Une fois le Québec souverain
Avec son livre Une fois le Québec souverain, Nicolas Marceau, économiste, universitaire et homme politique québécois, «propose un argumentaire actuel pour la souveraineté du Québec». Il «examine l’ensemble des aspects du projet, démontrant sa faisabilité technique et économique, démystifiant les arguments contre sa réalisation, définissant les éléments de planification, de persuasion et de négociation qui seront nécessaires à fonder un pays à l’image de tous les Québécois».
Avant-propos : L’auteur analyse la situation actuelle du débat sur la souveraineté du Québec et présente les objectifs de ce livre : mieux comprendre les raisons du déclin actuel de l’appui à la souveraineté; proposer des mesures pour améliorer le positionnement du mouvement souverainiste, tant sur la souveraineté que sur d’autres enjeux; et constituer «un rassemblement de souverainistes ayant pour unique objectif de réaliser la souveraineté du Québec» qui rendrait possible la réalisation de différents projets de société, et non pas un seul. Il présente ensuite ses trois axes d’analyse, indépendantiste et fédéraliste, de gauche et de droite, et nationaliste et multiculturaliste (en fait identitaire et interculturaliste). Cet avant-propos est accessible sur Internet.
Première partie – Les fondements de la souveraineté
1. Faire la souveraineté, ça veut dire quoi? : L’auteur définit le concept de souveraineté, puis explique en détail les conséquences de la souveraineté sur la constitution et les institutions démocratiques; sur les lois et les tribunaux; sur la fiscalité; sur les relations extérieures; sur l’économie; sur les services publics et les programmes sociaux; sur la langue, la culture et les communications; sur le territoire et l’environnement; sur la citoyenneté; sur les droits des minorités; sur les relations avec les nations autochtones.
En annexe à ce chapitre, l’auteur analyse les mandats que peuvent recevoir les banques centrales et les outils dont elles disposent pour mener leur politique monétaire, puis les avantages et désavantages de cinq options sur le choix de la monnaie d’un Québec souverain. Après cette analyse approfondie, il en arrive à la même conclusion que moi…
2. Pourquoi la souveraineté? : Même si d’autres l’ont fait avant lui, l’auteur tient à faire le tour des raisons pour faire la souveraineté en leur donnant une saveur économique. Il mentionne notamment la liberté; le bénéfice d’avoir un État complet; la langue et la culture; le désir de s’améliorer et le sentiment d’appartenance.
3. Faisable, la souveraineté? : L’auteur est convaincu que les deux premiers référendums sur la souveraineté ont été perdus parce que la population a estimé qu’elle était nocive sur les plans économique et financier. L’objectif de ce chapitre est justement de montrer qu’il n’y a en fait rien à craindre de ce côté. Pour ce, il analyse les forces et les faiblesses de l’économie d’un Québec indépendant, puis les finances publiques et le transfert et le renouvellement des accords commerciaux internationaux, y compris avec le Canada. Après ces analyses approfondies (je viens de résumer en quelques phrases environ 50 pages), l’auteur conclut en répondant à la question du titre que, oui, elle est faisable!
Deuxième partie – Où en sommes-nous?
4. Développement du Québec et évolution du souverainisme depuis 1960 : L’auteur analyse l’évolution de l’économie du Québec et de la place de la souveraineté en divisant cette période en trois sous-périodes :
- celle de l’infériorité économique et de l’indépendantisme de gauche et révolutionnaire sans grand impact, des années 1960 à la Révolution tranquille; il parle surtout du FLQ, du PSQ et du RIN, mais aussi d’En Lutte! et du PCO, pas du tout indépendantistes, en les associant à l’UFP et à Option citoyenne (alors que ces deux partis ont été créés environ 20 ans après la dissolution des deux premiers et n’ont rien à voir avec la sous-période dont il est supposé parler), et en profite pour dénigrer QS avec des affirmations mensongères, comme de parler de son adhésion homéopathique à l’indépendance; disons que sa partisanerie péquiste lui enlève toute rigueur et toute crédibilité dans ces affirmations; il mentionne brièvement le RN, qui a quand même récolté 3,2 % des votes à l’élection de juin 1966 (plus de la moitié de l’appui au RIN, avec son 5,6 %), mais sans souligner son alignement à droite, ce qui contredirait sa thèse d’un indépendantisme uniquement de gauche et révolutionnaire à cette époque;
- celle du rattrapage avec la Révolution tranquille à partir de 1960 à un indépendantisme social-démocrate (incarné par le PQ) qui a connu plus de succès, jusqu’à environ 2010; si je suis d’accord en partie, l’auteur passe complètement à côté des années au cours desquelles le PQ a ni plus ni moins rejeté la social-démocratie pour se rapprocher du néolibéralisme (comme avec le beau risque en appuyant les conservateurs fédéraux, avec l’adoption des lois spéciales les plus sévères envers le mouvement syndical, avec les nombreuses périodes de gels du salaire minimum et des salaires dans la fonction publique, avec des compressions à l’aide sociale, en santé et en éducation, etc.);
- celle actuelle, avec l’apparition de nouvelles préoccupations, comme les enjeux environnementaux et les questions identitaires, et un indépendantisme plus axé sur la gauche que la population l’est et qui correspond moins aux préoccupations de beaucoup de Québécois.es; ce discours est étrange, notamment parce que son gouvernement avait annoncé quand il était ministre des Finances (2012-2014) l’ajout de deux paliers d’imposition et un niveau d’imposition plus élevé des gains en capital et des dividendes, alors qu’il n’en a ajouté qu’un (de moins de deux points de pourcentage au lieu de sept), n’a rien changé au niveau d’imposition des gains en capital et des dividendes, et a plutôt coupé à l’aide sociale : cela ne me semble pas vraiment un indépendantisme plus axé sur la gauche; autre aspect étrange de ce discours, il insiste sur le fait que l’indépendantisme devrait s’adapter à la tendance des Québécois.es à l’individualisme et à consommer plus de biens (autos, équipements ménagers et de communication, etc.) au lieu de proposer des mesures visant à changer ce mode de vie face à l’urgence environnementale, alors qu’il avait dit au premier chapitre que l’adoption de mesures environnementales serait plus facile avec la souveraineté.
