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Human Psycho

15 août 2022

Human PsychoAvec son livre Human Psycho – Comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse de la planète, Sébastien Bohler, spécialiste en neurobiologie moléculaire, montre que le cerveau humain «possède les traits caractéristiques d’un psychopathe. Il coche toutes les cases du profil psychologique d’un serial killer qui massacre sa victime – la planète. Alors, peut-on le soigner? Tel est le questionnement ultime de cet ouvrage, qui nous emmène sur une crête étroite entre néant et espoir».

Première partie – Les piliers de la folie : Nous croyons notre espèce éternelle, mais nous sommes en train de la détruire à une vitesse affolante. L’auteur compare les êtres humains à un essaim d’insectes : seul, un insecte ne peut pas faire grand-chose, mais en groupe, il construit des nids d’une grande complexité. Il en est de même des êtres humains qui ont construit un ensemble de sociétés complexes sans qu’aucun de ses membres comprenne l’ensemble. Dans le même sens, même si une personne cesse d’émettre des GES, cela n’aura aucun impact sur ce que l’essaim humain émet. Comme dans tout système, les propriétés de l’essaim humain sont totalement différentes de celles de ses composantes.

Ce livre vise justement à analyser en quoi le fonctionnement de l’humanité diffère de celui des individus humains, en examinant son langage, sa cognition, ses émotions et son comportement : elle se croit supérieure aux autres espèces; possède un génie de la manipulation, de l’outil et de la technique; elle manque d’empathie (notamment envers les autres formes de vie, animales et végétales), pas toujours individuellement, mais collectivement; et elle est impulsive (elle cherche le bien-être ou le profit immédiat, sans tenir compte des conséquences à moyen et long termes). Ce portrait (ego, manipulation, absence d’empathie et irresponsabilité) est celui d’une humanité psychopathe. Et ce sont ces caractéristiques qui, mises «entre les mains de l’humanité, sont en train de transformer notre planète en champ de ruine».

Human ego : La principale caractéristique des criminel.les psychopathes est la haute opinion que ces personnes ont d’elles-mêmes, comme les êtres humains qui ont, selon eux, été créés à l’image de Dieu pour dominer les autres êtres de la création, sa supériorité étant affirmée dans de nombreuses religions et philosophies de presque toutes les sociétés humaines. L’auteur explique ensuite que c’est notre cortex orbitofrontal qui nous permet de faire preuve d’empathie et de réprimer nos pulsions. Ce sont d’ailleurs les personnes qui ont des problèmes avec leur cortex orbitofrontal qui se transforment en psychopathes, rendues incapables de socialiser; or, l’humanité n’a pas de cortex orbitofrontal! Pourtant, elle devrait réaliser qu’elle a plus détruit sa planète qu’elle ne lui a apporté d’atouts qu’elle n’avait pas, ce qui l’aiderait à descendre de son piédestal. Mais, aucun psychopathe ne le peut…

Human techno : Les psychopathes sont des champions de la manipulation. La proportion de psychopathes est par exemple 10 fois plus élevée sur Wall Street (10 %) et quatre fois plus chez les dirigeant.es d’entreprises que dans la population (1 %). L’auteur présente les raisons qui expliquent ces proportions et leurs manifestations les plus fréquentes, puis en donne des exemples. Ces exemples nous glacent d’horreur, mais c’est «exactement de cette façon que l’humanité se comporte vis-à-vis de son environnement». En plus, elle ne se fait jamais emprisonner. Il aborde ensuite :

  • les origines préhistoriques de cette psychopathie, au début en créant des outils pour exploiter son environnement, puis en domestiquant les animaux dans le même but;
  • les parties du cerveau qui lui permettent de créer des outils, de nouvelles espèces animales et de nouvelles plantes par sélection génétique (chiens, bœufs, cochons, moutons, poules, bananes, maïs, tomates, poires. etc.), entraînant souvent la disparition des espèces originales;
  • l’accélération de ce processus, notamment depuis la révolution néolithique, puis industrielle;
  • les conséquences de cette accélération avec la pollution, le réchauffement climatique et l’épuisement graduel des ressources;
  • la poursuite de cette exploitation même en connaissant ses conséquences;
  • la manipulation génétique, l’ensemencement des nuages et autres techniques, que l’humanité utilise ou compte utiliser, même si elle connaît les conséquences néfastes de ces innovations;
  • d’autres exemples des conséquences d’un problème avec le cortex orbitofrontal, dont l’absence d’empathie et de sentiment de culpabilité, même face à des actions répugnantes et horribles.

