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Rapport sur les inégalités mondiales 2022

2 janvier 2023

Rapport sur les inégalités mondiales 2022Avec leur livre Rapport sur les inégalités mondiales 2022, Lucas Chancel (auteur principal), Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman et leur collaborateur.trices proposent «une radiographie inédite des inégalités mondiales, avec la présentation des dernières données sur les écarts de revenu et de patrimoine à travers le monde, ainsi que de nouveaux résultats sur les injustices liées au genre et les inégalités environnementales». Ils démontrent avec force «que les inégalités extrêmes qui caractérisent nombre de nos sociétés sont le résultat de choix politiques et n’ont rien d’une fatalité».

Avant-propos : Abhijit Banerjee et Esther Duflo considèrent que ce rapport est le vaisseau amiral du Laboratoire sur les inégalités mondiales, lui-même la principale source fiable sur ce phénomène.

Synthèse : La version française de cette synthèse et la version anglaise du livre sont accessibles sur Internet.

Introduction : L’objectif de ce livre est «de présenter les données sur les inégalités les plus récentes et les plus complètes possible afin d’alimenter le débat démocratique sur toute la planète». Il met à jour la version de 2018 (que j’ai présenté dans ce billet) et la complète avec des données sur les inégalités hommes-femmes, sur l’environnement et sur la justice fiscale.

Rapport sur les inégalités mondiales 2022_1 1. Les inégalités économiques dans le monde – repères : Les auteurs définissent tout d’abord le revenu national et le patrimoine national (ou richesse nationale), deux concepts à la base de leurs calculs. Ils décrivent ensuite les inégalités de revenus et celles encore plus importantes de richesses à l’échelle mondiale à l’aide du graphique ci-contre (qui est en français dans le livre) qui montre que les 50 % des adultes les moins riches ne gagnaient en 2021 que 8,5 % des revenus et ne possédaient que 2 % des richesses, alors que les 1 % les plus riches gagnaient 19 % des revenus et possédaient 38 % des richesses. On voit aussi que les 40 % d’adultes qui se situent entre les 50 % les moins riches et les 10 % les plus riches gagnaient à peu près la moyenne des revenus (39,5 %), mais possédaient juste un peu plus de la moitié de leur part des richesses (22 %).

Les auteurs analysent ensuite les inégalités de revenus du marché, totaux et après impôts, et les inégalités de patrimoine entre les pays (voir les deux graphiques sur cette page) et à l’intérieur des régions et des pays (voir les nombreux graphiques aux 12 pages suivantes). Ils abordent aussi :

  • le rôle de la prédistribution et de la redistribution dans le niveau des inégalités, l’impact de la prédistribution dominant partout dans le monde (voir notamment ce billet pour mieux comprendre ces concepts);
  • la méthode utilisée pour établir des comptes nationaux distributifs;
  • les bases de données fiables sur les inégalités mondiales;
  • l’impact de la COVID-19 sur les inégalités entre et à l’intérieur des pays;
  • les liens entre le PIB, le revenu national, le patrimoine national et le pouvoir d’achat.

Rapport sur les inégalités mondiales 2022_22. Les inégalités mondiales de 1820 à nos jours – persistance et mutations d’une extrême inégalité : Après avoir présenté le portrait actuel des inégalités, les auteurs se penchent sur leurs tendances de long terme, qu’ils illustrent tout d’abord dans le graphique ci-contre (que j’ai trouvé en français!) qui montre que les inégalités mondiales de revenus ont toujours été importantes et qu’elles ont augmenté de 1820 à 1920, se sont réduites entre 1920 et 1980, ont augmenté de 1980 à 2000 et ont baissé jusqu’en 2020.

Ils montrent ensuite que le ratio des revenus moyens des 10 % les plus riches sur celui des 50 % les plus pauvres est passé de 18 en 1820 à un sommet de 53 en 1980, avant de revenir à 38 en 2020 (voir le graphique sur cette page) et que l’évolution du coefficient de Gini a suivi sensiblement la même tendance, avec quand même quelques petites différences. Ils abordent aussi notamment :

  • les inégalités à l’intérieur des pays qui évoluent souvent à l’inverse des inégalités entre les pays depuis 1910 (mais surtout depuis 1940);
  • l’évolution des parts des revenus des 1 % et des 0,1 % les plus riches qui ont atteint leur sommet en 1910, ont baissé jusqu’en 1970, ont remonté depuis, mais sans rattraper leur niveau de 1910;
  • l’évolution des inégalités par région;
  • l’évolution des inégalités de revenus avant et après impôt;
  • le rôle des colonies, de l’esclavagisme et de la puissance militaire dans l’enrichissement des pays européens entre 1800 et 1950, et des deux guerres mondiales dans leur affaiblissement par la suite;
  • les limites des données utilisées et la nécessité d’en améliorer la qualité et l’étendue (environnement, santé, etc.).