Il fait ensuite l’éloge de la position environnementale du PQ en qualifiant celle de QS d’extrême et en l’accusant de flirter avec la décroissance, concept que QS a déjà rejeté en congrès. Puis, il défend de façon malhabile et partisane la décision du gouvernement dont il a fait partie d’avoir subventionné l’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti et la construction de l’usine la plus émettrice de gaz à effet de serre (GES) du Québec, la cimenterie McInnis. Il présente ensuite la situation du français au Québec et à Montréal, en insistant surtout sur l’évolution de la langue parlée à la maison, indicateur pourtant peu pertinent pour évaluer la santé du français. Puis, il vante encore la position du PQ et critique encore celle de QS. La routine, quoi! Finalement, il aborde les enjeux identitaires (le concept de discrimination systémique et la laïcité, mais seulement sur la question du port de signes religieux par les employé.es de l’État) et l’immigration. Comme il considère ces enjeux plus litigieux, même au sein du mouvement souverainiste, il les présente de façon un peu moins partisane et sans vraiment prendre position.
5. Le vote des Québécois depuis 1960 : L’auteur présente les résultats des élections québécoises depuis 1960 et les analyse sous trois axes principaux : question nationale, axe socio-économique et identitaire ou interculturaliste, avec comme point de référence le PQ (même s’il n’existait pas au début de cette période), comme si les positions des partis, dont celles du PQ, n’avaient jamais changé… Cela fait en sorte que la Révolution tranquille aurait été réalisée par des partis de droite, alors que le parti libéral de l’époque était plus à gauche que le PQ le fut dans la majorité de cette période.
En fait, l’analyse et les conclusions de l’auteur sont basées sur ses hypothèses imprécises, comme les analyses des économistes orthodoxes sont basées sur des hypothèses fausses. Il en arrive en effet à la conclusion que le mouvement souverainiste n’a pas su s’adapter aux nouvelles préoccupations de la population, plus à droite. Non seulement cette conclusion est contestable, mais, en fait, le PQ n’a surtout pas attendu cette conclusion pour virer à droite dès 1980, même si l’auteur le considère à gauche tout au long de cette période et même avant sa fondation!
Troisième partie – Comment faire? : Les prochains chapitres visent à présenter les changements que le PQ devrait apporter pour devenir le véhicule de rassemblement des souverainistes, en commençant par se tenir loin de QS, ce parti rigide, dogmatique et radical (…).
6. Mécanique d’accession et calendrier : L’auteur définit ce qu’il entend par «mécanique», décrit ses étapes, leur séquence et des critères à respecter. Selon lui, le manque de clarté à cet égard a nui au PQ et au projet de souveraineté. Il prétend que QS ne s’est positionné clairement en congrès sur la souveraineté qu’en 2017, alors qu’il l’a fait dans sa déclaration de principes adoptée lors de son congrès de fondation en 2006 et en a précisé la mécanique en 2009 (j’y étais). En 2017, il a plutôt modifié cette mécanique pour la rendre compatible avec celle d’Option nationale dans le but de l’accueillir, ce qui fut fait peu après.
Il décrit ensuite les avantages et désavantages de présenter à l’avance la mécanique d’accession à la souveraineté et les caractéristiques qu’elle doit respecter, puis analyse le nationalisme de réaction et les possibilités de le réactiver ou qu’il se réactive de lui-même. Il aborde ensuite les éléments de la mécanique : types de référendum, l’assemblée constituante, les négociations avec le Canada, les gestes unilatéraux de souveraineté et les négociations de modification constitutionnelle. Il présente finalement en annexe à ce chapitre un jeu constitutionnel basé sur la théorie des jeux.
