Aller au contenu principal

Désastres touristiques

24 octobre 2022

Désastres touristiquesAvec son livre Désastres touristiques – Effets politiques, sociaux et environnementaux d’une industrie dévorante, Henri Mora s’en prend au tourisme qui est né avec le capitalisme industriel et «a pris un essor fulgurant dans les années 1950». Il considère que, «dans un monde de production et de consommation de masse», le tourisme «s’est imposé de manière évidente, et a contribué à élargir la sphère marchande à de nombreux domaines tout en s’intégrant complètement au quotidien».

1. Souvenirs, histoires et Histoire : L’auteur se rappelle des souvenirs de jeunesse quand ses parents et lui prenaient leurs vacances dans l’Espagne franquiste, puis raconte une version brève de l’histoire du voyage et du tourisme, activité de masse qui est relativement récente qui profite de nos jours des réseaux sociaux pour croître toujours plus.

2. Le tourisme en question : L’auteur montre que le tourisme nuit considérablement à la qualité de vie des personnes qui habitent les lieux fréquentés par les touristes (et pas seulement par la popularité des logements loués à court terme, comme par Airbnb), en plus d’entraîner des conséquences environnementales très négatives (émissions de GES, pollution, etc.). Les conditions de travail des personnes qui occupent les emplois en tourisme sont en grande majorité mauvaises, à une époque où on aurait en plus bien besoin de main-d’œuvre dans des emplois plus importants pour les populations locales. Il aborde ensuite le tourisme malsain (de lieux où des événements tragiques sont survenus, notamment) et dit d’authenticité (qui la détruit en la monnayant), sans parler du tourisme sexuel. Il conclut que le tourisme n’a pas d’odeur…

3. La société en a conscience : Les gens adoptent toutes sortes de moyens pour réduire leurs émissions de GES, mais ne semblent pas conscients que les émissions liées au tourisme ne cessent d’augmenter, quoiqu’en disent les représentant.es de cette industrie sur ses tentatives de verdissement, atteignant 8 % des émissions mondiales en 2018, proportion en hausse constante.

4. Contestations : De plus en plus de mouvements, dans de plus en plus de villes, organisent des actions contre le tourisme, surtout contre la location à court terme de logements, mais aussi sur d’autres effets négatifs du tourisme sur l’environnement, les terres agricoles, les dépenses gouvernementales en infrastructures «inutiles». Si ces mouvements ont réussi à bloquer quelques projets, ceux-ci ont souvent été simplement déplacés. L’auteur aborde ensuite les effets de la pandémie sur les émissions de GES, effets beaucoup plus faibles qu’on l’anticipait, avec une baisse quotidienne maximale de seulement 17 % lorsque les confinements étaient à leurs sommets. Cela montre que pour les faire diminuer suffisamment pour restreindre l’ampleur du réchauffement climatique, il faut plus que des arrêts temporaires de production, mais un changement majeur dans nos modes de vie et de production d’énergie. Et, pour atteindre cet objectif, il faut cesser de tout marchandiser, notamment la mobilité avec le tourisme.

5. Gestion et relance par la transition ou la diversification : Le tourisme a été mis à l’arrêt durant la pandémie. Le nombre de touristes internationaux a même diminué de 98 % entre mai 2019 et mai 2020, selon l’Organisation mondiale du tourisme, pour une baisse totale de 56 % et une perte de 320 milliards $ et de 62 millions d’emplois entre 2019 et 2020, baisse toutefois amoindrie par une forte croissance du tourisme intérieur, quoique le tourisme d’hiver a subi au même moment les effets du réchauffement climatique. Cela dit, bien des États, notamment en France, ont compensé ces pertes et ont même investi davantage pour bonifier et étendre l’offre à l’intention des touristes… L’auteur aborde ensuite le cas spécifique du transport aérien et des aéroports dont les activités sont intimement liées à celles du tourisme.

6. Vers une transition ou une diversification : Pendant que les patrons et les gouvernements parlent de la nécessité d’investir dans la transition écologique, le lobby patronal demande des assouplissements à la réglementation environnementale pour favoriser la reprise postpandémique, notamment dans le domaine du tourisme. L’auteur soumet ensuite ses «réflexions sur le devenir du tourisme après la pandémie», mais uniquement pour la France, quoique ces réflexions puissent s’appliquer ailleurs.