Rapport sur les inégalités mondiales 2022_33. Pays riches, États pauvres : Ce chapitre porte sur les inégalités de richesse, concept que les auteurs expliquent, en distinguant notamment les actifs (et passifs) financiers des actifs non financiers et le patrimoine public du patrimoine privé. À ce sujet, le graphique ci-contre montre que la valeur totale du patrimoine mondial (ligne verte du haut) est passée de 4,3 fois le revenu national en 1995 à 6,0 fois en 2020, que cette croissance s’est réalisée uniquement du côté du patrimoine privé (ligne bleue) et que celui-ci représentait en 2020 une valeur 7 fois plus élevée que le patrimoine public (ligne rouge), par rapport à un peu plus de cinq fois en 1995. Le graphique en français au bas de cette page montre que le patrimoine public était rendu négatif en 2020 dans cinq des six pays industrialisés présentés dans ce graphique (mais avec le plus d’ampleur au Royaume-Uni et aux États-Unis) en raison de la forte hausse de la dette lors des crises de 2008 et de la pandémie de COVID-19 en 2020. Si la valeur du patrimoine privé a diminué dans ces pays lors de la crise de 2008, elle a au contraire augmenté durant la pandémie, se retrouvant proportionnellement au revenu national en moyenne deux fois plus élevé qu’en 1970. Les auteurs soulignent que la vague de privatisation depuis 1980 a aussi contribué à la diminution de la valeur du patrimoine public. Ils abordent aussi l’évolution des patrimoines privé et public dans quelques pays émergents, et du patrimoine privé détenu à l’étranger par région.

Rapport sur les inégalités mondiales 2022_44. Inégalités mondiales de patrimoine : l’ascension des multimillionnaires : Ce chapitre «est consacré à la distribution du patrimoine des ménages», patrimoine qui équivaut à 4,4 fois le revenu mondial. Si la richesse mondiale a augmenté en moyenne de 3,2 % entre 1995 et 2020, cette croissance fut répartie bien différemment, quoique les données agrégées peuvent donner une impression contraire : hausse de 3,7 % chez les 50 % d’adultes les moins riches, de 3,8 % chez les 40 % qui suivent et de 3,0 % chez les 10 % les plus riches. D’une part, ces hausses s’appliquent sur des niveaux de richesse bien différents (voir le graphique qui accompagne le premier chapitre) et camouflent le fait que cette augmentation a atteint 5,0 % chez les 0,01 % les plus riches et même 9,3 % chez les 0,0000001 % les plus riches (1 sur 100 millions, soit 52 personnes), comme on peut le voir sur le graphique ci-contre. Les auteurs précisent que le niveau le plus bas chez les personnes qui se situent entre les 15 % et les 1 % les plus riches reflète les difficultés vécues par les classes populaire et moyenne des pays riches, surtout lors de la crise de 2008 et au cours de la pandémie de COVID-19. Les auteurs présentent cinq autres graphiques sur ces inégalités sur cette page et les cinq suivantes et y abordent les inégalités par pays, les facteurs qui les expliquent et les types de biens que les détenteur.trices de patrimoine possèdent.

Rapport sur les inégalités mondiales 2022_55. La moitié du ciel ? La part de revenu du travail perçu par les femmes dans le monde : Le graphique ci-contre montre l’évolution de la part des revenus de travail gagnés par les femmes entre 1990 et 2020 dans les principales régions du monde. On voit qu’ils ont augmenté dans sept des huit régions présentées, l’exception étant la Chine (ce qui étonne les deux autrices de ce chapitre), tout en demeurant bien loin de la parité (ligne rouge), la région du Moyen-Orient-Afrique du Nord (MENA) étant de loin celle où les inégalités sont les plus élevées, suivie par l’Asie (sauf la Chine). L’image de cette page illustre la part de ces revenus par tranche de 5 points de pourcentage pour tous les pays du monde en 2020, cette part passant de moins de 10 % dans cinq pays (Yémen, Irak, Arabie saoudite, Qatar et Oman) à un sommet de 45 % en Moldavie (le Canada était à 39 % et la moyenne mondiale à 35 %, en hausse par rapport à 31 % en 1990). Les autrices abordent aussi les taux de rémunération et d’emploi (en ratios de ceux des hommes) par région et la proportion des femmes parmi les 10 % et 1 % les travailleur.euses les mieux rémunéré.es dans quatre pays riches (voir au bas de cette page et au haut de la suivante), proportion en hausse, mais encore très loin de la parité, encore plus parmi les 1 %.