Human monster : L’auteur explique comment se déclenchent des réactions d’empathie dans le cerveau sous l’impulsion du cortex orbitofrontal et donne des exemples de ce fonctionnement et de ses défaillances chez les psychopathes, puis de son absence au sein de l’humanité. Il montre aussi que l’empathie des individus humains croît en fonction inverse de la distance d’une espèce avec la sienne sur l’arbre de l’évolution, et parfois aussi de son niveau de domestication. Pour étouffer notre empathie, notre vocabulaire distingue souvent le nom de la viande de celui de l’animal d’où elle vient (c’est plus clair en anglais, avec par exemple cow-beef et pig-pork).

No future : L’auteur nous donne cette fois des exemples d’impulsivité, de gestes commis sans penser à leurs conséquences. Il explique comment la grande majorité des individus contrôlent leur impulsivité, notamment grâce au conditionnement aversif (qu’il explique avec des exemples) qui entraîne une inhibition de l’action, si cet individu n’a pas de problème avec son cortex orbitofrontal ou de communication entre ce cortex et l’amygdale cérébrale. Or, je le répète, l’humanité n’a pas de cortex orbitofrontal… Les rapports scientifiques, les canicules, les ouragans, les sécheresses, les inondations, les pandémies et autres catastrophes ont beau lui lancer des signaux, elle les ignore et fonce toujours aussi rapidement dans le mur. À cette absence de cortex orbitofrontal s’ajoutent des institutions qui accélèrent la rencontre avec le mur, comme les élections fréquentes (qui favorisent les politiques de court terme), la bourse et les profits immédiats, la concurrence locale et internationale (si je ne le fais pas, un autre va le faire), l’obsolescence planifiée, le mode de rémunération des PDG, etc. Et, comme tout psychopathe mégalomane, l’humanité compte s’en sortir avec son intelligence supérieure qui saura bien le temps venu lui permettre de sortir de son chapeau magique une solution technologique…

Deuxième partie – La source du mal

Genèse du monstre : L’être humain, comme les autres animaux, est à la base empathique. Comment se fait-il alors que l’humanité ne le soit pas? L’auteur explique le processus d’apparition et de propagation de l’empathie (elle améliore la survie), surtout si elle est préférentielle. Cela signifie qu’on aurait tendance à aider plus ses proches que des personnes inconnues, et même des personnes qui nous ressemblent davantage que les autres (pensons au cas récent de l’absolution de Simon Houle par le juge Mathieu Poliquin, deux gars qui se ressemblent beaucoup). De même, d’autres éléments communs (groupes, croyances, affinités sportives, vestimentaires, professionnelles, musicales, politiques, etc.) favorisent aussi l’empathie. Mais, cela ne veut pas dire qu’on n’aidera jamais des personnes qui ne satisfont à aucun de ces critères, surtout dans une société qui est basée sur l’égalité entre les personnes et où la discrimination fait activer notre cortex orbitofrontal.

L’épidémie de psychopathie : L’auteur se penche sur les facteurs qui expliquent les génocides, qui se manifestent bien sûr dans le cortex orbitofrontal. Contrairement aux psychopathes complet.ètes qui sont rares (1 % de la population, je le rappelle), ce que l’auteur appelle les psychopathes occasionnel.les sont très nombreux.euses, ne ressentent aucune empathie (et même de l’insensibilité, voire de la haine) envers des gens différents d’eux et se réjouissent de leurs malheurs, voire de leur éradication.

Naissance du psychopathe global : On a vu que le niveau de psychopathie peut monter d’un cran par la pression de l’appartenance à un groupe, mais il monte d’un autre échelon quand on examine les actions de l’humanité entière envers les groupes qui lui ressemblent encore moins (animaux non humains et végétaux), comme le montre la sixième extinction actuelle. L’auteur précise que cette psychopathie s’est amorcée il y a environ 12 000 ans avec la révolution néolithique qui a séparé l’humanité de la nature (je simplifie, mais l’auteur aussi, même si moins que moi).

Maître et destructeur de la nature : La sacralisation des êtres humains par rapport aux autres êtres vivants a réussi à l’humanité, et, avec d’autres changements (commerce, imprimerie, etc.), a augmenté le niveau d’empathie entre les différents groupes humains, mais a fait augmenter la violence de l’humanité envers les autres êtres vivants et envers la nature en général, qu’elle considère de plus en plus à son service. Et si elle ne peut plus être à son service en raison de sa disparition et de son épuisement, la violence de l’humanité risque de se manifester entre groupes humains…

Troisième partie – Stopper le psychopathe

L’emprisonnement : La seule réponse que la société a trouvée pour se protéger des psychopathes est de les enfermer, car il est impossible de les guérir. Mais, c’est plus difficile d’enfermer l’humanité, quoique la pandémie de COVID-19 l’ait fait pendant quelque temps. L’auteur donne des pistes sur la façon de réaliser cet enfermement et ajoute que ce n’est pas la seule ni la meilleure solution.