7. Quel projet de société? : L’auteur explique pourquoi il préfère nettement ne pas associer la souveraineté à un projet de société. Il en profite bien sûr pour fustiger QS, l’associer au marxisme et l’accuser de tourner le dos à la démocratie, voire de tendre vers le totalitarisme et la dictature, rien de moins! Il poursuit en présentant la forme du rassemblement qu’il espère et son programme politique axé uniquement sur la souveraineté et sur la mécanique pour y accéder, laissant ouverte la question des projets de société qui pourraient être proposés par la suite, sauf pour celui de QS qu’il dénature encore et disqualifie.
8. L’édification nationale : Dans ce chapitre écrit avant les précédents (il dit avoir commencé par la fin), il reproche à QS et aux jeunes péquistes de prendre des positions de gauche qui nuisent selon lui au rassemblement des souverainistes. Il propose que, dans la période précédant sa prise de pouvoir et celle la suivant, mais précédant aussi la réalisation de souveraineté, le rassemblement ne procède à aucune réforme et appuie des mesures qui renforceraient la nation québécoise (il parle d’édification nationale) et pour d’autres sujets, les mesures les plus consensuelles ou majoritaires qu’il est possible de le faire. Il éviterait par contre les positions fermes sur les sujets moins consensuels, plus litigieux, et se baserait sur les positions majoritaires dans la population (et non parmi les membres du rassemblement) s’il devait absolument prendre position. Et il ne parle pas de l’urgence climatique, qui devrait attendre, si j’ai bien compris, sauf pour les mesures consensuelles.
Conclusion – Comment faire? : Il conclut et vante sa démarche.
Épilogue : Il conclut encore et souligne l’importance d’intéresser les plus jeunes au projet de pays.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Bof… Je tenais à le lire, car j’ai toujours eu du respect pour ce professeur d’économie avec qui j’ai déjà eu des échanges intéressants avant qu’il se présente pour le PQ. J’en ai moins maintenant (d’échanges et de respect!). Il ne s’agit pas que d’un livre sur la souveraineté, mais aussi d’un livre de propagande pour le PQ et de dénigrement contre QS.
Sa présentation de l’accessibilité à la souveraineté (il ne parle presque jamais d’indépendance) met de côté les embûches qui se présenteraient inéluctablement, comme des problèmes d’adaptation, car l’adaptation est toujours plus complexe que prévue, comme on l’a vu lors de la dévolution des programmes de formation de main-d’œuvre au Québec en 1997 qui ont pris quelques années avant d’être efficaces. Imaginons la dévolution de tous les services fédéraux! Il encense la paix des Braves entre le gouvernement du Québec et les Cris, mais semble ignorer les tensions toujours existantes entre les nations autochtones et le gouvernement du Québec, notamment le mécontentement des Innus sur le développement du nord du Québec et les conflits avec les Mohawks. Il aurait dû s’inspirer de la déclaration beaucoup plus réaliste de Pauline Marois sur le fait que le Québec connaîtrait quelques années de perturbations. Il prétend en plus que les dédoublements s’effaceraient dès la réalisation de la souveraineté tout en assurant le maintien des emplois fédéraux, alors que c’est leur abolition qui apporterait les principales économies d’élimination des dédoublements, économies qui prendraient en fait quelques années à se concrétiser.
Il noircit à l’inverse la situation canadienne, par exemple quand il parle du multiculturalisme, quoiqu’il le distingue finalement de l’interculturalisme qu’il appuie, ou des décisions de la Cour suprême «toujours» contre le Québec (il a en général raison, mais je me souviendrai toujours de la cause de Chantal Daigle alors que la Cour suprême avait rejeté l’interprétation de la Cour d’appel du Québec qui donnait le pouvoir à son conjoint de l’empêcher d’avorter). Et non, le fédéral ne fait pas toujours moins bien que les gouvernements du Québec (programmes de soutien lors de la pandémie, protection des espèces menacées, etc.). On peut très bien reconnaître ces faits et appuyer l’indépendance, comme je le fais! Je trouve bien plus emballant de viser un pays pour ce qu’il apporterait que pour quitter un autre pays en le diabolisant. Il est aussi étrange qu’un livre qui dit viser à créer un rassemblement contienne autant d’attaques (souvent surréalistes…) contre le seul autre parti indépendantiste du Québec.
Notons aussi que les mentions de ses sources laissent souvent à désirer, car il cite fréquemment des documents et non les sources que ces documents utilisent, ce qui nous empêche de pouvoir consulter ces sources. Finalement, un bon point, les 308 notes, aussi bien des références que des compléments d’information, sont en bas de page.