Rapport sur les inégalités mondiales 2022_66. Inégalités mondiales en matière d’émission de carbone : Après avoir présenté l’évolution des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 1850 à 2019, les régions les plus responsables de ces émissions au cours de cette période et l’évolution des taux d’émission par personne depuis 1850 et par région du monde en 2019, les auteurs montre avec le graphique ci-contre que les 50 % qui émettent le moins de GES sont responsables de seulement 12 % des émissions totales (soit un peu moins du quart de la moyenne par personne), alors que les 1 % qui en émettent le plus sont responsables de 17 % du total, soit 17 fois la moyenne par personne et environ 70 fois plus par personne que les 50 % qui en émettent le moins. Les auteurs précisent que les 0,01 % qui en émettent le plus sont responsables de 3,9 % des émissions totales, soit 390 fois plus que la moyenne par personne ou environ 3120 fois plus par personne que les 20 % qui en émettent le moins. Les auteurs abordent aussi l’évolution des émissions de GES par personne et totales des 1 % qui en émettent le plus, les inégalités des émissions de GES entre et à l’intérieur des pays, des recommandations sur l’utilisation de leurs données pour adopter des mesures plus efficaces que celles actuellement prises pour réduire les émissions de GES (dont un impôt sur la richesse du type de celle proposée par QS durant la campagne électorale de 2022 pour réinvestir dans l’éducation, la santé et la transition écologique, mais encore plus progressif et avec des taux plus élevés et une surtaxe basée sur les actifs liés aux énergies fossiles).

7. Comment redistribuer les richesses : Les auteurs expliquent plus en détail la forme que pourrait prendre un impôt sur la fortune (progressif, contrairement à la plupart des taxes foncières actuelles qui sont proportionnelles) et les raisons pour lesquelles il est de plus en plus essentiel d’en adopter, dont le niveau actuel des inégalités de richesse et la nécessité pour l’État de se procurer de nouvelles sources de revenus pour financer les services publics et la transition écologique. Ils présentent trois scénarios d’impôt sur la fortune, dont un confiscatoire pour la partie des fortunes dépassant 100 milliards $ (taux marginal d’imposition de 90 %), ainsi qu’une estimation des recettes régionales pour ces trois scénarios (sur cette page et les trois suivantes), en tenant compte de l’évasion fiscale et de la dépréciation de certains de ces actifs en raison de la présence de cet impôt. Ils décrivent aussi les erreurs à éviter en se basant sur les impôts sur la fortune adoptés auparavant et sur ceux en vigueur actuellement.

8. Taxer les multinationales ou taxer les riches? : Les auteurs analysent la nécessité de bien harmoniser l’impôt des sociétés et celui sur les revenus et la richesse des particuliers (aux niveaux national et international) et proposent des façons de le faire en tenant compte des différentes formes que peuvent prendre les sociétés.

9. Justice fiscale – coopération internationale ou unilatéralisme? : Les auteurs analysent les mesures unilatérales et de coopération internationale touchant l’impôt des particuliers et des sociétés adoptées et envisagées visant notamment à contrer l’évasion fiscale et à atteindre une plus grande justice fiscale. Ils soulignent aussi la difficulté, voire l’impossibilité, d’évaluer correctement ces mesures en raison de l’opacité de certaines données et proposent la création d’un cadastre financier mondial, notamment pour améliorer la transparence des données sur la richesse.

10. Émancipation, redistribution et soutenabilité : Ce chapitre, fortement inspiré de ce livre (que j’ai présenté dans ce billet), analyse l’évolution de l’État social de 1910 à 1980 en Europe et de 1980 à 2020 en Europe et dans les pays émergents. Les auteurs abordent ensuite des façons de mieux répartir les richesses entre les pays que le fait actuellement l’aide internationale au développement, puis décrivent les inégalités sanitaires exacerbées par la pandémie de la COVID-19.

Fiches par pays : Les auteurs présentent des fiches contenant des données sur les inégalités de revenus, de richesses, entre les hommes et les femmes, et en matière d’émission de carbone pour 26 pays, dont le Canada. La version anglaise de ces fiches est disponible sur Internet.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Comme pour la version de 2018, j’hésite à en recommander fermement la lecture, mais moins! Ce livre est lui aussi difficile à suivre pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec les chiffres, mais je l’ai trouvé mieux structuré que le précédent, avec moins de répétitions. Sauf les chapitres 7 à 9 qui sont plus analytiques, ce livre est en fait surtout une source de référence, quoiqu’on puisse en apprendre beaucoup en le lisant, même si on saute certains sujets qui nous intéressent moins (je n’ai pas lu toutes les fiches des 26 pays, mais pas mal tout le reste). Un site Internet lui est consacré, avec beaucoup de documents ainsi que toutes les images de la version anglaise du livre et la méthodologie (sur cette page), toutes les données présentées et même les codes utilisés pour construire les graphiques. Autre bon point, les 166 notes, aussi bien des références que des compléments d’information, sont en bas de page. Finalement, les auteurs ont créé un simulateur pour estimer l’impact d’un impôt mondial sur la fortune (aussi applicable par grande région) selon divers paramètres. Il s’agit vraiment d’un livre-phénomène, pour ne pas dire d’une œuvre phénoménale!

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