La philosophie aujourd’hui
Avec son livre La philosophie aujourd’hui – Un plaidoyer, Marco Jean, qui enseigne la philosophie au Cégep de Saint-Laurent, défend la pertinence d’enseigner la philosophie au cégep et «se propose donc d’éclairer la signification et la pertinence de la philosophie aujourd’hui».
Introduction : «Pourquoi étudier la philosophie», notamment au cégep? Cette question peut aussi bien venir d’étudiant.es que de politicien.nes ou de citoyen.nes intéressé.es par l’éducation. La réponse à cette question philosophique l’est aussi!
1er argument. Philosopher pour définir – Les discours sur la réalité : L’auteur distingue sous de nombreux aspects les caractéristiques, les champs, les méthodes et les limites de la science, de la philosophie et de la religion. Il montre entre autres que si la religion n’a rien en commun avec la philosophie et la science, ces deux dernières ont des points communs (dont le fait que leurs thèses et théories sont réfutables) et des différences.
2e argument. Philosopher pour penser – Le pluralisme éthique et religieux : «La philosophie est d’autant plus irremplaçable que la religion, sous diverses formes, demeure omniprésente et influente». Il est en effet impossible de s’assurer du respect des droits fondamentaux et de la cohésion sociale dans une société pluraliste sans faire appel à des concepts philosophiques. Et cet argument, comme le premier, justifie pleinement l’enseignement de cette discipline au cégep.
3e argument. Philosopher pour penser – La technoscience : La science est de nos jours la principale source de connaissance. Elle s’enseigne d’ailleurs dès le primaire. Il est de plus en plus important de poser un regard éthique sur les domaines, les processus et les conséquences de la recherche scientifique et des technologies qu’elle permet de développer, sujet abordé dans les cours de philosophie du cégep. L’auteur donne de nombreux exemples de cette nécessité (bombe atomique, réchauffement climatique, utilisation des données personnelles, intelligence artificielle, etc.).
4e argument. Philosopher pour penser – Le travail et l’économie : Certaines personnes et quelques lobbys voudraient que tout ce qui s’enseigne au cégep soit lié aux besoins du marché du travail. Pourtant, le milieu du travail doit être pensé et son organisation et sa réglementation sont influencées par de nombreux concepts philosophiques, comme l’équité en emploi, le travail des enfants, les conditions de travail et la durée du travail. On pense aussi à la conciliation travail-famille, au harcèlement, à l’impact de l’automatisation et à des thèmes plus généraux comme la croissance, l’impact du travail sur l’environnement, les inégalités et la justice. En plus, la rigueur intellectuelle et le sens critique qu’on développe en philosophie sont essentiels, peu importe le domaine de travail. Et il en est de même des connaissances et compétences acquises dans les autres disciplines de la formation générale (français, anglais et éducation physique).
5e argument. Philosopher pour penser la politique : Avant d’être des travailleur.euses et des contribuables, nous sommes des citoyen.nes. Quelles que soient nos valeurs et nos opinions, «personne n’échappe à la politique», car la politique touche à tout (économie, travail, santé, éducation, culture, sécurité, environnement, vie sociale, etc.). Elle incarne aussi le type de démocratie qui nous gouverne. Il est donc essentiel de «mieux réfléchir sur les enjeux de société» et sur le type de démocratie que nous voulons, et de pouvoir en débattre, ce qui est un autre objectif de l’enseignement de la philosophie.
6e argument. Philosopher, une tâche essentielle : L’être humain est «par définition un être de questions à la recherche de réponses». Or, les réponses aux questions mènent à d’autres questions et «ultimement sur un questionnement philosophique». L’auteur aborde aussi :
- le rôle de l’étonnement dans la démarche philosophique, de la formation pour bien raisonner et philosopher, et de la philosophie pour révéler les fondements et les buts ultimes des choses;
- les apprentissages importants tirés de l’étude du grec et du latin;
- l’utilité de la philosophie pour sortir des sentiers battus, pour penser autrement et librement;
- l’importance de douter et de s’intéresser aux thèses opposées à celles auxquelles on adhère;
- le caractère essentiel de la liberté de pensée et d’expression;
- les «enjeux moraux qui se rattachent aux décisions»;
- l’histoire des idées pour «mieux se comprendre en tant que culture et civilisation»;
- la démocratisation de l’enseignement de la philosophie et de la littérature grâce aux cégeps;
- les retombées réelles et durables de l’enseignement de la philosophie.
Le relativisme, la philosophie et la démocratie : Non, toutes les opinions, les théories et les thèses ne se valent pas, comme le prétendent les relativistes. S’ils avaient raison, la science et la philosophie ne serviraient à rien. L’auteur démontre avec une analyse philosophique que les gens qui se disent relativistes le sont en fait rarement, qu’ils ne comprennent pas vraiment ce concept. Par exemple, la diversité des opinions n’a rien à voir avec le relativisme. Il souligne aussi de nombreuses contradictions chez les relativistes, notamment que si on dit que toutes les opinions se valent, l’opinion affirmant que toutes les opinions ne se valent pas est tout aussi valable. Pire, le relativisme rend vaine toute recherche du savoir et même d’enseignement. «Le relativisme est en fait un déni de l’intelligence» et apparaît «comme une menace pour la paix sociale et la démocratie».
Conclusion : L’auteur explique les raisons pour lesquelles il s’est étendu sur le relativisme dans le précédent chapitre. En fait, le relativisme est l’antithèse de la science et de la philosophie. Il ajoute que l’utilité d’une discipline comme la philosophie n’a rien à voir avec son attrait ou sa popularité, comme la popularité du relativisme le montre bien. Il en est de même en science où l’utilité à court terme de la recherche appliquée l’emporte trop souvent sur celle la recherche fondamentale dont les gains à court terme sont plus difficiles à estimer et les gains à long terme immenses, mais inestimables. Et il conclut que :
«les velléités de «modernisation», de simplification, voire de suppression des cours de philosophie au collégial sont symptomatiques d’un phénomène de fond qui menace bien plus de choses que de simples emplois de professeurs.»
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire, mais avec quelques réserves. Lire, parce que les propos de l’auteur sont clairs et que les thèmes abordés sont intéressants. En plus, ses démonstrations sont bien faites et le livre est bien structuré. Avec réserve, car l’objectif de défense des cours de philosophie au cégep devient un peu lassant, même quand on l’appuie. Défendre est en effet plus lourd que de faire la promotion, ce que l’auteur fait davantage dans les derniers chapitres. Je suggère de lire ce livre à petites doses, comme je l’ai fait, même s’il n’est pas bien long (174 pages, selon l’éditeur), et d’alterner avec un livre plus léger (un polar, dans mon cas). Pour terminer sur un aspect plus positif, soulignons que les notes, aussi bien des références que des compléments d’information parfois substantiels, sont en bas de page.