Évolution du pouvoir d’achat des employé.es de l’administration québécoise
L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a publié le 13 septembre dernier un document intitulé Étude sur l’évolution du pouvoir d’achat des employé.es de l’administration québécoise durant la décennie 2010. J’aurais bien voulu en parler avant, surtout que je n’ai rien vu dans les médias à ce sujet, mais un autre événement m’a fait retarder cette présentation…
1. Évolution de la rémunération dans l’administration québécoise
Entre la période de juillet 2009 à juin 2010 et celle des mêmes mois de 2019 et 2020, le salaire moyen réel (en tenant compte de l’inflation) dans l’administration publique québécoise (incluant les réseaux publics de l’éducation et de la santé, mais excluant la haute direction, les sous-ministres et les hors-cadres) a augmenté de 5,2 %, hausse passant de 0,4 % pour les employé.es de bureau et 0,5 % pour les infirmier.ières bachelier.ières à 9,0 % pour les agent.es de la paix (voir le tableau au haut de cette page). Lorsqu’on tient en plus compte de la rémunération supplémentaire, des primes et des avantages sociaux, on obtient le coût global moyen de la rémunération, dont la hausse réelle a atteint 10,1 %, s’échelonnant de 5,4 % pour les employé.es de bureau et les technicien.nes à 19,6 % pour les infirmier.ières auxiliaires. Cette hausse, près de deux fois plus élevée que celle des salaires, s’observe surtout du côté de la rémunération supplémentaire et des primes (rémunération qui inclut aussi les allocations, la majoration du traitement, le remboursement de congés de maladie et les montants forfaitaires) qui ont augmenté de 70,7 %, hausse passant de seulement 5,1 % pour les agent.es de la paix à 142,8 % (!) pour les infirmier.ières auxiliaires (voir le tableau au haut de cette page pour plus de précision). Cette comparaison est selon moi bancale, car les données pour 2019-2020 incluent la rémunération supplémentaire et les primes versées par le gouvernement jusqu’en juin 2020 dans le contexte de la pandémie de COVID-19, sommes qui ne pourront que diminuer au cours des prochaines années. Ce facteur explique la hausse spectaculaire des primes et la rémunération supplémentaire versées aux infirmier.ières auxiliaires, catégorie d’emplois qui inclut probablement les préposé.es aux bénéficiaires (ce n’est pas indiqué clairement dans le document).
Le tableau ci-haut résume l’évolution de ces hausses en dollars constants de 2020 entre le début et la fin de la période étudiée, et celle de la part relative de chacun des composants du coût global de la rémunération réelle. On voit que la part des salaires a diminué (de 80,1 % à 76,5 %) pendant que celles des avantages sociaux («régimes de retraite, assurances et régimes étatiques») et de la rémunération supplémentaire et des primes augmentaient beaucoup (de 4,5 % à 7,0 % et de 15,4 % à 16,5 %), ce qui montre encore une fois l’influence de la rémunération spéciale remise en raison de la pandémie.
La proportion d’employé.es régulier.ères à temps plein, les mieux payé.es, est passée de 59,9 % à 66,3 % au cours de cette période, pendant que celle des employé.es régulier.ères à temps partiel diminuait un peu (de 15,5 % à 14,8 %) et que celle des autres employé.es (occasionnel.les, saisonnier.ères, etc.), les moins bien payé.es, diminuaient davantage (de 24,6 % à 18,9 %). Notons que le changement de ces proportions explique en partie par effet de composition la hausse de 5,2 % des salaires réels, puisque la hausse fut en fait de 3,7 % pour les employé.es régulier.ères à temps plein, de 4,1 % pour employé.es régulier.ères à temps partiel et de 2,2 % pour les autres employé.es, trois hausses nettement inférieures à la moyenne. Notons que cette précision n’est pas dans l’étude… De même, la proportion des emplois dans les professions les mieux payées a augmenté, créant un autre effet de composition (voir le tableau au bas de cette page). Par exemple, la proportion d’infirmier.ières bachelier.ières est passée de 3,1 % à 5,2 %, alors que celle d’infirmier.ières, moins bien payé.es que les bachelier.ières. passait de 7,0 % à 5,1 %. De même, pendant que la proportion d’employé.es de bureau passait de 17,1 % 16,3 %, celle de professionnel.les passait de 12,7 % à 14,8 %.
Le document présente aussi des données selon l’âge, mais, même s’il y a eu quelques changements dans la part relative par tranche d’âge, elles ont été mineures et n’ont pas eu d’impact évident sur le salaire moyen.
2. Contexte général : négociation des conventions collectives, équité et relativité salariales, environnement économique et marché du travail au Québec
On peut voir sur le tableau sur cette page les faits saillants des conventions collectives qui ont encadré la rémunération au cours de la décennie 2010. On doit noter que les montants forfaitaires mentionnés n’ont pas été intégrés aux échelles salariales et n’ont donc pas influencé le niveau salarial des années de départ et d’arrivée de la période (2009-2010 et 2019-2020).
Cette section présente aussi les effets des exercices d’équité salariale et «de relativités salariales portant tant sur les emplois à prédominance féminine ou masculine que sur les emplois mixtes» entamés en 1989 (!). Ce n’est finalement qu’en 2013 que les «ajustements salariaux aux personnes appartenant à certaines catégories d’emplois» ont été apportés dans le cadre de l’exercice d’équité salariale, y compris des paiements rétroactifs allant selon les cas de juin 2008 à décembre 2011. L’exercice de relativités salariales a de son côté été réglé au cours de la période allant de 2015 à 2020 pour «assurer l’équité interne entre les catégories d’emplois». Ces ajustements sont entrés en vigueur le 2 avril 2019. Ces deux exercices ont évidemment eu un impact important sur les hausses mentionnées dans la section précédente, car leurs résultats ont été intégrés aux échelles salariales. Par contre, on mentionne que toutes les conventions collectives n’avaient pas encore été signées au moment de la production de ce rapport, mais que celles touchant la grande majorité des employé.es l’avaient été.
