L’heure des choix
Avec leur livre L’heure des choix – face à l’urgence climatique et sociale, Gérald Fillion et François Delorme «s’interrogent sur les deux grands enjeux auxquels nous sommes confrontés : l’urgence climatique et l’urgence sociale» et considèrent qu’il «est impératif de repenser notre système économique».
Avant-propos : Gérald Fillion et François Delorme présentent le contexte qui les a amenés à écrire ce livre et expliquent leur contribution respective à chaque chapitre.
1. Comment remettre la nature au cœur des décisions économiques : Gérald Fillion s’entretient avec Jérôme Dupras sur l’impact de la croissance économique sur la nature (ou sur le capital naturel) et sur les services écosystémiques. Ce dernier aborde aussi bien les problèmes que les solutions possibles.
– La nature de l’économie : François Delorme avance que l’économie n’est pas la science de l’argent, mais bien celle des choix. Il est donc erroné de ne baser nos choix que sur la croissance du PIB. S’il trouve important de quantifier la valeur de la nature, il juge que cela est nettement insuffisant (voir le livre La croissance verte contre la nature d’Hélène Tordjman que j’ai présenté dans ce billet), qu’on ne doit pas laisser la protection de la nature au marché et à la propriété privée, et qu’il faut développer et utiliser des indicateurs plus complets que le PIB (comme celui du Vivre mieux).
2. La voiture électrique est-elle une vraie solution écologique? : Annie Chaloux répond à Gérald Fillion que la voiture électrique est au mieux une solution de transition en attendant de se concentrer sur le transport actif et collectif, et sur le télétravail. Elle souligne aussi l’importance d’accompagner les subventions à l’achat de voitures électriques (dépense peu efficace pour réduire les GES) de taxes croissantes en fonction de la consommation d’essence à l’achat de voitures conventionnelles.
– Essence ou électricité, la solution est ailleurs : François Delorme va dans le même sens en ajoutant quelques arguments, dont l’urgence qui exige que les mesures transitoires soient de courte durée.
3. Peut-on se passer de pétrole? : Selon Stéphane Marion, on en a et en aura encore besoin, mais la demande baissera à mesure du développement de sources d’énergie renouvelables.
– A-t-on vraiment le choix? : François Delorme pense à l’inverse qu’on n’a pas le choix, il faudra s’en passer. La vraie question pour lui est de se demander comment on pourra y arriver.
4. Est-il encore rentable d’investir dans les énergies fossiles? : Éric Pineault répond à Gérald Fillion que les conditions d’investissement dans les projets pétroliers canadiens sont de plus en plus difficiles, mais moins pour le gaz naturel, dépendant du cadre réglementaire de chaque province.
– La solution du désinvestissement : François Delorme souligne le fort mouvement pour le désinvestissement dans les entreprises du secteur des énergies fossiles des investisseurs institutionnels, mouvement qui pourrait d’intensifier.
5. La tarification du carbone est-elle efficace? : Pierre-Olivier Pineau explique que la tarification du carbone est souvent mal comprise, qu’elle vise à inciter les gens à changer de comportement plutôt qu’à financer des mesures, puis souligne ses lacunes (pas assez élevée, plafonnement trop bas, pas assez visible, etc.) et précise qu’elle doit être accompagnée d’autres mesures pour être efficace (technologie, réglementation, transport en commun, etc.).
– Sortir de la vision à court terme : François Delorme va dans le même sens et ajoute que cette taxe ralentit la croissance, ce qui est dommageable à court terme, mais essentiel à long terme.
6. Peut-on acheter écolo et local sans se ruiner? : Élisabeth Robinot présente la situation actuelle (peu reluisante) de ce côté et y va de quelques conseils pour l’améliorer
– L’effet néfaste du prix le plus bas : François Delorme endosse l’analyse et les conseils de Mme Robinot, et les complète avec une réflexion sur la logique du moindre prix.
7. Sommes-nous prêts pour une révolution agricole? : L’objectif de Jean-Martin Fortier est de «remplacer l’agriculture industrielle et chimique» par une agriculture paysanne, vivrière et écologique.
– La solution, néanmoins exigeante, de la permaculture : François Delorme abonde dans le même sens et aborde la permaculture (ou agroécologie, voir ce billet sur un livre qu’il cite), avec ses bons côtés (nombreux) et moins bons (moins nombreux, mais qu’il faut considérer avant de s’y lancer).
