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Le marché du travail en décembre 2021 aux États-Unis et la COVID-19

11 janvier 2022

marché du travail décembre 2021 États-Unis et la COVID 19Après avoir analysé les données sur l’emploi de mars 2020 à novembre 2021 du Bureau of Labor Statistics (BLS) et de l’Enquête sur la population active (EPA), je vais dans ce billet commenter celles de décembre 2021 pour les États-Unis et, dans le suivant qui paraîtra plus tard cette semaine, celles pour le Canada et le Québec.

Décembre 2021 aux États-Unis

Le BLS publie au début de chaque mois (le 7 janvier pour décembre 2021) les données de deux enquêtes, soit celles de la Household Survey (HS), l’équivalent de l’EPA canadienne auprès des ménages, et de l’Establishment Survey (ES), qui ressemble plus à l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) du Canada auprès des entreprises. Toutefois, les médias ne font à peu près jamais la distinction entre ces deux enquêtes et commentent uniquement la variation de l’emploi selon l’ES et le taux de chômage selon la HS. La couverture journalistique de la publication des données de décembre 2021 par le BLS n’a pas fait exception, cet article de La Presse (en fait de l’Agence France-Presse) résumant la situation par cette phrase «L’économie américaine a créé 199 000 emplois en décembre alors que le consensus attendait plus du double (440 000)», sans mentionner que la donnée sur l’emploi vient de l’ES (voir le premier nombre inscrit à la dernière colonne de ce tableau), «mais le taux de chômage a néanmoins continué de baisser et ce plus que prévu, tombant à 3,9 % (-0,3 point de pourcentage)» sans mentionner que la donnée sur le taux de chômage vient de la HS (voir la septième ligne de cet autre tableau), le mot «néanmoins» laissant penser que ces deux données sont liées. Or, elles ne le sont pas et c’est encore une fois particulièrement évident ce mois-ci avec une hausse moins forte que prévu de l’emploi jumelée à une baisse plus importante que prévu du chômage.

– emploi, taux de chômage et activité

Si on regarde la donnée de la quatrième ligne de la dernière colonne de ce tableau, on voit que les estimations de la HS montrent une hausse de 651 000 emplois en décembre plutôt que de 199 000 emplois comme l’ES, soit plus du triple avec une différence de 452 000 emplois! Par contre, l’emploi d’octobre selon l’ES a été révisé à la hausse de 102 000 et celui de novembre de 39 000, pour un total de 141 000 emplois. En conséquence, le nombre d’emplois publié pour décembre était plus élevé de 340 000 que celui publié pour novembre, ce qui rapproche les deux estimations (340 000 pour l’ES et 651 000 pour la HS), laissant tout de même un écart de 311 000 emplois entre les deux. On peut aussi soustraire la hausse de 67 000 travailleur.euses autonomes qui a été captée par la HS, mais pas par l’ES (qui ne porte que sur les salarié.es), ce qui réduit l’écart à 244 000, ce qui est quand même un écart important. Notons finalement que cette hausse de 199 000 emplois, ou même de 340 000 emplois, est nettement inférieure à celle de 400 000 (ou de 440 000, selon l’article de l’AFP) anticipée par les prévisionnistes.

Avec la hausse de 651 000 emplois selon la HS, il est bien normal que le taux de chômage ait baissé de façon importante, soit de 0,3 point de pourcentage à 3,9 %, baisse trois fois plus forte que ne l’anticipaient les prévisionnistes (de 0,1 point à 4,1 %). En fait, cette baisse aurait pu être un peu plus forte, car le nombre d’inactifs a diminué de 60 000, baisse qui aurait pu s’ajouter à celle de 483 000 chômeur.euses. En plus, la population active a augmenté de 168 000, mais pas assez pour faire augmenter le taux d’activité qui est demeuré à 61,9 % (voir les deuxième et troisième lignes de ce tableau), passant de façon plus précise de 61,87 % à 61,91 %. En fait, le taux d’activité publié en novembre était de 61,8 %, mais les données désaisonnalisées de janvier 2017 à novembre 2020 ont été légèrement révisées ce mois-ci, faisant passer le taux d’activité de novembre de 61,8 % à 61,9 %. Ce taux est le plus élevé depuis mars 2020, mais toujours en recul de 1,5 point par rapport à son niveau prépandémique de février 2020 (rehaussé aussi de 0,1 point avec la révision à 63,4 %). C’est tellement simple, les données sur l’emploi…

Entre février 2020 et décembre 2021, l’emploi a baissé de 3,6 millions (2,3 %) selon l’ES et de 2,9 millions (1,8 %) selon la HS. Par contre, si on tient compte de la hausse de près de 500 000 travailleur.euses autonomes (ou de 5,1 %) et qu’on ne retient que les salarié.es de la HS, la baisse a été presque identique, soit de 2,34 % pour l’ES et de 2,26 % pour la HS. Ainsi, malgré de gros écarts entre les données mensuelles de ces deux enquêtes, on voit que leurs tendances à moyen terme se ressemblent beaucoup. Notons finalement que ces baisses tranchent avec la situation canadienne. On verra d’ailleurs dans le billet que je publierai plus tard cette semaine que l’emploi au Canada a dépassé de 1,3 % son niveau de février 2020 et celui au Québec de 0,1 %.

En plus, il faut tenir compte du fait que la population adulte a augmenté de 1,0 % entre février 2020 et décembre 2021 (soit de 2,5 millions de personnes). Si les États-Unis avaient conservé leur taux d’emploi de février 2020, soit 61,2 % au lieu de 59,5 % comme en décembre, il y aurait 4,4 millions d’emplois de plus (ou 2,8 %) en décembre 2021, c’est-à-dire 160,4 millions au lieu de 156,0. Par contre, si je me base sur cette estimation de Jason Furman et Wilson Powell III du Peterson Institute for International Economics (PIIE), le vieillissement de la population a fait baisser le taux d’emploi de 0,5 point. En appliquant cette baisse, le taux d’emploi correspondant à la situation de février 2020 se situe alors à 60,7 %. Avec ce taux, l’emploi aurait atteint 159,1 millions, soit 3,1 millions de plus qu’observé en décembre 2020 (156,0 millions). Cette estimation (3,1 millions d’emplois) représente mieux le rattrapage à faire pour que le marché du travail des États-Unis retrouve sa situation d’avant la pandémie. Comme on peut le constater, le vieillissement de la population a eu un effet (-1,3 million d’emplois, soit de 4,4 millions à 3,1 millions) à peine moins élevé, mais à l’inverse, que celui de la hausse de la population adulte (+1,5 million d’emplois, soit 61,2 % de la hausse de 2,5 millions de la population).

– emploi selon le sexe et l’industrie

Selon ce tableau, la hausse de 199 000 emplois en décembre 2021 selon l’ES s’est traduite par un ajout de 152 000 emplois chez les hommes (+0,20 %) et de 47 000 emplois chez les femmes (+0,06 %). Entre février 2020 et décembre 2021, l’emploi a baissé de 2,1 millions (2,8 %) chez les femmes et de 1,5 million (1,9 %) chez les hommes. Du côté industriel, il n’y a pas eu de grand mouvement de l’emploi, si ce n’est dans les loisirs et l’hospitalité (+53 000 emplois, presque tous dans l’hébergement et la restauration, dont 43 000 dans les services de restauration et les débits de boisson), et dans les services professionnels et techniques (+37 000 emplois).

– conséquence de l’inactivité

Entre février 2020 et décembre 2021, le nombre chômeur.euses a augmenté de 600 000 personnes et le nombre d’inactif.ives de 4,8 millions, soit 8 fois plus! Si le taux d’activité avait été de 62,9 % en décembre 2021 (63,4 % en février 2020 moins le 0,5 point dû au vieillissement) au lieu de 61,9 %, il y aurait 2,6 millions de personnes inactives de moins et 2,6 millions de personnes en chômage de plus. Dans ce cas, il y aurait 3,2 millions de chômeur.euses de plus qu’en février 2020 (plutôt que 600 000) et le taux de chômage ainsi ajusté aurait atteint 5,4 % en décembre 2021 plutôt que 3,9 %, en hausse de 1,9 point de pourcentage plutôt que de 0,4 point depuis février 2020 (3,5 %), hausse près de cinq fois plus élevée. Notons que cette estimation du chômage ajusté est du même ordre de grandeur que celle calculée par Jason Furman et Wilson Powell III dans cette analyse citée plus haut (5,0 %).

Et après?

Face aux données très différentes des deux enquêtes encore en décembre, il est difficile de savoir si la croissance de l’emploi fut inférieure ou supérieure aux attentes. Dans mon cas, j’avais seulement mentionné que la hausse pour décembre devrait être moins forte qu’en novembre, ce qui fut le cas pour les données des deux enquêtes, mais de peu dans le cas de l’ES.

Comme les États-Unis sont un des pays les plus touchés par le variant Omicron, le nombre d’infections à la COVID-19 ayant même atteint le triple du sommet antérieur, et que la semaine de référence du mois de janvier 2022 est cette semaine pour la HS (du 9 au 15 janvier), et pour l’ES de cette semaine à la fin du mois, selon la période de paye, soit hebdomadaire, aux deux semaines ou mensuelle, on peut s’attendre à ce que l’emploi diminue. Par ailleurs, le BLS a annoncé dans son communiqué que les données de la HS seront en janvier 2022 basées sur une estimation différente de la population. Comme cette estimation ne touchera pas les données antérieures, il ne sera pas possible de comparer les résultats de janvier 2022 avec ceux de décembre 2021 ou des mois précédents (ce que les médias et les économistes feront quand même probablement!). De même, les données désaisonnalisées de l’ES de janvier 2017 à décembre 2021 seront mises à jour, ainsi que ses données non désaisonnalisées (que j’utilise peu) à partir d’avril 2020. Bref, toutes les comparaisons, notamment celles avec les données de février 2020 seront touchées. Beaucoup de plaisir à l’horizon!

Notons en outre que le taux de vaccination continue à augmenter aux États-Unis, même si la hausse est lente. Finalement, le nombre de prestataires de l’assurance-chômage a cessé de diminuer, connaissant même une petite augmentation pour la semaine s’étant terminée le premier janvier 2022. Cette hausse n’est pas étonnante, compte tenu de la vigueur des infections dues au variant Omicron.

Et alors…

Par rapport aux données de novembre, les différences entre les estimations de l’emploi selon la HS et l’ES furent moins énormes en décembre, mais quand même importantes! Ces écarts devraient porter les économistes et les journalistes à faire preuve de plus de retenue dans l’interprétation de ces données, mais c’est peine perdue… Cela dit, qu’on regarde celles de l’ES ou de la HS, les données de décembre ont clos 2021 avec des hausses historiques de l’emploi aux États-Unis, avec dans les deux cas une hausse annuelle (par rapport à décembre 2020) de plus de 6 millions d’emplois et de plus de 4 %. Il semble toutefois clair que le chemin vers le retour avec le niveau d’emploi de février 2020 sera détourné en janvier, et possiblement pendant quelques mois. C’est ce qu’on verra dans les mois prochains!

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