas tous les emplois, surtout pas dans le domaine des soins personnels;
  7. le nombre d’emplois créés par la garantie d’emploi varierait d’une année à l’autre, alors que les besoins auxquels ils satisferaient sont aussi présents en période de croissance (j’ai trouvé que la réplique de l’autrice ne répondait pas à cette objection que je trouve pertinente);
  8. même si ce programme est combattu par de puissants lobbys, son appui est très élevé dans la population.

6. La garantie d’emploi, le Green New Deal et au-delà : L’autrice présente une série de sondages qui montrent un appui important et en croissance à la garantie d’emploi, encore plus lorsqu’on lui inclut une composante environnementale. Or, la garantie d’emploi associée au Green New Deal jumelle justement des objectifs sociaux et environnementaux qui sont complémentaires. L’autrice conclut que la garantie d’emploi n’atteindra pas ses objectifs en étant adoptée par les États-Unis. Pour ce, il faudrait qu’elle le soit au niveau mondial, avec un «Green New Deal mondial, assorti d’une garantie d’emploi écologique».

Postface – La garantie d’emploi, un outil au potentiel révolutionnaire : Le journaliste économique Romaric Godin s’attaque à la pensée néolibérale qui domine la théorie économique orthodoxe et qui présente le chômage comme un mal nécessaire. Il salue la proposition de l’autrice qui représente une rupture indispensable avec cette supercherie, puis vante la théorie monétaire moderne et explique les avantages de la garantie d’emploi dans le contexte européen. En outre, la garantie d’emploi inverse le rapport de force entre les employeurs et les travailleur.euses, et menace ainsi le fonctionnement actuel du capitalisme, donnant une arme aux personnes «qui ne se contentent pas de la gestion du désastre d’un capitalisme en lambeaux».

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Cela fait longtemps que j’entends parler de la garantie d’emploi, mais je n’avais jamais lu de livres ou de documents décrivant à fond ce concept. Même si je suis de prime abord sympathique à ce concept, je me pose quand même encore des questions sur son application. En effet, le livre le décrit bien, mais comme s’il ne posait pas de problèmes de ce côté. Je trouve que la partie du livre la plus faible est celle où l’autrice tente de déconstruire les craintes face à cette mesure. Si certaines de ses réponses sont adéquates, elle évite de répondre de front à quelques craintes, dont celle soulevant le fait que ces emplois visent des besoins réels, mais sont par conception temporaires. Cela m’a rappelé quand je travaillais à des projets de création d’emplois temporaires, alors que les critères de ces programmes rejetaient avec raison les emplois visant des besoins permanents.

En plus, elle semble ignorer l’importance de la stabilité des relations entre les bénéficiaires et les travailleur.euses dans les services publics du soin aux personnes. Elle ne répond pas non plus à une autre de mes questions, soit de savoir si vraiment la grande majorité des personnes admissibles participeraient à ce programme, ce qui est possible, mais pas garanti. Je pense aussi bien aux chômeur.euses d’emplois bien payés qui gagneraient plus dans un programme d’assurance-chômage classique ou aux travailleur.euses saisonnier.ières qui ont bien besoin de leurs mois de repos.

Elle semble aussi ignorer que le roulement mensuel des personnes en chômage atteint environ 40 % (en tout cas au Canada), ce qui signifie que 40 % des personnes en chômage un mois donné ne l’étaient pas le mois précédent et ne l’étaient plus le mois suivant. Il devient alors difficile de former mensuellement tous ces gens pour des emplois qui ne dureraient en moyenne que deux mois et demi, à moins que la garantie d’emploi ne fasse prolonger cette période, ce qui irait à l’encontre de ses objectifs. Les exemples de programmes du genre qu’elle donne se sont déroulés soit lors de graves récessions, comme aux États-Unis au cours de la Grande Dépression, soit dans des domaines précis et temporaires. Ce genre de programme devrait donc faire l’objet d’un projet-pilote avant d’être implanté sur une grande échelle. En plus, on l’a vu avec les suppléments à l’assurance-chômage au cours de la pandémie, la collaboration des États et municipalités qui ont des dirigeant.es républicain.es serait loin d’être assurée. Bref, ce livre est intéressant, mérite d’être lu, mais est loin de mettre fin à la réflexion sur le sujet.

Pour terminer sur un bon point, je souligne que les 100 notes sont en bas de pages, surtout des références, mais aussi quelques compléments d’information.

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