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Le marché du travail en avril 2022 aux États-Unis (et un peu au Québec) et la COVID-19

12 mai 2022

marché du travail avril 2022 États-Unis et la COVID 19Après avoir analysé les données sur l’emploi de mars 2020 à mars 2022 du Bureau of Labor Statistics (BLS) et de l’Enquête sur la population active (EPA), je vais dans ce billet commenter celles d’avril 2022 pour les États-Unis, en ajoutant quelques mots sur les données pour le Québec.

Avril 2022 aux États-Unis

Le BLS publie au début de chaque mois (le 6 mai pour avril 2022) les données de deux enquêtes, soit celles de la Household Survey (HS), l’équivalent de l’EPA canadienne auprès des ménages, et de l’Establishment Survey (ES), qui ressemble plus à l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) du Canada auprès des entreprises. Toutefois, les médias ne font à peu près jamais la distinction entre ces deux enquêtes et commentent uniquement la variation de l’emploi selon l’ES et le taux de chômage selon la HS. La couverture journalistique de la publication des données d’avril 2022 par le BLS n’a pas fait exception. Par exemple, cet article de La Presse (en fait de l’Agence France-Presse) mentionne que «les employeurs ont ajouté 428 000 nouveaux emplois à l’économie», sans préciser que la donnée sur l’emploi vient de l’ES (voir le premier nombre inscrit à la dernière colonne de ce tableau) et que «le taux de chômage est resté à 3,6 % proche de son niveau de février 2020 [3,5 %]», sans indiquer non plus que la donnée sur le taux de chômage vient de la HS (voir la septième ligne de cet autre tableau), laissant penser que ces données sont liées, alors qu’elles ne le sont pas. Et cela est particulièrement évident ce mois-ci!

– emploi, taux de chômage et activité

Alors que l’emploi a augmenté de 428 000 selon l’ES, il a au contraire diminué de 353 000 emplois selon la HS (voir le nombre à la quatrième ligne de la dernière colonne de ce tableau), soit un écart de 781 000 entre les deux estimations! Si on tient compte du fait que l’emploi de février 2022 selon l’ES a été révisé à la baisse de 36 000 et celui de mars 2022 de 3000, pour une révision totale de -39 000 emplois (première révision à la baisse depuis longtemps), on constate que le nombre d’emplois publié pour avril était plus élevé de 389 000 que celui publié pour février, ce qui diminue l’écart entre les deux estimations à quand même 742 000 emplois (+389 000 pour l’ES et -353 000 pour la HS). On peut en plus soustraire de cet écart la baisse de 132 000 travailleur.euses autonomes qui a été captée par la HS, mais pas par l’ES (qui ne porte que sur les salarié.es), ce qui fait passer l’écart du nombre de salarié.es à 610 000, écart qui demeure très élevé. Notons finalement que cette hausse de 428 000 emplois, ou même celle de 389 000 après les révisions des deux mois précédents, correspond pour le deuxième mois consécutif assez bien avec celle de 400 000 anticipée par les prévisionnistes. Leur prévision d’un maintien du taux de chômage à 3,6 % s’est réalisée, mais c’est étrange, car elle devait supposer une hausse de la population active (sinon le taux de chômage aurait baissé avec la hausse prévue de 400 000 emplois), alors que celle-ci a dû diminuer de 363 000 pour leur prévision soit juste (sans cette baisse, le nombre de chômeur aurait augmenté considérablement).

Avec cette baisse de la population active de 363 000 personnes jumelée à la hausse de la population adulte (16 ans plus) de 115 000, la population inactive a augmenté 478 000 personnes et fait diminuer le taux d’activité de 0,2 point de pourcentage de 62,4% en mars à 62,2 % en avril (voir la troisième ligne de ce tableau), faisant passer le recul par rapport à février 2020 (63,4 %) de 1,0 à 1,2 point.

Entre février 2020 et avril 2022, l’emploi a baissé de 1,2 million (ou de 0,8 %) selon l’ES et de 760 000 (-0,5 %) selon la HS. Par contre, si on tient compte de la hausse de 310 000 travailleur.euses autonomes (ou de 3,2 %) et si on ne retient que les salarié.es de la HS, la baisse a été très comparable, soit de 0,78 % pour l’ES et de 0,72 % pour la HS. Ainsi, malgré de gros écarts entre les données mensuelles de ces deux enquêtes comme ce mois-ci, on voit que leurs tendances à moyen terme se ressemblent beaucoup. Notons finalement que ces baisses tranchent avec la situation canadienne, où l’emploi a dépassé son niveau de février 2020 depuis novembre 2021, alors que son niveau en avril 2022 a surpassé celui de février 2020 de 2,4 %, ou de plus de 450 000 emplois (+0,5 % ou + 21 000 emplois au Québec).

Pour mieux comparer les situations de février 2020 et d’avril 2022, il faut aussi tenir compte du fait que la population adulte a augmenté de 1,5 % (ou de 3,9 millions de personnes) entre février 2020 et avril 2022. Si les États-Unis avaient conservé leur taux d’emploi de février 2020, soit 61,2 % au lieu de 60,0 % comme en avril 2022, il y aurait 3,2 millions d’emplois de plus (ou 2,0 %) en avril 2022, c’est-à-dire 161,3 millions au lieu de 158,1 millions. Par contre, si je me base sur cette estimation de Jason Furman et Wilson Powell III du Peterson Institute for International Economics (PIIE), le vieillissement de la population a fait baisser mécaniquement le taux d’emploi de 0,3 point. En appliquant cette baisse, le taux d’emploi correspondant à la situation de février 2020 se situerait alors à 60,9 % en avril 2022. Avec ce taux, l’emploi aurait atteint 160,5 millions, soit 2,4 millions de plus (ou 1,5 %) qu’observé en avril 2022 (158,1 millions). Cette estimation (2,4 millions d’emplois) représente mieux le rattrapage à faire pour que le marché du travail des États-Unis retrouve sa situation d’avant la pandémie. Comme on peut le constater, le vieillissement de la population a eu un effet (-0,8 million d’emplois) 4,0 fois moins élevé que celui de la hausse de la population adulte (+3,2 millions d’emplois) pour expliquer l’écart total avec la situation de février 2020. Notons qu’au Québec, l’impact du vieillissement (-73 000 emplois) fut au contraire plus élevé que celui de la hausse de la population adulte (61 000).

– emploi selon le genre et l’industrie

Selon ce tableau, la hausse de 428 000 emplois en avril 2022 selon l’ES s’est traduite par un ajout de 150 000 emplois chez les hommes (+0,20 %) et de 278 000 emplois chez les femmes (+0,37 %). Entre février 2020 et avril 2022, l’emploi a baissé de 830 000 (-1,1 %) chez les femmes et de 360 000 (0,5 %) chez les marché du travail avril 2022 États-Unis et la COVID 19_ind_avrilhommes. Comme on peut le voir dans le graphique ci-contre (tiré de ce billet, comme le suivant), les principales hausses du côté industriel en avril 2022 se sont observées dans :

  • les loisirs et l’hospitalité (+78 000 emplois, dont 66 000 dans l’hébergement et la restauration, surtout grâce à une hausse de 44 000 dans les services de restauration et les débits de boisson);
  • la fabrication (+55 000 emplois);
  • le transport (+52 000 emplois);
  • les soins de santé et assistance sociale (+41 000 emplois);
  • les services professionnels, scientifiques et techniques (+36 000 emplois);
  • l’éducation (privée et publique, +33 000 emplois);
  • les activités financières (+35 000 emplois);
  • le commerce de détail (+29 000 emplois).

Même si le secteur des loisirs et de l’hospitalité se classe régulièrement au premier rang des hausses d’emploi depuis janvier 2021, il lui reste encore près de 1,44 million d’emplois à pourvoir pour retrouver son niveau de février 2020, nombre en fait plus élevé de 21 % ou de 248 000 emplois que la baisse totale de 1,19 million selon l’ES.

marché du travail avril 2022 États-Unis et la COVID 19_ind_avril_2Le graphique ci-contre montre d’ailleurs que les hausses d’emploi dans les services professionnels, scientifiques et techniques (738 000), le transport (674 000), le commerce de détail (284 000) depuis février 2020 sont au total plus importantes que les baisses dans les services gouvernementaux (690 000, à moitié dans l’éducation, surtout locale), l’éducation (privée) et la santé (409 000) et les autres services (278 000), laissant les loisirs et l’hospitalité dans une classe à part.

– conséquence de l’inactivité

Entre février 2020 et avril 2022, le nombre chômeur.euses a augmenté de 224 000 personnes et le nombre d’inactif.ives de 4,5 millions, soit presque 20 fois plus! Si le taux d’activité avait été de 63,1 % en février 2022 (63,4 % en février 2020 moins le 0,3 point dû au vieillissement) au lieu de 62,2 %, il y aurait 2,2 millions de personnes inactives de moins et 2,2 millions de personnes en chômage de plus. Dans ce cas, il y aurait 2,5 millions de chômeur.euses de plus qu’en février 2020 (plutôt que 224 000) et le taux de chômage ainsi ajusté aurait atteint 4,9 % en avril 2022 plutôt que 3,6 %, en hausse de 1,4 point de pourcentage plutôt que de 0,1 point depuis février 2020 (3,5 %). Ce taux de chômage ajusté de 4,9 % reflète mieux la détérioration du marché du travail depuis février 2020 que le taux officiel de 3,6 %. Cela dit, il serait étonnant que le taux de chômage ajusté baisse autant au cours des prochains mois, car le communiqué du BLS mentionne qu’il ne reste que 586 000 personnes inactives qui disent ne pas avoir cherché d’emploi en raison de la pandémie, alors qu’il y en avait 874 000 en mars et 1,2 million en février, ce qui montre qu’il y a de moins en moins de personnes qui sont inactives en raison de la pandémie. Elles le sont donc pour d’autres raisons! Cela dit, la fin de la pandémie pourrait attirer d’autres personnes que celles-là sur le marché du travail.