L’obligation de soins psychiatriques : Ces soins devraient viser chacune des quatre caractéristiques des psychopathes :

  • démonter l’ego : il s’agit de la plus facile à traiter, car elle repose sur un mensonge. En effet, «l’humanité n’est pas l’espèce la plus merveilleuse de la planète, mais la pire», affirmation que l’auteur développe avec de nombreux exemples. Même son intelligence peut être remise en question, elle qui ne cherche pas à modifier son fonctionnement ou le mode de vie de ses membres, même «pour éviter sa propre destruction». L’auteur présente ensuite les moyens de dégonfler cet ego, notamment en lui créant un équivalent du cortex orbitofrontal (solution qui touche les quatre caractéristiques psychopathiques de l’humanité);
  • ne plus manipuler : pour ça, il faut inverser les relations de l’humanité avec les autres êtres vivants et avec l’environnement, en les considérant comme des fins et non comme des moyens (notons que cela va dans le sens d’une recommandation de l’ONU annoncée en cours de rédaction de ce billet). Les solutions proposées par l’auteur pour atteindre cet objectif sont institutionnelles (avec entre autres la création d’un organisme supranational ayant des pouvoirs de contrainte, aidé notamment par l’intelligence artificielle), juridiques et comptables;
  • recréer l’empathie : la première étape pour recréer l’empathie est que l’humanité reconnaisse la souffrance du vivant et développe de l’empathie envers les écosystèmes. La protection du vivant et des écosystèmes pourrait aussi être confiée à l’organisme supranational. D’ailleurs, des pays ont accordé un droit à la nature (ou une personnalité juridique, notamment à des fleuves), même si ces droits ont parfois été retirés. L’auteur donne ensuite des exemples de situations qui font perdre leur empathie à des gens, notamment en exécutant des ordres (ce qui fait baisser l’activité du cortex orbitofrontal), ce que Hannah Arendt a appelé la banalité du mal et des chercheur.es l’état ou le piège agentique. Il explique ensuite comment se sortir de ce piège et applique cette solution à celui dans lequel l’humanité est coincée;
  • penser le futur : l’auteur recommande notamment (je ne peux pas tout dire…) de doter les institutions et les entreprises d’un mécanisme permettant d’anticiper les conséquences de leurs activités (température, acidification des océans, pollution, nuisance aux écosystèmes, etc.) qui leur ferait abandonner celles qui ont des effets négatifs à moyen et long termes. Il souligne le frein à cette mesure que représente la concurrence et propose des moyens pour le contourner.

Tuer Human psycho : Il ne s’agit pas ici de viser l’extermination de l’espèce humaine, mais bien de réduire les relations et les interconnexions entre les êtres humains. L’auteur précise qu’il s’agit d’une solution de dernier recours, à mettre en œuvre si les soins psychiatriques présentés dans le chapitre précédent ne fonctionnent pas…

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre complète bien les deux précédents de Sébastien Bohler que j’ai présentés sur ce blogue (Le bug humain et Où est le sens?). Je le recommande toutefois avec moins d’enthousiasme que les précédents. S’il complète bien les précédents, il est beaucoup moins rigoureux. Il s’agit selon moi davantage d’un livre pour faire réfléchir qu’un livre pour apprendre comme les deux premiers. Ce livre est plutôt un livre à thèse. Si son diagnostic que l’humanité est psychopathe est bien démontré, il ne cherche pas à déterminer si ses quatre critères s’appliquent aussi à d’autres espèces (par exemple aux chats et à 1786 autres espèces exotiques envahissantes?). En fait, la grande spécificité de l’humanité est que sa psychopathie est celle qui nuit le plus à la survie de toutes les espèces, tandis que celle des autres animaux, si elle existe, porterait moins à conséquence.

Pour les biens de sa thèse, l’auteur minimise par ailleurs selon moi l’importance des comportements individuels. Quand les gens se plaignent des délais pour obtenir leur passeport ou pour récupérer leurs bagages dans les aéroports, et ce dans de nombreux pays, je me demande plutôt pourquoi ils veulent tant bouger, sachant que chaque voyage cause des émissions de GES importantes. Ces gens, contrairement à l’humanité, ont pourtant un cortex orbitofrontal! Il y a même parmi eux des militant.es environnementaux! D’ailleurs, l’auteur cite constamment des comportements individuels pour expliquer la psychopathie de l’humanité, et pas seulement ceux des psychopathes. Il est vrai que ce sont dans bien des cas les pressions de l’ensemble des autres membres de la société qui les portent à agir ainsi, mais je ne les blanchirais pas pour autant. Cela dit, j’insiste, ce livre suscite des réflexions fondamentales, comme cette conclusion le montre bien! Malgré cela, je ne me prononce pas sur ses recommandations qui ont au moins le mérite d’exister! Autre bémol (et je ne parle pas de son titre franco-français, donc en anglais…), les 183 notes, heureusement toutes des références, sont à la fin du livre, ce qui m’a quand même «obligé» à utiliser deux signets.

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