3. Évolution de la rémunération pour l’ensemble des salarié.es du Québec
Comme on peut le voir dans le tableau qui suit, la croissance réelle des salaires et traitements (ce qui correspond au total des salaires, des primes et de la rémunération supplémentaire de la première section pour l’administration québécoise) de l’ensemble salarié.es du Québec s’est élevée à 10,4 % au cours de cette décennie, celle des avantages sociaux de 24,4 % et celles de la rémunération totale de 12,4 %, soit 2,3 points de pourcentage de plus que pour les employé.es de l’administration québécoise (10,1 %).
L’écart entre ces deux types de salarié.es est en fait un peu plus grand, car les employé.es de l’administration québécoise font partie de l’ensemble salarié.es du Québec et leur rémunération fait baisser la moyenne globale. Cela dit, il est certain que la hausse de la rémunération totale de l’ensemble salarié.es du Québec s’explique aussi par des effets de composition, mais, comme le document ne fournit aucune autre information à leur sujet, ils sont impossibles à quantifier.
4. Analyse comparative des décennies 1980, 1990, 2000 et 2010
Le tableau qui suit présente la croissance réelle des salaires et traitements moyens et de la rémunération totale moyenne pour les employé.es de l’administration québécoise et pour l’ensemble des salariés du Québec pour les décennies 1980, 1990, 2000 et 2010.
Ce tableau montre clairement la particularité de la décennie analysée depuis le début de ce billet, ayant été la seule qui a résulté en une croissance réelle de plus de 5 % de la rémunération totale des employé.es de l’administration québécoise, alors que ce fut le cas pour trois décennies sur quatre pour l’ensemble des salarié.es du Québec. Encore là, je rappelle que la hausse au cours de la dernière décennie a été gonflée en raison des hausses salariales spéciales, des primes et de la rémunération supplémentaire au cours des premiers mois de la pandémie. En fait, cette rémunération a même baissé un peu au cours des deux premières décennies, la hausse de la deuxième n’ayant pas compensé totalement les pertes de la première.
Au bout de ces quatre décennies, la rémunération totale (ou coût total) des employé.es de l’administration québécoise a augmenté de 16,6 %, 2,3 fois moins que la hausse de 37,4 % de la rémunération totale de l’ensemble des salarié.es. Je rappelle que, comme les employé.es de l’administration québécoise font partie de l’ensemble des salarié.es, l’écart est en fait plus grand entre les salarié.es de l’administration québécoise et les autres salarié.es, car la hausse de la rémunération des premier.ières fait baisser la moyenne de la hausse de l’ensemble des salarié.es. On notera aussi que la hausse de la rémunération totale de l’ensemble des salarié.es a été supérieure à celle des employé.es de l’administration québécoise au cours de chacune de ces quatre décennies.
Le tableau qui suit présente la croissance réelle du salaire moyen pour l’ensemble des employés de l’administration québécoise et par catégorie d’emplois au cours des décennies 1980, 1990, 2000 et 2010. On notera toutefois que, comme certaines catégories d’emplois ont été modifiées au cours de ces décennies, elles ont dû être regroupées pour que les données soient comparables.
Le salaire moyen de six des huit catégories a augmenté en 40 ans. La baisse la plus forte a été observée chez professionnel.les (-8,8 %), ce qui pourrait expliquer les difficultés de recrutement pour plusieurs de ces professions, notamment pour les ingénieur.es, les informaticien.nes, les pharmacien.nes d’établissement, les professionnel.les non enseignant.es du réseau scolaire et les psychologues. La hausse la plus forte se retrouve chez les infirmier.ières et les infirmier.ières bachelier.ières (27,5 %), sûrement par effet de composition en raison de la hausse du nombre de bachelier.ières et la baisse du nombre de non bachelier.ières, comme on l’a vu plus tôt dans les données de la décennie 2010.
Et alors…
Le premier intérêt de cette étude est pour moi de permettre de comparer l’évolution de la rémunération des employé.es de l’administration québécoise avec celle du reste du salariat. À ce sujet, il demeure une inconnue majeure, l’impact des effets de structure. J’en ai parlé pour les employé.es de l’administration québécoise, mais je n’ai pas pu le faire pour les autres salarié.es, mais il est clair que cet effet fut énorme en quatre décennies. Par exemple, alors que la population adulte en emploi ayant un baccalauréat a augmenté de 211 % entre 1990 et 2021, celle ayant moins qu’un diplôme d’études secondaires (DES) a diminué de 60 %, selon le tableau 14-10-0118-01 de Statistique Canada.
Cela dit, comme l’écart est tellement grand entre les hausses de rémunération des deux groupes et comme il s’est manifesté au cours de chacune des quatre décennies, on voit que la politique de rémunération des gouvernements depuis 40 ans explique en bonne partie pourquoi il y a tant de postes vacants au sein de la fonction publique et pourquoi ils sont aussi difficiles à pourvoir. Et ce ne sont pas que les employé.es de l’État qui en subissent les conséquences, mais aussi la population, surtout celle qui a le plus besoin de leurs services et qui n’a pas les moyens de se les procurer dans le secteur privé.