Baldwin, Styron et moi
Avec son livre Baldwin, Styron et moi, Mélikah Abdelmoumen, docteure en littérature et rédactrice en chef de la revue Lettres québécoises, «part à la rencontre de ces deux célèbres auteurs américains du 20e siècle [William Styron et James Baldwin], lesquels auront amorcé le débat entourant les brûlantes questions de l’appropriation culturelle et de la liberté de l’écrivain».
Moi / Eux / Vous / Nous : Née d’un père d’origine tunisienne et d’une Saguenéenne, l’autrice raconte quelques moments de sa jeunesse au Saguenay, à Montréal et un peu en France. Ce n’est qu’à l’âge adulte qu’on lui a fait sentir qu’elle n’était pas comme les autres Québécois.es et ensuite, comme les autres Français.es. Et c’est là-bas qu’elle a lu son premier livre de l’écrivain noir James Baldwin qui savait mettre des mots sur ce qu’elle ressentait. Après avoir terminé son œuvre, elle apprend dans une biographie qui lui a été consacrée que Baldwyn était ami avec un Blanc du Sud, William Styron, l’auteur du livre Le choix de Sophie (un des rares livres que j’ai commencé, mais que je n’ai jamais terminé), dont elle a aussi lu par la suite toute l’œuvre.
William et James : Même s’ils ont des origines presque inverses et s’ils se connaissaient peu, Styron a accueilli Baldwin dans une maison d’invités de sa propriété pendant quelques mois pour lui permettre de terminer un livre. C’est à travers leurs discussions portant aussi bien sur des sujets politiques et raciaux que littéraires et musicaux qu’ils ont développé une complicité qui durera toujours.
William et Nat : The confessions of Nat Turner est un livre sur la vie du meneur d’une rébellion d’esclaves ayant eu lieu en Virginie en 1837 que William Styron a écrit à la première personne à l’invitation (ou à l’injonction) de James Baldwin. L’autrice explique qu’il s’agit d’une fiction, notamment parce que les informations fiables sur Turner et la rébellion sont presque inexistantes.
La polémique : Même si ce livre a reçu au départ un bon accueil, on a rapidement reproché à l’auteur d’avoir usurpé l’histoire des Noir.es. L’autrice résume et commente les reproches contenus dans un livre écrit par 10 auteurs noirs.
Le débat : L’autrice raconte les teneurs d’un débat (qu’on peut entendre sur cette vidéo que je n’ai pas écoutée) qui a un lieu entre Styron et un opposant noir à son livre, Ossie Davis, ne faisant pas partie des 10 auteurs du livre mentionné dans le chapitre précédent, tous deux amis de James Baldwin.
L’après-Nat : Même si les écrits de Baldwin sont de nos jours relativement populaires, il a fait face à de nombreuses critiques de son vivant, aussi bien sur sa vision des relations entre les Blanc.hes et les Noir.es qu’envers son orientation sexuelle (que l’autrice effleure à peine). De son côté, Styron a (entre autres) fait une dépression quelques années après la publication de son livre le plus célèbre (Le choix de Sophie) et a milité pour mieux faire connaître cette maladie.
Parmi les anecdotes racontées dans ce chapitre, une d’entre elles porte sur Robert Kennedy qui aurait comparé la situation des jeunes Noir.es à celle des jeunes Irlandais.es de sa jeunesse. Sans surprise, son interlocutrice, qui lui demandait d’intervenir pour assurer une protection policière à une jeune Noire qui allait fréquenter une école du Sud des États-Unis accueillant jusque là uniquement des jeunes Blanc.hes, a mis fin à la rencontre, outrée, ce qui est bien compréhensible. Cela m’a fait penser au titre du livre le plus célèbre de Pierre Vallières et à la comparaison que ce titre fait entre la situation socio-économique des Noir.es et des Canadien.nes français.es…
À la place de l’Autre : L’autrice raconte une expérience vécue par un journaliste blanc (il ne fut pas le seul). Ce journaliste s’est transformé en un Noir et a pu vivre les humiliations et les menaces que subissent les Noir.es sur une base régulière. Il a en a tiré une série d’articles (et un livre) qui l’ont rendu célèbre, mais qui lui ont attiré, à lui et à sa famille, de nombreuses menaces de mort. Il a d’ailleurs été battu par des membres du Ku Klux Klan (KKK) et a failli en mourir. À l’inverse, un policier noir s’est fait passer pour un Blanc et a infiltré une cellule du KKK avec l’aide d’un collègue blanc pour les réunions. Il en a aussi tiré un livre qui fut adapté au cinéma. Puis, elle donne un autre exemple d’entraide interraciale.