8. Doit-on briser les frontières de l’immigration? : Louise Arbour propose des solutions à l’immigration irrégulière, comme celle qui nous arrive par le célèbre chemin Roxham. Elle s’élève contre le concept erroné de migrant.es illégaux.ales et souhaite la régularisation des migrant.es irrégulier.ères et leur accueil par les voies régulières.
– À problème global, solution globale : François Delorme se penche plus spécifiquement sur les migrations climatiques, que ce soit en raison du confort (comme les Snowbirds) ou de désastres.
9. Sommes-nous tous égaux devant la pandémie? : Gérald Fillion présente des données qui montrent à quel point la crise de la COVID-19 a frappé de façon inégale, constat que Nicolas Zorn approuve en ajoutant d’autres observations pertinentes allant dans ce sens.
– On est loin d’une relance juste : François Delorme ajoute son grain de sel pour compléter le tableau avec d’autres conséquences ayant frappé inégalement la population.
10. Et si nous avions tous un revenu minimum garanti? : Gérald Fillion explique que la crise de la COVID-19 a fait ressortir l’inadéquation de nos programmes sociaux et relancer le débat sur l’instauration d’un revenu de base. François Blais et Geneviève Tellier précisent que ce revenu peut prendre diverses formes et qu’il est complexe à implanter. De droite ou de gauche selon son application, ce revenu demeure coûteux et son implantation a été rejetée par de nombreux États face aux nombreuses incertitudes qu’il suscite, même après des projets-pilotes.
– L’efficacité d’ un revenu minimum garanti : François Delorme analyse ce revenu sous différents angles, mais a lui aussi de la difficulté à conclure en sa faveur ou contre…
11. L’intelligence artificielle va-t-elle faire disparaître nos emplois? : L’intelligence artificielle (IA) fait peur. Christian Lévesque souligne l’importance grandissante des données dans nos activités économiques, l’IA touchant ainsi non seulement les tâches manuelles répétitives, mais aussi celles de cols blancs. Cela dit, il considère qu’elle entraînera surtout la modification des emplois actuels plutôt que leur disparition, ce qui nécessitera tout de même des interventions gouvernementales (formation, transferts, éthique, etc.) pour les personnes les plus touchées par ces changements.
– Doit-on craindre l’intelligence artificielle? : François Delorme se penche sur les perceptions contradictoires des économistes face à l’IA comme face à tout changement technologique.
12. L’ascenseur social est-il en panne? : Même si la pauvreté a diminué légèrement au cours des dernières décennies, elle est encore très présente et les inégalités sont en hausse. Catherine Haeck examine la situation de la mobilité sociale (intragénérationnelle et intergénérationnelle) et les facteurs qui l’influencent le plus (impôts et transferts, éducation, santé, services de garde, etc.).
– Des solutions pour réparer l’ascenseur : François Delorme ajoute à ces facteurs la diminution de l’endettement des ménages et la lutte à la spéculation financière.
13. A-t-on les moyens d’une assurance-médicaments au Canada? : Damien Contandriopoulos vante l’idée que le Canada se dote d’un régime d’assurance-médicaments public et universel, et précise que le régime québécois, même s’il est préférable à ne pas en avoir du tout, a le défaut de ne pas être universel, ce qui le rend plus coûteux.
– La santé, c’est bon pour l’économie : François Delorme va dans le même sens en présentant d’autres avantages d’un régime d’assurance-médicaments public et universel.
14. Faut-il remettre la retraite à plus tard? : Face au vieillissement de la population et à l’augmentation de l’espérance de vie, Pierre Fortin recommande d’améliorer les régimes de retraite et les incitatifs pour que les personnes âgées demeurent au travail ou y reviennent.
Remarque : Pour montrer l’impact du vieillissement de la population, Gérald Fillion présente des données sur la chute du ratio du nombre de travailleur.euses par personne retraitée. Il y a au moins deux problèmes avec cette présentation. Tout d’abord, le document cité parle de «personnes en âge de travailler» et non de travailleur.euses, et de personnes âgé.es de 65 ans et plus et non de personnes retraitées. Or, le taux d’emploi, surtout celui des femmes, était beaucoup moins élevé dans les années 1970 (88 % chez les hommes âgés de 25 à 54 ans en 1976, et 42 % chez les femmes, pour une moyenne de 65 %) que de nos jours (87 %, 83 % et 85 % en 2019). Ensuite, il est préférable d’utiliser le rapport de dépendance économique qui est le ratio des personnes âgées de 20 à 64 ans sur celles âgées soit de moins de 20 ans ou de 65 ans et plus. Comme il y a de nos jours une proportion plus faible de jeunes, cela compense en grande partie la hausse du nombre de personnes âgées. Or, ce rapport est passé de 0,87 en 1971 à 0,64 en 2016 et passerait à 0.89 en 2066, niveau à peine plus élevé qu’en 1971 (voir ce graphique), avec un taux d’emploi plus élevé, donc une pression moins élevée par travailleur.euse. Cela dit, il est vrai que ce rapport augmentera au cours des prochaines décennies, mais moins que le ratio du nombre de travailleur.euses par personne retraitée.
– Vivre dans une société plus âgée : François Delorme relativise quelque peu la présentation de M. Fortin, tout en proposant des changements semblables aux politiques du travail.
15. Devrait-on suivre le modèle scandinave? : Stéphane Paquin décrit le fonctionnement du modèle scandinave, qui varie en fait selon les pays et avec le temps. Le Québec peut s’en inspirer (et il le fait en bonne partie), mais devrait, comme chacun de ces pays, l’adapter à sa réalité.
– Les grandes exigences du modèle scandinave : François Delorme va dans le même sens, en insistant davantage sur la nécessité d’un arbitrage entre l’efficacité et l’équité, concept pourtant contredit par de nombreuses études dont une de l’OCDE que j’ai présentée dans ce billet.
16. Devrait-on moins voyager? : Michel Archambault et Gérald Fillion se demandent si la popularité des voyages internationaux se rétablira après la chute vertigineuse de leur nombre en 2020 et en 2021. Ils concluent qu’il y aura sûrement une reprise, mais probablement pas au niveau antérieur.
– Voyager en pleine conscience : Selon François Delorme, on ne peut plus faire comme avant. Il propose une taxe croissante sur les voyages aériens et d’autres mesures (réglementation, sensibilisation, etc.) pour faire diminuer cette activité fortement émettrice de GES.
17. L’investissement responsable l’est-il vraiment? : Charles Émond, Olivier Gamache, Rosalie Vendette (trois personnes travaillant dans ce domaine…) et Gérald Fillion prétendent que le «seul critère du rendement et du profit n’est plus suffisant, de nos jours, pour un grand nombre d’investisseurs» et qu’on «ne peut pas imaginer une solution [au réchauffement climatique] sans le secteur de la finance».
– La finance pourrait-elle vraiment choisir l’environnement avant le rendement? : François Delorme est comme moi plus sceptique et ne se fie pas au secteur financier pour se verdir véritablement sans un encadrement étatique serré.
Conclusion : Après ce «tour d’horizon de thèmes liés aux injustices sociales et environnementales», Gérald Fillion considère que «le constat général est plutôt pessimiste». Il voit par contre une lueur d’espoir du côté des organismes et autres regroupements de personnes, jeunes et moins jeunes, qui se mobilisent pour combattre les inégalités et pour lutter contre le réchauffement climatique et la préservation de la diversité et de l’environnement.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Malgré quelques désaccords avec les auteurs et leurs invité.es que j’ai soulignés dans ce billet, ce livre est de loin celui que j’ai préféré des trois que j’ai lus de ces auteurs (voir le premier billet et le deuxième). Les chapitres sont courts, mais présentent en général bien les sujets abordés. En plus, ces sujets couvrent adéquatement et de façon assez exhaustive les deux thèmes du livre. J’aimerais que l’émission Zone économie porte plus souvent sur ces sujets et moins souvent sur la bourse et sur des entrevues de PDG ou de représentant.es patronaux! Malheureusement, les 256 notes, surtout des références, mais aussi quelques compléments d’information, s’étendent sur 19 pages à la fin du livre, forçant l’utilisation de deux signets.
Merci de ce compte-rendu de notre livre. C’est très apprécié.
Ce 3e opuscule se voulait très différent des 2 autres tout en demeurant très accessible. Les deux premiers étaient vraiment des ouvrages de pure vulgarisation (Qu’est ce que l’IPC? Comment explique-t-on les variations du prix de l’essence? etc.) tandis que celui-là fraie davantage avec l’essai tout en évitant une saveur trop pamphlétaire. On reste dans la présentations des enjeux, avec en appui ma vision plus « critique ». L’idée générale était aussi d’avoir une vision davantage socio-écologique (approche constituée du triangle économie-environnement-inégalités) qu’orthodoxe.
Encore merci pour le « LIre »!!
François D.
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