Quelques études sur divers sujets liés à l’économie
Après avoir présenté les faits saillants et les conclusions de cinq études portant sur le marché du travail, je récidive avec cinq autres études portant cette fois sur les profits des entreprises et les conséquences de leur utilisation des paradis fiscaux, sur les avantages et désavantages d’enseigner l’économie en anglais ou dans une langue maternelle autre que l’anglais, sur l’impact de l’extraction de pétrole et de gaz sur la santé des enfants, sur la distribution de la richesse familiale aux États-Unis et sur l’impact des programmes sociaux sur la criminalité.
Les transferts des profits mondiaux, de 1975 à 2019
L’étude intitulée Global profit shifting, 1975–2019 de Gabriel Zucman et Ludvig Wier a été publiée par l’Institut mondial de recherche sur l’économie du développement (UNU-WIDER) en novembre 2022. Les auteurs ont aussi publié un résumé de cette étude en décembre 2022 sur le site VoxEU du Centre for Economic Policy Research (CEPR).
Même si plus de 130 pays se sont entendus en 2021 pour adopter un taux d’imposition minimal de 15 % sur les profits des sociétés à partir de 2024, peu d’études ont porté sur l’ampleur du transfert de profits des entreprises vers les paradis fiscaux. Les auteurs jugent donc pertinent de pallier cette lacune en créant des séries temporelles globales de transfert des profits. Leur étude montre que la part des profits sur revenu mondial a augmenté d’un tiers entre 1975 et 2019, passant d’environ 15 % à près de 20 %, mais que les recettes de l’impôt sur les profits des sociétés n’ont pas augmenté; que la part des profits des entreprises multinationales dans les profits mondiaux a plus que quadruplé depuis 1975, passant d’environ 4 % à 18 % (voir le graphique qui sert d’image au début de ce billet); que cette hausse s’est concrétisée en majeure partie au XXIe siècle; que la part des profits des entreprises multinationales transférée dans les paradis fiscaux est passée de 2 % à 37 % et que celle des recettes fiscales ainsi perdues est passée de 0,1 % à 10 % (comme illustré dans le graphique ci-contre). Les auteurs ajoutent que sans ces transferts, il est probable que les pays auraient moins abaissé leur taux d’imposition sur les profits des sociétés (par exemple de 35 % à 21 % aux États-Unis en 2017) et donc que la perte fiscale causée par ces transferts a été au bout du compte beaucoup plus importante que ces calculs l’estiment.
Les vertus de la langue maternelle – Trouver un équilibre entre elle et l’anglais
L’étude intitulée The Virtues of Native Discourse – Striking a Balance Between English and the Native Language de Eva Forslund et Magnus Henrekson a été publiée par l’Econ Journal Watch (EJW) dans son numéro de septembre 2022.
Le choix de la langue d’enseignement et de publication d’études économiques universitaires dans les pays dont la langue d’usage n’est pas l’anglais est trop souvent le résultat d’un arbitrage entre de nombreux avantages et désavantages de chacun de ces choix. Cette étude analyse cet arbitrage dans le contexte européen et, de façon plus spécifique, suédois. Cela dit, elle s’appliquerait aussi dans le contexte québécois. L’analyse des auteur.es porte sur :
- la proportion des étudiant.es natif.ives et qui travailleront dans leur pays en suédois (90 %);
- les liens avec d’autres chercheur.euses et d’autres universités;
- le classement mondial des universités, la possibilité de publier dans les revues les plus prestigieuses et le recrutement d’étudiant.es étranger.ères;
- les objectifs de l’enseignement universitaire;
- la situation en Suède (majoritairement en suédois au baccalauréat et majoritairement en anglais à la maîtrise et au doctorat);
- la facilité plus grande d’apprentissage dans sa langue maternelle;
- la connaissance du suédois et de l’anglais par les professeur.es, la disponibilité et la qualité des manuels en suédois et en anglais, et la différence de l’impact de ces facteurs selon les matières enseignées;
- l’influence du choix de la langue sur les contenus et sur la qualité de l’apprentissage;
- la confusion des concepts selon la langue utilisée, surtout en sciences humaines et sociales; or, l’économie est une science sociale, même si modélisée avec des outils mathématiques;
- l’importance de comprendre les contextes sociaux et politiques avant d’appliquer ces modèles.
Les auteur.es concluent ainsi :
«La question de savoir si et quand nous devons utiliser la langue maternelle dans l’enseignement et la rédaction de textes économiques dépend de la manière dont nous mesurons la valeur des échanges internationaux par rapport à la valeur de la compréhension des conditions institutionnelles nationales, de l’importance pour les économistes de pouvoir communiquer leurs idées et de leur capacité à comprendre les idées provenant d’autres sujets. […] Il serait honteux que le désir de reconnaissance internationale ferme la porte à un monde économique fondé sur des contextes nationaux et culturels différents.»
L’impact de l’extraction du pétrole et du gaz sur la santé des enfants
L’étude intitulée The Impact of Oil and Gas Extraction on Infant Health de Elaine L. Hill a été publiée par le Social Science Research Network (SSRN) en mars 2021. Cette étude date un peu (quand même pas tant que cela), mais dans le contexte des débats entourant les émissions d’arsenic et d’autres métaux lourds par la Fonderie Horne (et d’autres entreprises au Québec), je me suis dit qu’il serait pertinent de présenter ses résultats.
À l’aide d’un modèle de différence dans les différences comparant la situation des enfants nés de 6448 mères qui résidaient durant leur grossesse dans un rayon de 1 km d’une tête de puits de pétrole ou de gaz à celle de 14 241 mères résidant dans un rayon de 1 à 5 km, l’autrice constate que la proximité des puits réduit en moyenne le poids à la naissance (de 36 grammes ou de 1,1 %) et la durée de gestation (de 0,11 semaine ou de 0,3 %), et augmente la prévalence de l’insuffisance pondérale à la naissance (de 1,7 point de pourcentage ou de 31 %) et des naissances prématurées (de 2,2 points ou de 33 %). Elle note aussi que ces différences augmentent si on ne retient comme groupe de comparaison que les mères qui résidaient à plus de 2 km des puits. Elle observe également une augmentation du diabète gestationnel et de l’hypertension chez les mères vivant à proximité d’un puits (de 1,1 point). Ces résultats suggèrent que ce serait bon d’adopter des politiques visant à atténuer les risques liés à la proximité des exploitations pétrolières et gazières.
Tendances de la répartition de la richesse familiale de 1989 à 2019
Le document intitulé Trends in the Distribution of Family Wealth, 1989 to 2019 auquel plus de 20 personnes ont contribué a été publiée en septembre 2022 par le Congressional Budget Office (CBO) à la demande de Bernie Sanders. J’ai pris connaissance de ce document grâce à ce billet de Timothy Taylor qui en présente un résumé.
Le graphique ci-contre nous montre que :
- en $ de 2019 des États-Unis, la richesse des familles faisant partie des 10 % les plus riches de ce pays est passée de 24,3 billions $ (ou 24 300 milliards $) en 1989 à 82,4 billions $ en 2019, une hausse de 239 %, leur part de l’ensemble des richesses des familles passant de 63,3 % à 71,7 %; notons que la part des 1% les plus riches est de son côté passée de 26,6 % à 34,0 %, accaparant 87 % de la hausse de la part des 10 % les plus riches;
- la richesse des familles se situant entre les 50 % les moins riches et les 10 % plus riches est passée de 12,7 billions $ en 1989 à 30,2 billions $, une hausse de 137 %, leur part de l’ensemble des richesses des familles passant de 33,2 % à 26,3 %;
- la richesse des familles faisant partie des 50 % les moins riches est passée de 1,4 billion $ en 1989 à 2,3 billions $ en 2019, une hausse de 65 %, leur part de l’ensemble des richesses des familles passant de 3,6 % à 2,0 %, après un bref passage à 4,1% en 1995;
- par ailleurs, la richesse moyenne des familles faisant partie des 25 % les moins riches est passée de 600 $ en 1989 à 2600 $ en 1995, avant de devenir négative en 2007 pour atteindre -10 700 $ en 2019.