Baldwin, Styron et nous : L’autrice raconte une agression qu’elle a subie en France et le racisme de la policière auprès de qui elle a porté plainte. De retour au Québec, elle ressent encore plus son appartenance à plusieurs cultures et se désole de voir la montée du nationalisme identitaire (je résume et simplifie beaucoup). Elle raconte ensuite un grand nombre d’anecdotes portant sur la confusion des identités culturelles qui permettent de faire le tour de la question, si jamais il est possible de le faire. Et elle conclut que ce livre pourtant si personnel est en fait la somme de la contribution de tant de personnes qu’il est finalement une œuvre collective.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre est très différent de ceux que je lis habituellement. C’est l’histoire d’une amitié, mais aussi des conséquences du nationalisme identitaire présent au Québec et encore plus en France, tout en étant tout autre chose, celle des malaises d’une personne face aux perceptions superficielles que les gens ont d’elle. Il est aussi une lecture différente du concept d’appropriation culturelle. Il est tellement de choses qu’il est surtout un outil de réflexion, car, si on cherche des réponses, on ne les trouvera pas nécessairement dans ce livre (quoique cela ne soit pas exclu), mais en nous-mêmes et en débattant de ces sujets. Chose certaine, ce livre se lit très bien, l’autrice écrit clairement et on comprend bien son message, même s’il est loin d’être linéaire. Autre bon point, les 52 notes, dont elle n’abuse pas, plus souvent des références et des extraits originaux en anglais de citations qui sont reproduites en français dans le corps du texte, mais aussi quelques compléments d’information, sont en bas de page.
Juste se rappeler que l’expression « nègres blancs d’Amérique » date de 1934, mentionnée par un dirigeant du Parti Communiste américain, en référence à la position socio-économique des Québécois. Pierre Fortin, dans une conférence de 2010 sur le 50ème anniversaire de la Révolution Tranquille, qu’encore en 1960, si les Afro-Américains gagnaient 54% du revenu d’un blanc comparable, les Québécois francophones n’en étaient qu’è 52% d’un anglophone.
Ceux qui ont fait un scandale sont soit des Anglo soucieux de faire disparaître le passé ou ceux qui ont compris que la cooptation avec le Canada Anglais passe par la démonisation des Québécois.
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Je tiens tout d’abord à vous souligner que je trouve inacceptable que votre commentaire ne respecte pas mon intention de ne pas utiliser ce titre ou cette expression sur mon blogue (qui est un lieu privé), ni les personnes qu’elle pourrait heurter. Ai-je eu besoin de citer textuellement ce titre pour que vous compreniez de quel livre je parlais? Manifestement pas. Et tout le monde aurait compris de quelle expression vous vouliez parler si vous ne l’aviez pas nommée. J’ai failli refuser votre commentaire pour cette raison, mais j’ai choisi de le laisser pour pouvoir y répondre et clarifier ma position.
Je ne crois pas être un «Anglo soucieux de faire disparaître le passé» ni avoir comme intention de démoniser des Québécois.es, dont moi-même, mais je n’ai jamais lu ce livre parce que, même à l’époque de sa sortie, je jugeais que, avec ce titre, l’auteur profitait de la situation épouvantable des Noir.es des États-Unis pour exagérer celle des Canadien.nes français.es de l’époque. Ma réaction n’a donc rien à voir avec quelque courant que ce soit venant des États-Unis ou avec les facteurs que vous mentionnez.
J’ai toujours déploré aussi que Pierre Vallières ne compare pas (et Pierre Fortin non plus) les revenus des Québécois.es francophones à celui des Noir.es du Québec. En outre, le revenu n’est qu’un des nombreux aspects de la stigmatisation des Noir.es, surtout aux États-Unis, mais ici aussi, aspects que les Québécois.es francophones n’ont jamais subis avec autant d’ampleur. Je ne crois pas avoir besoin d’en dresser la liste.
Ce n’est pas l’appropriation culturelle qui me dérange le plus, mais l’appropriation de la souffrance d’un peuple (ou de plusieurs peuples, en fait). La situation des Québécois.es francophones (pas seulement due aux méchant.es Anglais.es, mais aussi en partie au clergé, ne l’oublions pas, notamment en raison du retard en scolarisation) était déjà assez déplorable en elle-même sans qu’on ait besoin de la rendre pire qu’elle ne l’était en minimisant celle des Noir.es et en banalisant leurs souffrances,
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