La bougeotte
Avec son livre La bougeotte, nouveau mal du siècle? – Transports et liberté, l’ingénieur Laurent Castaignède «décrit les symptômes de la bougeotte avant d’en retracer les origines, analyse ses principaux vecteurs et explore quels pourraient en être les remèdes».
Introduction : Les incitations et même injonctions à se déplacer sont tellement nombreuses qu’elles sont devenues banales, même si se déplacer est dangereux, bien sûr directement (accidents), mais encore plus indirectement (pollution, émissions de GES, destruction de l’environnement, transmission de virus, etc.). Ce livre vise justement à analyser ce phénomène.
1. Symptômes de la bougeotte : «Toute maladie se caractérise par ses symptômes». La bougeotte peut «devenir une obligation régulière lourde de conséquences plutôt que de ne demeurer qu’une agréable option ponctuelle». L’auteur aborde :
- la hausse effarante de l’offre de moyens de transport terrestres, maritimes et aériens;
- la mortalité due aux transports;
- le gaspillage de carburants et son évolution;
- les différentes formes de pollution, les maladies et les décès (entre trois et six fois plus que les accidents de tous les moyens de transport) dont le gaspillage de carburants est la cause et les émissions de GES qu’il entraîne (30 % du total mondial);
- la contribution des transports à la transmission d’agents pathogènes contagieux (peste, choléra, grippes, SARS-COV-1 et 2, etc.);
- les pertes de temps dues à l’effet rebond (ce que la CAQ ne veut pas comprendre…);
- «l’effondrement du contenu du voyage au profit du simple déplacement en transport rapide».
2. Origines de la bougeotte : Même si la plupart des besoins humains (physiques et psychologiques) ne nécessitent pas a priori de déplacements récurrents, force est de constater que ce comportement est de plus en plus fréquent et répandu. Si les migrations humaines remontent «aux premiers pas de l’espèce», ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que les déplacements ont pu se faire assez rapidement en train pour que la bougeotte, aussi bien quotidienne que touristique commence à se généraliser. L’auteur aborde notamment :
- les voyages inutiles, dont la présence humaine dans l’exploration spatiale;
- le commerce international, la publicité touristique et la valorisation personnelle par le voyage;
- l’évolution de la situation spatiale des emplois et des lieux de loisirs et d’éducation;
- l’étalement urbain, la baisse du prix de l’énergie et le conformisme social;
- le tourisme de masse, stimulé par les congés payés, les investissements en infrastructures et les importantes subventions publiques directes et indirectes.
3. Vecteurs de la bougeotte : L’auteur nous raconte «la brève histoire des principaux moyens de transport dûment motorisés, vecteurs des excès de bougeotte», soit celle de l’automobile et de l’autophilie, du train et du tramway, des croisières et de la croisérine, et de l’aviation civile et de l’avionite. Il poursuit en analysant les infrastructures physiques et de services entourant ces moyens de transport pour encourager les déplacements et le tourisme, et les rendre le plus confortables et sécuritaires qu’il est possible. On parle l’anglais dans tous les pays pour accueillir les touristes dont ce n’est pas nécessairement la langue première. Le développement des services numériques n’a pas remplacé les déplacements comme certaines personnes le pensaient, mais sert plutôt à offrir des plateformes les facilitant encore plus. L’auteur conclut ce chapitre en montrant que les effets nuisibles de la bougeotte ne l’ont jamais fait fléchir, notamment en raison de son soutien populaire, si ce n’est lors de la pandémie actuelle, et encore, de façon probablement temporaire, comme le montre le fait que certains pays accueillaient encore des touristes alors que leur population était confinée.
4. Remèdes contre la bougeotte : «Qui a bu boira, qui a bougé bougera». Comment faire mentir cet adage? L’auteur se doute «qu’une thérapie contre la bougeotte nécessite un remède de cheval». Cela ne peut se faire qu’en remettant en question nos modes de vie et de développement, notamment en cessant de penser que c’est en ajoutant des infrastructures qu’on jugulera la congestion (comme de construire un troisième lien à Québec…). Ses remèdes comprennent :
- le rejet du «messianisme technologique»;
- la redécouverte des déplacements lents et la lutte contre la banalisation des longs trajets;
- le télétravail, le rapprochement des citoyen.nes de leurs lieux de travail, d’achats, de loisirs et d’éducation, la taxation des voitures individuelles et la facilitation de l’utilisation des transports en commun, de la bicyclette et de la marche;
- la fin des avantages financiers et fiscaux accordés aux transports et au commerce international;
- l’«interdiction pure et simple des moyens de transport les plus rapides»;
- la réglementation, voire l’interdiction des publicités sur les moyens de transport les plus nocifs et des déplacements des spectateur.trices lors d’événements sportifs et culturels;
- le contingentement de l’utilisation des moyens de transport;
- des guides pour les actions individuelles les plus efficaces contre la bougeotte, dont la valorisation des domiciles et des relations avec ses proches, voisin.es, ami.es et famille.
Conclusion : L’auteur revient sur les principaux constats du livre (qui ne sont pas tous abordés dans ce billet), puis fait un parallèle avec les mesures adoptées durant la pandémie de COVID-19 en se demandant si on reviendra par la suite aux habitudes mortifères de la bougeotte. Il conclut finalement avec un poème qui se termine ainsi :
«Unissons nos efforts, faisons raison première,
Pour retrouver ensemble la voie de la lumière.»
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! J’ai déjà vanté le précédent livre que j’ai lu de cet auteur (Airvore ou la face obscure des transports) dans ce billet. Je récidive! Si ce livre aborde le même sujet que le précédent, il le fait sous un angle différent. Il porte plus sur l’analyse des comportements que le précédent qui insistait davantage sur une description de la situation, ce qui rend ces deux livres complémentaires. Plus facile à lire (et bien plus court!), ce dernier livre aussi est bien écrit et contient des images qui agrémentent la lecture. Comme le précédent, il se distingue des livres du genre par la qualité et l’exhaustivité des solutions que l’auteur propose. Sa structure basée sur les caractéristiques, les conséquences et les solutions à la bougeotte est bien faite, même si les thèmes abordés dans les différents chapitres se recoupent. Autre bon point, les 215 notes, aussi bien des références que des compléments d’information parfois substantiels, sont en bas de page.
Je n’ai pas lu le livre mais je note que, dans les remèdes, l’auteur parle de rapprocher les gens de leur lieu de travail, et pas le contraire! Ça me paraît, encore une fois, faire porter le fardeau de l’étalement urbain sur les individus au lieu de le mettre sur les vrais responsables, soit les organisations, et la façon dont elles fonctionnent (et donc sur les forces qui les poussent à agir comme elles le font). Il faudra bien un jour changer de paradigme et inciter l’offre d’emplois à se délocaliser, au lieu de forcer les gens à se concentrer dans les grands centres parce que c’est là que les entreprises s’installent naturellement.
Pourquoi devrions-nous nous empiler? Pour que les entreprises soient plus rentables? Et si nous préférons avoir un minuscule bout de terre, ou une vue sur autre chose que du béton, est-ce vraiment blamable? À leur retraite, plein de gens sortent des villes, ce n’est pas pour rien.
J’ai hâte qu’un jour on s’attaque à la vraie source du problème, qui est la concentration urbaine, au lieu de ne se préoccuper que d’une de ses conséquences, soit l’étalement urbain. Je ne vois rien poindre comme idées nouvelles là-dessus et ça me désole. Ni du côté de l’IRIS, ni du côté de QS.
On peut très bien imaginer une occupation du territoire faite de plus petites unités, concentrées tout de même, mais réparties, dans lesquelles les gens se sentiraient moins prisonniers et plus près de ce qu’on appelle généralement « la nature ». Pour y arriver, évidemment, on ne peut pas laisser aller les forces du marché. D’où l’importance d’y réfléchir au plus tôt. Mais pour y réfléchir, il faut d’abord admettre le problème.
J’ai l’impression que les penseurs sont essentiellement urbains et ne sont pas sensibles à une force qui, pourtant, me semble très répandue et bénéfique pour la santé de tous : l’attraction qu’exercent sur nous les autres formes de vie. Elle pourrait être -j’en suis convaincu- salutaire, si on l’écoutait au lieu de l’étouffer.
Est-ce que je me trompe? Est-ce que je laisse mes propres besoins prendre le dessus sur la logique? Je ne crois sincèrement pas.
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@ Aubert
N’étant pas urbaniste ni planificateur en aménagement du territoire, je n’ai pas les compétences pour réagir à votre commentaire. Cela dit, si personne dans ce domaine ne va dans le sens de vos propositions, il doit y avoir des raisons. Dans tout ce que j’ai lu, la densité est la meilleure façon de réduire la consommation d’énergie et donc les émissions de GES, densité ne signifiant toutefois pas nécessairement concentration urbaine. Voir par exemple le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) à https://cmm.qc.ca/planification/plan-metropolitain-damenagement-et-de-developpement-pmad/ . Le Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Montréal va dans le même sens; voir https://montreal.ca/articles/schema-damenagement-et-de-developpement-de-lagglomeration-de-montreal-18112 .
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Bien d’accord: densité ne veut pas nécessairement dire concentration urbaine. Il suffirait d’inciter les donneurs d’emplois à mieux se répartir sur le territoire et beaucoup de monde s’en porterait mieux, les régions excentriques seraient plus vivantes, on éviterait bien du transport, etc. Mais comment? C’est la question, comme toujours. On ne réussit même pas à le faire avec les médecins, qui sont pourtant, dans les faits, des employés d’état…
Les deux exemples que vous me donnez montrent, justement, qu’il est difficile de vraiment penser à répartir la population : ces schémas concernent l’agglomération montréalaise! Il faudrait une planification beaucoup plus large. En fait, vos exemples ajoutent à mon sentiment d’impuissance.
En passant, ce n’est pas parce que personne n’aborde une idée que celle-ci n’est pas justifiée. Votre commentaire m’a beaucoup étonné. Les meilleures idées viennent parfois des non-spécialistes.
Si je tombe sur des études de spécialistes sur la répartition des populations, je vous en fais part. Personnellement, je demeure convaincu, jusqu’à ce qu’on m’apporte de nouveaux arguments, qu’il y a une dimension des agglomérations optimale du point de vue environnementale, comme il y en a une du point de vue social et humain. Il faudrait peut-être commencer à y penser au lieu de laisser les grands centres grossir (même en planifiant leur développement).
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«au lieu de laisser les grands centres grossir»
En fait, Montréal est la région la plus désavantagée par les migrations interrégionales, et cela de très loin. Voir la dernière colonne de :
https://statistique.quebec.ca/fr/document/migrations-internes-regions-administratives/tableau/entrants-sortants-solde-migratoire-interregional-et-taux-correspondants-selon-le-groupe-dage-regions-administratives-et-ensemble-du-quebec#tri_annee=2644&tri_tertr=0&tri_age=1
«Les meilleures idées viennent parfois des non-spécialistes.»
Le mot «parfois» rend cette affirmation difficilement réfutable. J’aimerais tout de même avoir des exemples. Certainement pas en matière de santé publique, en tout cas! 😉
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