Notons que ce document contient beaucoup d’autres données, notamment par types d’actifs (immobilier, fonds de retraite, placements, etc.), par niveau de scolarité, par tranches d’âge, par ethnie, selon d’autres sources de données et par rapport aux revenus.
L’aide sociale prévient-elle la criminalité ? Les résultats en matière de justice pénale des jeunes retirés de l’aide sociale
L’étude intitulée Does Welfare Prevent Crime? The Criminal Justice Outcomes of Youth Removed from Supplemental Security Income de Manasi Deshpande et Michael Mueller-Smith a été publiée sur plusieurs plateformes. Celle que j’ai utilisée vient de l’University of Michigan et est datée de février 2022. J’ai aussi trouvé des résumés de cette étude sur le site VoxEU (ici) du Centre for Economic Policy Research (CEPR) et sur un site de l’University of Chicago (ici).
Les auteur.es examinent les conséquences d’un changement aux critères du programme d’aide sociale des États-Unis (Supplemental Security Income ou SSI) en 1996 qui a eu pour conséquence d’exclure à leur 18e anniversaire un grand nombre de jeunes qui recevaient auparavant des prestations de ce programme. Ce changement visait à inciter davantage ces jeunes à trouver un emploi. Les auteur.es constatent que, au cours des 20 années qui ont suivi l’adoption de ces mesures :
- la probabilité que ces jeunes fassent l’objet d’une accusation pénale associée à la recherche de revenus (cambriolage, vol, fraude, falsification, vente de drogue et prostitution) a été environ deux fois plus élevée que celle de conserver un emploi stable;
- le nombre d’accusations criminelles a augmenté de 20 % pour ces jeunes par rapport à la période précédente, quand iels continuaient à recevoir des prestations du SSI;
- le nombre d’accusations criminelles associées à la recherche de revenus a augmenté de 60 %, les autres accusations n’augmentant que de 10 %;
- la probabilité de recevoir des peines de prison a augmenté d’entre 4,7 et 7,6 points de pourcentage ou de 60 %, mais d’entre 7,2 et 10,8 points ou de 50 % pour les hommes et d’entre 0,7 et 2,4 points ou de 220 % pour les femmes (surtout pour des cas de prostitution);
- les jeunes Noir.es et les jeunes provenant des familles les plus désavantagées ont connu les hausses d’incarcération les plus importantes;
- les coûts pour les enquêtes et les poursuites (services policiers et système de justice), et pour l’incarcération liés à la suppression du SSI ont presque annulé les économies réalisées en raison de la baisse des prestations du SSI, mais rien n’a compensé les conséquences désastreuses de cette décision sur la vie de ces personnes et sur la société en général.
Les auteur.es ajoutent que leurs constats peuvent très bien s’appliquer à d’autres programmes sociaux qui comportent bien plus d’avantages que de désavantages pour la société.
Et alors…
Ces études étaient beaucoup plus variées que celles du billet précédent. J’ai finalement eu plus de plaisir à lire ces études et à les résumer que les précédentes. Je dois avouer avoir eu un faible pour l’étude sur l’enseignement de l’économie en langue maternelle et sur les conséquences de l’abolition de programmes sociaux sur la criminalité. Cela dit, les cinq ont suscité mon intérêt. Je vais sûrement continuer à présenter brièvement d’autres études, mais je compte auparavant faire le bilan du marché du travail en 2022 (la prochaine semaine) et aborder quelques autres sujets.
Par rapport à l’étude : « L’impact de l’extraction du pétrole et du gaz sur la santé des enfants »
Est-ce qu’il y a une étude à propos de l’impact sur la santé des enfants (et des parents) d’un monde sans pétrole ni gaz?
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Pas à ma connaissance. Notons que cette étude ne porte pas du tout sur l’impact ou l’absence de pétrole et de gaz, mais sur l’impact de vivre près des lieux de leur extraction. Votre question porte sur un sujet complètement différent, soit aussi bien l’absence de cette source d’énergie que des externalités négatives qui y sont associées, et qui dépend beaucoup de leur rempacement (ou non) par d’autres sources d’énergie.
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