Et après?

Les tendances qui ont permis cet autre bon mois sur le marché du travail semblent se maintenir. En effet, le nombre de cas de COVID-19 a augmenté en mai, mais tend à se stabiliser. De même, le nombre de prestataires d’assurance-chômage continuait à diminuer vers la fin avril, pour même se situer à son niveau le plus bas depuis 1970, même si le nombre de demandes a augmenté un peu dernièrement, tout en demeurant à un niveau historiquement faible. En plus, le taux de vaccination augmente encore aux États-Unis, même si la hausse est de plus en plus lente. Je rappelle qu’il restait en avril 2022 environ 2,4 millions d’emplois à rattraper pour retrouver la situation sur le marché du travail de février 2020 en tenant compte de la hausse de la population adulte et de son vieillissement. Tout milite donc pour une croissance de l’emploi entre avril et mai, quoiqu’il serait étonnant qu’elle soit aussi forte qu’au cours des quatre premiers mois de 2022. En effet, même s’il reste 2,4 millions d’emplois à rattraper, ce nombre baisse rapidement. En plus, l’inflation toujours élevée et les conséquences des mesures adoptées contre la Russie et des confinements en Chine sur les chaînes d’approvisionnement limitent les possibilités de croissance.

Pendant ce temps, au Québec

Les médias ont surtout mis l’accent sur le fait que le taux de chômage au Québec est passé de 4,1 % en mars à 3,9 % en avril, son niveau le plus bas depuis au moins 556 mois, soit janvier 1976. Quelle excellente nouvelle! En fait, pas vraiment… Si l’estimation du nombre de chômeur.euses a baissé de 10 400 personnes, celle du nombre de personnes inactives a augmenté de 42 100 personnes et celle du nombre de personnes en emploi a diminué de 26 500 personnes. Conséquence de ces variations, la population active a diminué de 37 000 personnes, faisant baisser de 0,5 point de pourcentage le taux d’activité, de 64,4 % à 63,9 %, baisse énorme en un seul mois, d’ailleurs la plus élevée depuis avril 2020. Cela représente selon moi le véritable point saillant des données du mois d’avril. Et qu’est-ce qui explique la baisse de l’emploi et du chômage, et la hausse de l’inactivité? Rien de bien clair! Avec des baisses concentrées dans la construction, l’enseignement (!), le commerce de gros et de détail, et les soins de santé et assistance sociale (!!), on peut aussi bien justifier ces baisses par la température, donc par des problèmes avec la désaisonnalisation des données, que par les marges d’erreur de l’EPA.

On revient en fait à la raison pour laquelle je présentais rarement les données mensuelles de l’EPA avant la pandémie, préférant analyser les données annuelles, et pour laquelle j’ai décidé d’arrêter ma série sur le marché du travail et la COVID-19 : il n’y a en général rien à dire sur les variations mensuelles des estimations d’une enquête dont les marges d’erreur sont systématiquement plus élevées que les variations qu’elles indiquent! Mais, bon, les médias et même les économistes ne peuvent pas ne rien dire… J’ajouterai seulement que les estimations pour mars étaient tellement bonnes qu’elles devaient être dans la portion supérieure de la marge d’erreur et qu’il n’est pas étonnant qu’elles aient baissé le mois suivant. Mais, comment expliquer la forte hausse de l’inactivité jumelée à la baisse du chômage? Pourquoi tant de gens auraient-ils cessé de chercher un emploi alors que le nombre de postes vacants est aussi élevé qu’actuellement, sachant que si moins de la moitié de ces personnes (l’ajout de 42 000 inactif.ives) en avait cherché un, le taux de chômage aurait augmenté plutôt que de diminuer? Je le répète, seuls des problèmes avec la désaisonnalisation et les marges d’erreur peuvent y parvenir. Mais, cela est impossible à prouver! Le mieux est d’attendre les estimations des prochains mois pour voir si des tendances se dégagent et si ces mouvements sont accompagnés de changements allant dans le même sens d’autres données (EERH, recettes gouvernementales, PIB, prestataires de l’assurance-emploi, faillites, etc.). Bref, on verra!

Et alors…

Encore ce mois-ci, j’ai peu de choses à ajouter à ce billet. Si ce n’est les messages opposés des deux enquêtes aux États-Unis, les données d’avril ont réservé peu de surprises. Quel message croire? Un peu des deux, mais davantage les données de l’ES qui présente des marges d’erreur inférieures à celles de la HS. J’ajouterai seulement que les dernières traces des conséquences de la pandémie s’effacent graduellement, comme le montrent les hausses de l’emploi dans les loisirs et l’hospitalité et chez les femmes. Comme au Québec et au Canada, il y aura sûrement des changements structurels durables, comme dans l’hébergement et la restauration, car il reste peu de rattrapage possible à court terme. J’imagine que je vais pouvoir aussi mettre fin à cette série d’ici quelques mois!

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