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La collision des récits

8 août 2022

collision des récitsSelon Philippe de Grosbois, sociologue des médias et auteur du livre La collision des récits – Le journalisme face à la désinformation, la crise actuelle des médias et la désinformation résultent «d’abord et avant tout d’une crise de confiance envers le journalisme «positiviste», qui prétend être fondé sur des faits empiriques et une éthique de la neutralité».

Introduction – Les chemins sinueux de la vérité : Non seulement la désinformation est-elle en hausse (et pas seulement dans les médias sociaux), mais les journalistes qui débusquent la désinformation se font insulter par les personnes qui la propagent ou par celles qui la croient. Ce livre vise à élargir et à enrichir la réflexion à ce sujet. L’auteur présente ensuite les différents angles qu’il compte analyser dans cet essai.

1. La guerre des mondes : Ce chapitre explique en quoi consiste «l’analyse journalistique dominante de la désinformation contemporaine et des causes de celle-ci», puis montre que cette analyse, même si en partie pertinente, est «insuffisante et insatisfaisante», notamment parce qu’elle repose trop sur le postulat du caractère passif de la population, alors qu’elle est majoritairement active dans sa recherche d’information et dans la détermination de ses opinions.

2. Un peu d’ordre dans le chaos : L’auteur remonte aux débuts des médias de masse vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe, axés au départ sur le modèle de la presse capitaliste. Il explique ensuite comment s’est développé dans les décennies suivantes «l’idéal d’un journalisme neutre et objectif» (le journalisme positiviste) qui est devenu la norme, même si cet idéal a toujours été relativisé par le financement des médias par la publicité, s’il repose sur le faux postulat de la réceptivité passive du public et s’il associe l’objectivité au capitalisme industriel, comme si ce système n’était pas contestable.

3. Le réel et le vrai à l’ère néolibérale : La montée du néolibéralisme à partir des années 1980 jusqu’à la crise financière de 2008 a fait assimiler dans les récits véhiculés par les médias le réel aux contraintes économiques néolibérales avec une vision conservatrice du «vrai monde». Cela s’est fait d’autant plus facilement que les journalistes et les personnes les plus puissantes (médiatiquement, économiquement et politiquement) se côtoyaient fréquemment et que les médias appartenaient (et appartiennent toujours) à de riches entreprises. L’auteur aborde ensuite une série de manifestations de cette vision de la réalité.

4. Internet et l’explosion de la parole : Ce chapitre porte sur le rôle d’Internet dans l’essor de la désinformation. L’auteur y aborde :

  • l’impact sur la désinformation des médias sociaux qui veulent accaparer notre attention à des fins marchandes;
  • la remise en cause du récit médiatique dominant, pour le meilleur et pour le pire;
  • l’impact des influenceur.euses;
  • la propagande des partis politiques et des gouvernements;
  • l’astroturfing (ou similitantisme);
  • les bons côtés des médias sociaux, comme de donner la parole à des groupes peu entendus dans les médias traditionnels.

5. Le temps des pilules rouges : Ces réflexions amènent l’auteur à son analyse de la collision des récits qui donne le titre à son livre. Après l’uniformité des récits de l’ère néolibérale, on voit apparaître de plus en plus de récits radicaux aussi bien à gauche qu’à droite (l’auteur en donne bien sûr des exemples). Cela n’est pas étonnant, car les supposées neutralité et objectivité des médias traditionnels ne permettent plus (s’ils l’ont déjà permis) «de remonter à la source des problèmes». Le problème le plus important n’est en effet pas nécessairement la crédulité de la population face à la désinformation, mais plutôt le doute et la méfiance face au discours véhiculé par les institutions, attitudes qui sont non seulement compréhensibles, mais qui sont aussi à la base tout à fait saines. Par contre, la façon de réagir à ce doute de beaucoup de personnes l’est moins, car elles cherchent moins la vérité qu’à être rassurées, à reprendre le contrôle de leur vie et à s’intégrer à des groupes ressentant les mêmes choses. L’auteur aborde aussi :

  • le fait qu’on peut contester des institutions sans être complotiste;
  • l’abus des accusations de complotisme dès qu’on s’interroge sur la transparence des institutions;
  • des comportements complotistes chez les journalistes eux-mêmes;
  • la méfiance journalistique envers tout mouvement qui n’est pas centriste.

6. Pistes pour un nouveau pacte : L’auteur propose «des pistes de solution visant à renouveler les relations entre le journalisme et le public». Il considère que le journalisme ne doit pas se réfugier derrière son mantra d’objectivité et de neutralité, mais viser des changements structurels, notamment du côté de la propriété et du financement des médias, qui, parmi bien d’autres facteurs, ont une influence importante sur le choix des nouvelles et des opinions publiées ainsi que sur leur traitement, rendant illusoires leur objectivité et leur neutralité tant vantées. Il aborde tellement d’autres éléments pertinents que je préfère en rester là et vous inviter à en prendre connaissance en lisant ce livre!

Conclusion – Faisons nos recherches : Le «pouvoir se caractérise par sa capacité à imposer sa lecture du réel auprès de ceux et celles sur qui il s’exerce». L’objectivité et la neutralité dont se targuent les médias font en réalité en sorte de propager, volontairement ou pas, le récit des puissant.es (l’auteur en donne de nombreux exemples). La crise du journalisme «perdurera tant et aussi longtemps qu’une large part des journalistes se percevront à l’extérieur de la société – quand ce n’est pas au-dessus».

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre va bien plus loin que tout ce que j’ai lu avant sur le phénomène de la désinformation. Oui, cela existe et les mouvements complotistes doivent être débusqués, mais le rapport à la réalité ou à la vérité est plus complexe que ces exemples de manipulation simple des faits et de croyances ésotériques. On peut transmettre des faits de différentes façons, sans mensonge, mais sans non plus présenter tous les angles d’une question. On peut aussi choisir les faits qu’on raconte et former des récits qui vont toujours dans le même sens. J’ajouterai que mon compte-rendu ne rend pas justice à la profondeur de ce livre, car je voulais laisser le plaisir de la découvrir aux personnes qui se procureront ce livre. Autre bon point, les 257 notes, surtout des références, mais aussi quelques compléments d’information, sont en bas de page.

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