7. Transition écologique marchande et complexité : L’auteur analyse l’avenir de la consommation d’énergie dans le cadre d’une économie complexe et le danger croissant de son effondrement, justement en raison de l’augmentation de son niveau de complexité. Le seul moyen de s’en sortir est de réduire la dépendance de nos sociétés aux marchandises, dont au tourisme (je simplifie énormément).

8. Travail, loisir, alternative et réappropriation des moyens de production : La marchandisation du travail a créé une dépendance dont il est difficile de s’extraire et celle du loisir, ici du tourisme, «a prostitué l’originalité et la beauté de tous les lieux». Dans ce contexte, l’auteur se demande ce que changerait vraiment l’appropriation par les travailleur.euses des moyens de production si nous gardons le même objectif de marchandisation. Il aborde aussi

  • le marketing territorial (associé au tourisme de masse), ses caractéristiques et ses conséquences;
  • le remodelage des territoires pour attirer encore plus de touristes et les conséquences économiques et sociales de trop miser sur cette industrie;
  • la répression politique et policière contre les contestataires écologistes;
  • l’exploitation et le mépris des touristes, ainsi que le mépris des populations locales de la part des touristes;
  • la négation de leur état de touristes par bien des voyageur.euses.

9. Désespoirs en désillusions et vice-versa : L’auteur revient sur ses vacances de jeunesse dans l’Espagne franquiste, où tout semblait si beau, même si la terreur régnait dans ce pays. Il se rappelle aussi les communes anarchistes en Espagne qui, même en disant vouloir s’en détacher, copiaient en partie les modes de production marchands (ou capitalistes). Il tente ainsi d’expliquer sa critique du tourisme sous l’angle marchand, même si ses activités sont déjà critiquables en raison de sa nature et de son impact sur l’environnement. Cela dit, «il ne peut y avoir de changement de société si un mouvement social ne s’en prend pas à l’organisation industrielle et capitaliste, à l’argent, au travail, à la marchandise, à l’État, etc.». Il aborde ensuite la promotion du tourisme en France (vouée aux quantités, pas à la qualité ou à la nature de l’activité et à ses conséquences); «l’absence de conscience morale qui règne dans l’entreprise»; puis une proposition d’opposition aux développements touristiques, en attendant de pouvoir s’attaquer au fond du problème, la marchandisation du travail et de toutes les activités économiques.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire, même si ce livre est très différent de ce à quoi je m’attendais, quoique j’aurais dû m’y attendre, car la quatrième de couverture le décrit bien, comme on peut le lire dans l’amorce de ce billet. Je m’étais trop fié à cet article du Devoir qui, sans être trompeur, insiste sur certains aspects seulement de ce livre. En effet, ce livre ne se contente pas de décrire les conséquences négatives du tourisme, ce qu’il fait très bien, mais analyse en plus et surtout ses impacts sociaux et psychologiques en lien avec le capitalisme qui transforme tout en marchandise. Je mets toutefois deux bémols. Tout d’abord, ce livre est très axé sur la France, ce qui rend son analyse pas toujours assez globale, même si ses exemples peuvent être étendus, tout en ayant en tête que le tourisme, surtout international, est une industrie beaucoup plus importante en France qu’ici. Ensuite, les 147 notes sont en fin de livre, aussi bien des références que des compléments d’information parfois substantiels.

Annexe – Un monde de touristes : Cette annexe, située après les notes de fin de livre et proposant quatre textes de Miguel Amorós (avec 14 notes placées à la fin de ces quatre textes…), historien anarchiste, est encore plus incisive que le livre. Ces textes portent sur le tourisme en Espagne, ce qui complète bien ce livre qui critique surtout la situation en France. L’auteur y aborde la situation générale du tourisme et des contestations qu’il entraîne en Espagne; l’impact désastreux des appartements touristiques illégaux à Barcelone; celui encore pire du tourisme sur l’île de Majorque; et les conséquences tout aussi néfaste du tourisme dans les Pyrénées catalanes, surtout axé sur le ski et les autres activités liées à la neige et à la montagne.

Publicité
No comments yet

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :