Aller au contenu principal

Le mythe du déficit

30 janvier 2023

mythe du déficitAvec son livre Le mythe du déficit – La Théorie moderne de la monnaie et la naissance de l’économie du peuple, Stephanie Kelton, professeure d’économie et de politiques publiques, et experte de la théorie monétaire moderne (TMM ou MMT en anglais), «livre une analyse radicale qui renverse toutes nos idées reçues sur le déficit, et au-delà, sur la pensée économique contemporaine».

Introduction – Un pare-chocs de choc : L’autrice met la table en expliquant les bases de la TMM, en prenant comme exemple le plan de relance insuffisant adopté par le gouvernement Obama en 2008 pour faire face à la grande récession de 2008. Elle présente ensuite le contenu des chapitres de ce livre et donne d’autres exemples de la pertinence de la TMM.

1. Rien à voir avec le budget familial : L’idée que le budget d’un État doit être analysé comme celui d’une famille est sûrement le mythe le plus pernicieux concernant les finances publiques, car aussi le plus accrocheur. La TMM contredit frontalement ce mythe (pas juste cette théorie, en fait), comme l’explique l’autrice. Elle aborde une façon différente de voir le rôle de la monnaie dans l’économie, surtout dans les activités des gouvernements qui sont souverains monétairement, soit ceux qui émettent de la monnaie, comme les gouvernements du Canada et des États-Unis, mais pas ceux des provinces du Canada ou des États des États-Unis, ni des pays de la zone euro. Elle explique ensuite pourquoi l’application de la TMM ne changerait pas nécessairement les enjeux de la fiscalité et la nécessité des emprunts par l’État, mais que cela lui donnerait plus de latitude (en fait, moins de contraintes, bien qu’il y en aurait encore) pour satisfaire aux besoins de la population, car il n’aurait plus à se poser la question de savoir s’il a les moyens de le faire.

2. L’important, c’est l’inflation : Un autre mythe est de prétendre que, s’il y a des déficits, c’est parce que l’État dépense trop. En fait, sans inflation, rien ne prouve ça (et l’inflation ne vient pas nécessairement de dépenses trop élevées, comme l’inflation mondiale actuelle le montre éloquemment). L’autrice explique les sources de l’inflation, puis présente quelques indicateurs pour l’estimer et les mesures archaïques (avec des bases métaphysiques, comme elle le dit) utilisées par les banques centrales (dont la Fed aux États-Unis) pour la maintenir au niveau désiré (près de 2 %), avec des conséquences affligeantes pour les travailleur.euses qui perdent leur emploi en raison de ces mesures. Elle montre que les mesures prônées par la TMM, s’appuyant plutôt sur la politique budgétaire (fiscalité et dépenses publiques, avec notamment une garantie d’emploi), sont bien moins dommageables et bien plus efficaces.

3. La dette publique (qui n’existe pas) : Quand elle a travaillé à la commission budgétaire du Sénat (CBO), l’autrice était la seule économiste à s’appuyer sur la TMM, les autres étant divisé.es entre les adversaires des dépenses et les promoteur.trices des recettes, toutes ces personnes visant l’équilibre budgétaire. Aucune d’entre elles ne réalisait qu’éliminer la dette, c’est aussi éliminer le plus sûr des placements, les bons du Trésor. Elles détestaient la dette, mais adoraient les bons du Trésor. Alors que les deuxièmes ne peuvent pas exister sans la première!

Elle déconstruit ensuite de nombreuses mises en récit qui visent à faire peur avec l’ampleur de la dette, puis explique en détail la mécanique de la dette, de l’émission des bons du Trésor et du versement des intérêts sur ces bons, en soulignant à nouveau que la seule contrainte n’est pas l’ampleur de la dette, mais l’inflation qui peut surgir si la Fed envoie trop d’argent dans le système. Elle explique ensuite les conséquences de l’élimination de la dette, ce qui est arrivé une seule fois aux États-Unis et a entraîné une grave récession! Cela a failli se reproduire au début du XXIe siècle, mais l’éclatement de la bulle technologique est survenue avant cela, provoquant elle aussi une (courte) récession. Elle se demande si on ne devrait pas utiliser un autre nom pour la dette, car un pays émetteur de monnaie n’a jamais vraiment de dettes, il ne fait qu’émettre une monnaie qui rapporte des frais d’intérêt, les bons du Trésor.

4. Leur déficit est notre excédent : Loin de faire baisser les investissements privés et faire augmenter les taux d’intérêt comme le prétendent les économistes orthodoxes (avec leur effet d’éviction), les déficits font augmenter notre richesse et notre épargne, comme le montre clairement l’autrice. C’est d’ailleurs ce qu’on a observé en 2020 et en 2021, alors que les déficits gouvernementaux atteignaient des sommets en même temps que l’épargne (exemple que n’a pas pu donner l’autrice, ayant écrit ce livre en 2020, au tout début de la pandémie). Elle décrit ensuite en détail et avec de nombreux exemples les mécanismes des emprunts en contredisant directement la théorie de l’effet d’éviction.

5. «Gagner» dans le commerce mondial : L’autrice montre qu’un déficit commercial international, s’il est dévastateur en raison de la perte de nombreux emplois, surtout dans certaines industries et régions, est aussi un surplus (le contraire d’un déficit) de biens et services obtenus par ce commerce (c’est quelque chose que je me souviens avoir entendu d’un de mes profs d’économie à ma première année dans cette discipline; il est donc étonnant que cette évidence semble si étrange). Elle conclut que le véritable problème n’est pas le déficit commercial, mais l’absence de politique de plein emploi. Elle revient sur la solution de la garantie d’emploi abordée au chapitre 2 qui permet de continuer de bénéficier du surplus de biens et services obtenus par le déficit commercial international sans en subir les inconvénients. Cette mesure permet en plus à un pays d’être plus exigeant avec les importateurs en matière de conditions de travail, de santé et sécurité au travail et de protection de l’environnement (sujets qui devraient faire partie des ententes sur le commerce international). Elle aborde aussi :

  • l’inanité de faire reposer le système monétaire international sur l’étalon or;
  • l’importance primordiale de la souveraineté monétaire dans le commerce international (et dans bien d’autres domaines);
  • la situation des pays pauvres qui n’ont pas vraiment de souveraineté monétaire et qui deviennent dépendants des prix des biens et services qu’ils exportent et qu’ils importent;
  • le résultat perdant-perdant des guerres commerciales;
  • les accords dits de libre-échange (de façon semblable au texte que j’ai présenté dans ce billet).

6. Vous y avez droit! : On dit (trop) souvent que les programmes sociaux «sont financièrement insoutenables». En fait, l’important est d’avoir une économie qui permet de produire les biens et services dont les bénéficiaires de ces programmes ont besoin. J’ajouterai que la crise de la COVID-19 l’a bien montré : le financement n’a jamais fait défaut, mais on a négligé l’importance d’avoir des gens pour offrir les services publics, en fait, pour produire tous les biens et services. Dans ce contexte, l’autrice aborde :

  • l’absence de problème de financement des programmes sociaux (à moins de se les créer, ce qui se fait fréquemment);
  • les différences entre les programmes universels et sélectifs (avec des critères d’admissibilité);
  • les attaques injustifiées (et injustifiables) contre les bénéficiaires de ces programmes;
  • la fragilité des programmes de retraite des employeurs;
  • la mise en récit du coût des programmes sociaux pour les affaiblir;
  • le financement d’organismes conservateurs pour les attaquer;
  • la fausseté de nombreux arguments sur leur viabilité;
  • l’importance, voire l’urgence, de former des travailleur.euses et de se doter des infrastructures nécessaires pour offrir les services de santé à la population vieillissante.

7. Les déficits qui comptent : Pendant que les politicien.nes (démocrates comme républicain.es) angoissent pour rien sur le déficit budgétaire, iels ne se préoccupent pas assez des déficits qui comptent sur lesquels l’autrice s’étend dans ce chapitre. Elle aborde dans cette optique les déficits :

  • de bons emplois, et les facteurs qui expliquent ce déficit, surtout depuis 2008;
  • d’épargne, surtout pour la retraite, notamment en raison des dettes étudiantes;
  • de santé, notamment avec un taux de couverture incomplet, une espérance de vie plus faible et un taux de mortalité infantile plus élevé que dans les autres pays riches;
  • d’éducation, du préscolaire à l’éducation supérieure;
  • d’infrastructures, déficit généralisé à tous les domaines, de l’eau au transport en commun et au logement en passant par les écoles et les établissements de santé;
  • environnementaux, du réchauffement climatique à la pollution de l’eau et de l’air en passant par la destruction des écosystèmes;
  • de démocratie, des inégalités de revenus à celles de richesse et à leurs conséquences sur le pouvoir politique des plus riches.

8. Construire une économie pour le peuple : Même si on comprend bien le concept de la TMM, il est presque impossible de l’appliquer dans le contexte actuel d’odsession sur le déficit et la dette, et surtout de certitude que seul.es les contribuables peuvent financer les dépenses de l’État. À l’inverse, on peut avoir l’impression que la TMM et son mode de financement règlent tous les problèmes alors qu’ils n’enlèvent que la contrainte du financement, ce qui permet d’utiliser pleinement les ressources disponibles (sous réserve de ne pas créer de l’inflation), mais pas de produire directement (l’argent ne produit rien). Il faut toujours choisir ce qu’on veut produire (des services sociaux et des soins de santé universels ou des armes et des prisons, par exemple) et trouver les moyens de le faire (ressources naturelles, main-d’œuvre, etc.), et déterminer à qui transférer des richesses (en baissant les impôts des riches ou en éliminant la pauvreté). Bref, les choix politiques demeurent entiers. Elle aborde ensuite :

  • le fonctionnement des stabilisateurs automatiques et la façon de les compléter au besoin;
  • l’ajout de la garantie d’emploi aux stabilisateurs automatiques existants;
  • quelques exemples d’applications réelles du concept de garantie d’emploi dans divers pays, mais aucun complet comme celui proposé par l’autrice;
  • la pertinence de l’application des principes de la TMM dans le contexte de la lutte au réchauffement climatique et aux inégalités.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire, si on veut en savoir plus sur la TMM, mais ne pas lire dans le cas contraire. Je suis bien content de l’avoir lu, justement parce que je me posais beaucoup de questions sur cette théorie. Par contre, ce livre n’est pas facile à lire et il contient beaucoup de répétitions, vraiment beaucoup, comme on l’a peut-être remarqué en lisant ce billet, même si j’ai tenté de les limiter le plus possible. Dans ce sens, la structure de ce livre pourrait nettement être améliorée. Mais, j’en sais plus sur la TMM! Mission accomplie, donc. Par ailleurs, les nombreuses notes (non numérotées) du traducteur sont en bas de page, mais les 387 notes de l’autrice, aussi bien des références que des compléments d’information parfois substantiels, s’étendent sur 39 pages à la fin du livre et obligent l’utilisation de deux signets.

Publicité
No comments yet

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :