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Les passagers clandestins de la lutte contre le réchauffement climatique

29 septembre 2022

passagers clandestins de la lutte contre le réchauffement climatiqueOn parle beaucoup des conspirationnistes qui nient qu’il y a un réchauffement climatique ou encore qu’il est causé par les êtres humains. Cela dit, ces gens sont relativement peu nombreux et il est relativement facile de les contredire, et cela est de plus en plus facile année après année en raison de la multiplication des événements qui peuvent isolément s’expliquer par d’autres facteurs, mais pas leur ampleur croissante ni leur fréquence de plus en plus élevée.

La campagne électorale a toutefois fait ressortir un argumentaire bien plus pernicieux que le simple déni. C’est le comportement du passager clandestin. Les personnes qui adoptent ce comportement avancent sans rougir que la contribution du Québec aux émissions de gaz à effet de serre (GES) est tellement faible que même si sa population n’en émettait pas, cela ne changerait à peu près rien. Ce type d’argument est plus difficile à contrer que celui des négateur.trices du réchauffement climatique, justement parce qu’il repose sur des faits qui sont vrais.

Par contre, ce que ces personnes disent des quelque 8,6 millions d’habitants du Québec est aussi vrai de chacun des quelque 900 autres groupes de 8,6 millions d’habitants qui vivent sur cette planète. En fait, c’est en moyenne encore plus vrai pour ces 900 autres groupes, car les émissions des Québécois.es étaient en 2019 près de 60 % plus élevées que la moyenne mondiale (9,9 tonnes d’équivalent CO2 par personne au Québec par rapport à la moyenne 6,27). Elles étaient aussi le double des émissions par habitant des Suédois.es (5 tonnes), un pays ayant bien des caractéristiques communes avec le Québec, mais dont le transport contribue beaucoup moins qu’au Québec (1,5 tonne par rapport à 3,4), parce que les Suédois.es utilisent bien plus les transports en commun que les Québécois.es, ce que QS vise justement en premier lieu avec son plan climat. En plus, la contribution historique des Québécois.es aux émissions de GES est proportionnellement encore plus importante que celle des habitants des autres pays, et ce sont ces contributions historiques qui expliquent le réchauffement actuel et les désastres récents. Cela accroît leur responsabilité et leur obligation morale d’en faire plus que les autres pays pour diminuer leurs émissions.

Finalement, l’avantage de faire diminuer les émissions de GES n’est pas uniquement mondial et lié au réchauffement climatique. En effet, la lutte au réchauffement climatique contribue aussi à la diminution de la congestion et de la pollution, et par le fait même à une meilleure santé et à une meilleure qualité de vie. On oppose en outre de façon erronée la lutte au réchauffement climatique à l’économie et on l’associe trop souvent à des sacrifices alors que, comme on vient de le voir, elle peut au contraire contribuer à améliorer la qualité de vie.

Le dilemme du prisonnier et les passagers clandestins

Résumé brièvement, le dilemme du prisonnier est «une situation où deux joueur.euses auraient intérêt à coopérer, mais où de fortes incitations peuvent convaincre un.e joueur.euse rationnel de trahir l’autre lorsque le jeu n’est joué qu’une fois.». De façon plus large, on peut appliquer ce dilemme à des situations où il y a plus de deux «joueur.euses», soit quand les participant.es, qui peuvent être très nombreux.euses, ont globalement intérêt à coopérer, mais où chaque individu est personnellement incité à ne pas le faire et à agir comme un passager clandestin.

Ce type de comportement est une des justifications de l’existence des États. Sans gouvernements, on n’aurait pas (ou peu) de routes, de déneigement, d’aqueducs, et de bien d’autres services publics (éducation, santé, services sociaux, services de garde, etc.), car, sans impôts ou taxes obligatoires, chaque individu serait incité à ne pas contribuer, pouvant profiter sans frais de ces services, devenant un passager clandestin. Le reste de la population serait alors incité à cesser de «payer pour les autres» et nous n’aurions plus aucun service public. Nous serions donc tous des passagers clandestins… de rien!

Même avec la présence d’un gouvernement et de sanctions pour les resquilleurs, il y aura toujours des passagers clandestins qui essaieront de profiter de services ou de ressources au détriment des autres, que ce soit en pêchant plus que son quota, ou en demandant de ne pas payer de cotisations syndicales tout en profitant de la protection et des conditions de travail négociées grâce au rapport de force collectif et payées par les autres… Mais, grâce aux contrôles et à la réglementation, ils demeureront une faible minorité et feront bien moins de tort que si nous n’avions pas d’État.

Passagers clandestins internationaux

Mais, pour les biens communs mondiaux, comme d’avoir un climat propice à la vie, il n’y a pas de gouvernements équivalant à ceux de chacun des États. À la place, il y a des ententes internationales. Ces ententes, sans pouvoirs coercitifs, reposent sur la bonne foi des participant.es et sur leur désir de garder une bonne réputation. Malheureusement, il y a des gens, et même des politicien.nes, dans tous les pays qui se disent que leur contribution, ou même celle de leur ville, de leur région ou de leur pays, ne change pas grand-chose au bilan mondial des émissions de GES.

Et plus il y a de passagers clandestins, plus d’autres villes, régions ou pays sont portés à le devenir aussi. Heureusement, l’inverse est aussi vrai. Comme je l’ai fait en comparant les émissions des Québécois.es et des Suédois.es, et comme Montréal l’a fait en se basant sur des initiatives adoptées dans d’autres villesAmsterdam, Paris, Bruxelles, Londres et plusieurs autres villes»), les bon.nes joueur.euses servent d’exemples aux autres villes, régions ou pays. Il y a donc un effet d’entraînement lorsqu’un pays réduit beaucoup ses émissions. On pourrait aussi ajouter que chaque fraction de degrés que les baisses d’émissions permettent réduit l’ampleur des désastres que le réchauffement entraîne.

Et alors…

Je pense que mes arguments sont bons, mais je dois écrire un texte d’au moins 1000 mots pour le faire valoir, alors que les personnes qui disent que cela ne sert à rien de faire baisser les émissions de GES du Québec parce qu’elles représentent moins de 0,2 % des émissions mondiales n’ont qu’une courte phrase à écrire. Le problème, c’est, comme je le disais, que tous les groupes de quelques millions d’êtres humains peuvent dire sensiblement la même chose. Et il y en a trop qui ne se gênent pas pour le faire.

Une des citations les plus odieuses que j’ai lue à ce sujet vient de Joe Oliver, qui étaient ministre des Ressources naturelles du Canada sous le gouvernement Harper, qui a dit sans aucune gêne que, en 2010 «les sables bitumineux ne contribuaient que pour 0,1 % aux émissions mondiales de GES». C’est vrai, mais c’est plus que la moitié des émissions de tout le Québec et cela représentait en 2014 près de 10 % de l’ensemble des émissions du Canada. Et cela ne tient pas compte des émissions générées par les utilisateurs de ce pétrole, qui sont de trois à quatre fois plus élevées! Cela dit, même en comptant la sous-estimation des émissions provenant de l’exploitation des sables bitumineux (de 30 %, selon une étude de chercheur.euses d’Environnement et Changement climatique Canada) et son utilisation, on resterait au-dessous de 1 % des émissions mondiales. Est-ce que ce fait justifie le moindrement de ne rien y faire? Bien sûr que non!

Les sociétés de transport aérien utilisent le même genre d’argument pour défendre leur industrie, soulignant que leurs activités ne génèrent «que» 2,1 % des émissions mondiales, même si d’autres sources parlent de 3,5 % et même de 3,8 %. Pendant ce temps, des médias publient servilement des textes promotionnels de l’industrie vantant ses efforts pour limiter ses émissions (notons que celles attribuables aux voyages internationaux ne sont pas comptabilisées par les pays et que celles faites par les voyageur.euses et touristes durant leurs voyages ne sont pas comprises dans la proportion estimée entre 2 et 4 %), alors que le Parlement européen craignait en 2015 que la part d’émissions de ce secteur atteigne 22 % du total mondial en 2050! Mais, pour l’instant, cette industrie joue aussi au passager clandestin en disant que sa contribution est trop faible pour avoir un impact notable sur les émissions mondiales. Pire, elle ne se gêne pas pour demander de l’aide gouvernementale à la sortie de la pandémie (en fait, avant même d’en être sorti!), aides même recommandées par des organismes internationaux comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en ajoutant des clauses d’une illusoire transition verte dans cette industrie.

Il en est de même de l’élevage. Même si sa contribution varie énormément selon les évaluations, elle est au moins de 14,5 % du total (estimation que j’ai vue le plus souvent). Même si cette «industrie» a plus de difficulté à prétendre que l’élimination de sa contribution ne changerait rien, elle peut toujours tenter de scinder sa contribution entre les différents types d’élevage, ou encore de faire la promotion de méthodes technologiques qui ne sont pas appliquées pour les réduire, ce dont elle ne se prive pas!

Bref, chaque citoyen.ne ou groupe de citoyen.nes et chaque industrie peut invoquer qu’elle n’est pas responsable du réchauffement climatique alors que nous et elles le sommes tou.tes! La question n’est pas de savoir si la contribution de chaque personne, de chaque pays ou de chaque industrie est suffisante pour que sa réduction ait un impact significatif sur les émissions de GES, mais que tout le monde réduise ses émissions le plus possible, en visant en premier lieu les secteurs les plus émetteurs comme l’exploitation des énergies fossiles, l’élevage et le transport routier et aérien. En fait, si un pays comme le Canada montrait qu’il prend des dispositions pour diminuer, voire abolir, la contribution des sables bitumineux, que le Québec le faisait pour réduire le plus possible celle de ses transports et de ses autres secteurs les plus émetteurs, et que d’autres pays en faisaient autant, les autres passagers clandestins risqueraient de trouver plus inconfortable de rester clandestins et pourraient se joindre aux meilleur.es joueur.euses! De toute façon, nos passagers clandestins proposent-ils d’autres solutions? Bien sûr que non, puisqu’il n’y en a pas!

7 commentaires leave one →
  1. Jacques Laurin permalink
    29 septembre 2022 10 h 26 min

    https://youtube.com/clip/Ugkxr77DjPucaJgWCol_4cEPSo6wdqs-yIXk

    Aimé par 1 personne

  2. 29 septembre 2022 12 h 02 min

    Pas sûr de comprendre ce qu’il veut dire… Est-ce que ce que je propose arrose le haut des flammes ou leur base?

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  3. 1 octobre 2022 23 h 30 min

    Merci pour cet intéressant billet.

    L’argument des « clubs climatiques », auquel vous faites implicitement référence vers la fin de votre billet, est ce que j’ai trouvé de mieux pour affaiblir la position des resquilleurs. Sans règles de gouvernance, sans contraintes (les COPS), la tentation de « free rider » est vraiment très forte et tout à fait rationnelle dans une logique d’intérêt individuel.

    Aimé par 1 personne

  4. 1 octobre 2022 23 h 42 min

    Clubs comme dans les biens de club?

    L’idée pour moi est de ramener l’intérêt individuel vers l’intérêt collectif avec la «menace» de l’isolation et de la honte. Ça marche bien en Suède, semble-t-il et cela peut aussi marcher entre pays. Sans contrainte ou sans pouvoir coercitif, il n’y a pas beaucoup d’autres solutions.

    J’aime

  5. 2 octobre 2022 5 h 25 min

    Merci, je ne connaissais pas.

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