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L’indice des prix à la consommation et les perceptions de l’inflation

27 janvier 2022

indice des prix à la consommation et les perceptions de l’inflationAlors que je me suis peu intéressé à l’inflation pendant des années, il m’est impossible de négliger cette question face aux inquiétudes manifestées par la population depuis que l’inflation a atteint en décembre 4,8 % au Canada et 5,1 % au Québec. Si je comprends très bien le choc que constitue cette hausse des prix pour les ménages à faibles revenus, surtout pour ceux dont les revenus ont été indexés à un taux bien plus faible que celui de l’inflation cette année (par exemple de 2,64 % le premier janvier 2022 pour les prestations de l’assistance sociale), je ne peux pas m’empêcher de noter que l’inflation ne fut que de 3,4 % au Canada pour l’ensemble de 2021, cela après une hausse des prix de seulement 0,7 % en 2020, pour une moyenne annuelle de 2,0 % (3,8 %, 0,8 % et 2,3 % pour le Québec) au cours des deux dernières années, et de me rappeler que le gouvernement fédéral a adopté une loi anti-inflation en 1975 pour limiter l’augmentation des salaires à 10 %, 8 % et 6 % au cours des trois années suivantes et mettre sur pied une commission de lutte à l’inflation visant à contrôler les prix et les salaires…

C’est dans ce contexte que Statistique Canada a publié mercredi dernier (19 janvier) une étude signée par six personnes (quatre de Statistique Canada et deux de la Banque du Canada) intitulée L’Indice des prix à la consommation [IPC] et les perceptions de l’inflation au Canada : Est-ce que les méthodes de mesure ou les comportements peuvent expliquer l’écart?. Il me semble intéressant d’en présenter les grandes lignes ici, d’autant plus qu’aucun média ne l’a fait à ma connaissance.

Introduction

Les perceptions de l’inflation par les agents économiques, ménages comme entreprises, influencent les anticipations d’inflation et de hausse des taux d’intérêt, qui peuvent faire varier l’efficacité de la politique monétaire. Les enquêtes trimestrielles de la Banque du Canada auprès des consommateur.trices et des entreprises aident à mieux comprendre «les facteurs qui expliquent l’écart entre l’inflation perçue et l’inflation mesurée». Celle sur les consommateur.trices montre que les «perceptions actuelles du taux d’inflation pour l’année précédente, et les attentes à l’égard du taux d’inflation pour l’année prochaine et les cinq prochaines années sont systématiquement plus élevées que le taux d’inflation de l’IPC» (voir ce graphique). Le même phénomène s’observe aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe. Les écarts entre les perceptions et la mesure peuvent être dus à des facteurs de mesure (représentativité des pondérations du panier de l’IPC, ajustement en fonction de la qualité et coût du logement par rapport au coût des maisons) et à des facteurs comportementaux (perceptions de certaines composantes de prix, négligence de tenir compte des changements de qualité, prix des achats fréquents et fortes augmentations de certains prix), facteurs que les auteur.es abordent dans ce document.

Représentativité des pondérations du panier de dépenses utilisées dans l’agrégation de l’IPC

Il est bien certain que la structure du panier de l’IPC ne correspond pas à celle des dépenses de tous les ménages. Les auteur.es se demandent toutefois si elle varie beaucoup en fonction des groupes sociodémographiques, ce qui pourrait expliquer au moins en partie les perceptions des consommateur.trices. À l’aide des données de l’Enquête sur les dépenses des ménages, les auteur.es ont calculé l’inflation spécifique des groupes sociodémographiques suivants :

  • les ménages qui sont propriétaires et locataires;
  • les ménages à faible revenu et à revenu élevé (soit ceux des quintiles inférieur et supérieur de revenus);
  • les ménages ayant fait des études universitaires et ceux qui n’en ont pas fait;
  • les ménages ayant des enfants de moins de 18 ans;
  • les profils de ménage selon le genre;
  • les groupes d’âge, jeunes (18 à 30 ans), adultes (31 à 54 ans) et aîné.es (plus de 55 ans).

Les auteur.es notent toutefois qu’iels n’ont pas pu tenir compte des préférences de marques ni des prix spécifiques des commerces fréquentés par ces différents groupes et qu’iels ont utilisé deux méthodes différentes qui ont donné des résultats très semblables. Le graphique qui suit montre que «les différences de taux d’inflation entre les groupes de ménages sont faibles et ne contribuent pas de façon importante à l’écart observé entre la perception et la mesure», et que les «ménages à faible revenu ont connu une inflation légèrement plus faible que les ménages à revenu élevé».

indice des prix à la consommation et les perceptions de l’inflation_1

Ce résultat contre-intuitif s’explique par le fait que les ménages à faible revenu consacrent une plus grande partie de leurs dépenses au logement que les plus riches, qu’ils sont plus souvent locataires, que la hausse des loyers est moins élevée que l’inflation moyenne et surtout que la hausse des dépenses pour les logements des propriétaires, et qu’ils consacrent au contraire une part plus faible de leurs dépenses au transport qui connaît une inflation plus élevée que la moyenne. «Parmi les autres groupes de ménages, les locataires ont connu un taux d’inflation légèrement inférieur à celui des propriétaires, tout comme les ménages dont les membres n’ont pas de diplôme universitaire par rapport à ceux qui en ont un. L’inflation observée pour les ménages ayant des enfants de moins de 18 ans est très semblable au taux d’inflation officiel de l’IPC».

Malgré ces taux assez semblables, les jeunes sont les personnes qui perçoivent l’inflation comme étant la plus élevée par rapport au taux officiel. Bref, ce facteur ne semble pas expliquer l’écart entre les taux officiels d’inflation et les perceptions.

Ajustement de qualité des prix entrant dans le calcul de l’IPC

L’IPC est basé sur un panier fixe. Quand les produits achetés changent, Statistique Canada doit tenir compte du changement de qualité. Un forfait illimité avec une vitesse plus élevée de téléchargement n’est par exemple pas équivalent au forfait initial du panier de consommation. Il en est de même des appareils électroniques, des voitures, etc. «Par conséquent, les variations de prix mesurées doivent être ajustées en fonction des changements de qualité». Ce facteur peut faire en sorte que les consommateur.trices perçoivent les gains en qualité comme des hausses de prix.

indice des prix à la consommation et les perceptions de l’inflation_2Les deux graphiques ci-contre montrent la différence entre les indices des prix des ordinateurs, des logiciels et des fournitures informatiques (IOLFI), et des logements en prix payés (lignes rouges) et en prix ajustés en tenant compte de l’amélioration de la qualité de ces produits (lignes bleues). Ainsi, l’indice non ajusté des prix des IOLFI a augmenté de 5,4 % entre janvier 2019 et février 2021, alors que le prix ajusté a diminué d’environ 13,4 %. Les deux indices des prix des logements se sont assez bien suivis de janvier 2019 à février 2020, mais se sont légèrement éloignés au cours des quatre mois suivants (mais avec un écart de seulement 0,6 point de pourcentage en juin 2020, soit des hausses de 1,7 % et de 2,3 % depuis janvier 2019). Les auteur.es concluent que, comme il y a des ajustements à la hausse et à la baisse de la qualité (par exemple, la qualité des vêtements est fréquemment ajustée à la baisse), et aucun ajustement dans bien des cas (comme pour l’électricité, l’essence, l’eau, les assurances, les livres, les transports publics et les loisirs), l’impact peut être important pour certains produits, mais est en général nul ou faiblement positif sur l’ensemble de l’IPC.

Le coût d’une maison par rapport au coût des services de logement dans l’IPC canadien

Un bon nombre de ménages associent le prix des logements à ce qu’il en coûte pour acheter une maison, alors que l’IPC se base sur ce qu’il en coûte pour posséder (ou occuper) une maison. «La différence entre le prix d’une maison et le coût des services de logement peut être une source de confusion qui pourrait contribuer à l’écart entre l’inflation perçue et l’inflation estimée de l’IPC».

L’estimation du prix des services de logement est une des plus complexes pour les organismes statistiques, car l’achat d’une maison est toujours un investissement et une dépense pour se loger uniquement pour les propriétaires occupants. Dans l’IPC, le coût de logement pour ces propriétaires ne tient pas compte directement du prix d’achat de la maison, mais comporte les éléments suivants :

  • le coût de remplacement ou les frais d’amortissement;
  • le coût de l’intérêt hypothécaire (donc une hausse des taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation ferait augmenter ce coût, donc l’inflation…);
  • l’impôt foncier;
  • le coût de l’assurance-habitation de propriétaire;
  • le coût de l’entretien et des réparations engagé par le propriétaire;
  • les autres coûts récurrents liés à la propriété du logement.

D’autres organismes statistiques basent leurs calculs de leur IPC sur le prix d’achat de la maison (Australie), l’équivalence en valeur locative (plusieurs pays, dont les États-Unis), le coût d’utilisation (dont la Suède) et la méthode de décaissement (Irlande). Le graphique 7 sur cette page et le graphique 8 sur celle-ci illustrent le résultat et les différences sur l’inflation de ces méthodes. Bref, cette question n’est pas simple et on peut comprendre que les ménages (et même des économistes) ne perçoivent pas bien cette question, surtout dans un contexte de surchauffe immobilière.

Facteurs psychologiques et comportementaux

L’enquête de la Banque du Canada montre que bien des consommateur.trices basent leur estimation de l’inflation sur l’évolution des prix de quelques biens seulement, comme les aliments (surtout sur ceux dont le prix augmente le plus), l’essence et le logement.

indice des prix à la consommation et les perceptions de l’inflation_3Les deux graphiques ci-contre montrent les écarts importants entre la hausse des prix des aliments (graphique du haut) et du logement locatif calculée par Statistique Canada (lignes rouges) et celle estimée par les consommateur.trices (lignes bleues) entre le quatrième trimestre de 2014 et le troisième de 2020. Non seulement les hausses estimées par les consommateur.trices sont beaucoup plus élevées («pour les aliments et le loyer, les taux d’inflation perçus moyens sont de 5,5 % et de 5,3 %, respectivement, tandis que les taux d’inflation moyens de l’IPC sont de 1,9 % et de 1,2 %, respectivement, depuis 2014»), mais elles varient peu, peu importe le niveau des hausses réelles, même quand les prix baissent!

Les auteurs citent ensuite d’autres études qui montrent que ces erreurs sont liées aux prix des achats fréquents des consommateur.trices quoique Statistique Canada ait calculé que la hausse des prix des achats fréquents est en fait moins élevée que celle des autres biens. D’autres études concluent que ces erreurs sont aussi liées aux hausses les plus élevées que les consommateur.trices observent, car iels remarquent davantage des hausses soudaines que la stabilité ou même la baisse des prix d’autres biens. Les auteur.es ont de fait remarqué que, si on calcule un IPC «en tronquant 20 % des baisses de prix et 10 % des augmentations de prix en termes de pondérations du panier de l’IPC» on obtient un taux d’inflation qui ressemble beaucoup aux attentes des consommateur.trices de l’inflation dans un an (voir le graphique 11 sur cette page).

Les auteur.es soulèvent finalement le fait que les consommateur.trices manquent d’information sur les changements de prix, information qui est alors remplacée par l’expérience personnelle. D’ailleurs, l’enquête de la Banque du Canada montre que les consommateur.trices changent leurs perceptions de l’inflation quand on leur fournit de nouveaux renseignements.

Conclusion

Les auteur.es concluent que les fausses perceptions des consommateur.trices viennent en premier lieu des facteurs comportementaux et, dans une moindre mesure, du manque d’information, mais assez peu des facteurs de mesure. Statistique Canada et la Banque du Canada doivent donc élaborer des stratégies de communication pour aider les ménages à mieux comprendre l’inflation et les méthodes employées pour la mesurer.

Et alors…

Cette courte étude a permis de mieux comprendre les facteurs qui expliquent les différences entre les perceptions des ménages et l’inflation réelle. Elle renverse aussi quelques mythes, notamment sur l’effet de l’inflation qui est en fait moins élevé que la moyenne pour les ménages à bas revenus. J’étais d’ailleurs arrivé à des résultats semblables avec un exercice du même genre en 2016, mais avec moins de certitude, car je ne disposais pas de données assez désagrégées pour conclure, et que je ne pouvais pas ajuster les résultats avec l’évolution de la qualité.

J’ajouterais que j’ai toujours trouvé étrange qu’on pense que l’inflation nuit surtout aux ménages les plus pauvres, alors qu’elle diminue l’importance des dettes et réduit la valeur des patrimoines, surtout pour les rentiers. L’inflation a d’ailleurs joué un rôle de premier plan dans la baisse des inégalités après la Deuxième Guerre mondiale (après la première aussi) et a permis de faire diminuer la dette des pays les plus endettés (comme au Royaume-Uni, mais pas seulement). Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les banques centrales ont des cibles d’inflation très basses, en général de 2 %, alors que bien des économistes, dont Olivier Blanchard et Paul Krugman (j’ai déjà aussi lu Pierre Fortin aller dans le même sens), recommandent des cibles plus élevées, soit de 3 % ou même de 4 %, qui donneraient une marge d’action plus grande aux banques centrales pour baisser les taux d’intérêt en période de récession. Mais, le lobby pour garder cette cible basse et pour convaincre la population que ce serait terrible si elle montait un peu, est très puissant. Bref, oui, l’inflation peut causer des problèmes, mais elle est loin du monstre qu’on nous présente trop souvent, surtout pas à moins de 5 % comme ce fut le cas au Canada et au Québec en 2021.

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