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Les riches au Québec en 2020

23 Mai 2024

riches 2020Je me suis aperçu un peu plus tard que d’habitude que le ministère des Finances du Québec (MFQ) avait publié ses Statistiques fiscales des particuliers pour l’année 2020. Aucun média à ma connaissance n’en a parlé, car le ministère ne publie pas de communiqué à ce sujet. Notons que cette compilation a été faite 18 mois après la date limite de remise des déclarations (fin avril 2021), comme pour les versions portant sur 2010 et les années suivantes. Et, depuis cinq ans, le MFQ offre à mon grand plaisir des données en format .xlsx. Je peux donc rédiger mon douzième billet sur les riches au Québec!

Trois sources de données différentes

Si j’attends cette version avant d’analyser les données sur les déclarations de revenus, c’est que ce document est le plus complet sur la question, tant par la quantité de variables présentées que par le nombre de déclarations traitées. En effet, les données les plus hâtives sur le sujet sont celles des tableaux 11-10-0055-01 et 11-10-0056-01 de Statistique Canada qui présentaient déjà des données pour 2020 le 16 novembre 2022 (et celles pour 2021 depuis le 10 novembre 2023) et qui dénombraient 6 697 170 contribuables pour le Québec en 2020. L’Agence du revenu du Canada (ARC) a publié quelques jours plus tard ses statistiques finales de la T1 pour 2020, en présentant des données pour 6 813 100 contribuables (c’est déjà près de 116 000 ou 1,7 % de plus). Les données que je vais présenter dans ce billet se basent sur les déclarations de 6 892 733 contribuables, soit 79 633 de plus (ou 1,2 %) que les statistiques finales de la T1 et 195 563 de plus (ou 2,9 % de plus), que les données des tableaux 11-10-0055-01 et 11-10-0056-01. Comme les retardataires ont souvent des caractéristiques différentes, il est toujours préférable d’analyser les données les plus complètes possible.

Évolution du nombre de riches au Québec

Le tableau qui suit montre quelques caractéristiques des déclarations des contribuables les plus riches du Québec et la part des femmes dans ces caractéristiques.

riches 2020_1

La deuxième colonne de données de ce tableau nous apprend que 8,9 % des contribuables du Québec ont déclaré des revenus de 100 000 $ ou plus en 2020. Cette proportion est en hausse par rapport à 2019 (8,3 %, donnée non présentée dans ce tableau, mais comprise dans le tableau correspondant du billet portant sur les riches en 2019). La troisième colonne nous montre que cette hausse s’explique par le fait que leur nombre a augmenté de 7,9 % alors que le nombre de contribuables ayant déclaré moins de 100 000 $ n’a augmenté que de 0,02 %, soit 383 fois moins. Cette colonne nous apprend aussi que le nombre de contribuables a augmenté beaucoup plus que la moyenne de 0,68 %, soit entre 5,7 % et 8,5 %, dans toutes les tranches de revenus supérieures à 100 000 $. Le nombre de contribuables ayant déclaré 250 000 $ et plus a augmenté de son côté de 5,7 %, soit 273 fois plus que le nombre de contribuables ayant déclaré moins de 100 000 $. Leur proportion sur l’ensemble des contribuables a atteint la barre du 1 % (1,03 %) pour la première fois alors que cette proportion n’atteignait que 0,38 % en 2005 et que le ministère des Finances ne publiait même pas de données sur ces contribuables avant cela (seulement sur les contribuables déclarant 200 000 $ et plus). Dans ce contexte, il serait peut-être temps que le ministère publie des données aussi pour les contribuables déclarant 500 000 $ et plus, d’autant plus que le revenu moyen déclaré par ces riches est justement supérieur à ce seuil (524 474 $), et cela depuis 2009 (alors qu’ils étaient toutefois presque deux fois moins nombreux). Étrangement, Revenu Québec a publié une page contenant des données préliminaires pour 2021 dans laquelle on trouve de l’information sur les 17 190 contribuables ayant déclaré entre 500 000 $ et 999 999 $ (dont 25 % de femmes) et sur les 6915 contribuables (dont 20 % de femmes) ayant déclaré 1 million $ et plus, même par six tranches d’âge, mais n’en fournit aucune sur ces contribuables dans son document final, ce qui est difficile à comprendre. Il serait intéressant d’avoir plus de détails sur ces personnes, entre autres sur leurs sources de revenus.

Comment expliquer ces hausses hors norme du nombre de riches et surtout de contribuables ayant déclaré 250 000 $ et plus? Si la hausse de 11,8 % en 2017 pouvait s’expliquer par la faible hausse de l’année précédente (de 0,1 %) en raison de l’ajout d’un palier d’imposition fédéral en 2016 (voir ce billet pour plus de précisions à ce sujet) qui a porté bien des contribuables riches à devancer la déclaration de revenus de dividendes à 2015, la hausse d’un même niveau en 2018 (11,3 %), et un peu plus faible en 2019 (7,2 %) étonne davantage. Celle de 2020 (5,7 %) pourrait sembler bien moins étonnante, mais rappelons nous que cette hausse est survenue au cours de l’année des confinements dus à la pandémie de COVID-19, que la hausse du nombre de contribuables gagnant moins de 100 000 $ ne fut que de 0,02 % et que la population a aussi beaucoup moins augmenté en 2020 (et en 2021) que lors des années précédentes et suivantes, soit de 0,80 %, hausse nettement moins élevée qu’en 2019 (1,15 %), et surtout près de 3 fois moins qu’en 2023 (2,34 %), selon les données du tableau 17-10-0005-01.

Un des facteurs qui explique la plus forte hausse de la proportion des contribuables ayant déclaré au moins 100 000 $ est le fait que ces données sont présentées en dollars courants, quoique ce facteur ait moins joué en 2020, car l’inflation ne fut que de 0,8 % (en fait, 0,835 %). Il demeure que 100 000 $ en 2019 valaient 100 835 $ en 2020. En conséquence, comme on peut estimer qu’environ 8 500 personnes déclaraient entre 100 000 $ et 100 835 $ en 2020 (en me basant sur le fait que 306 003 contribuables avaient déclaré des revenus se situant entre 100 000 $ et 129 999 $ et que leur revenu moyen était un peu inférieur à la moyenne de 115 000 $ de cette tranche, soit de 112 689 $, montrant qu’il y a un peu plus de contribuables qui déclarent près de 100 000 $ que près de 129 999 $), la hausse du nombre de personnes déclarant 100 000 $ et plus entre 2019 et 2020 passerait en dollars constants de 45 000 à environ 36 500, ou de 7,9 % à environ 6,4 %. Il n’empêche que cette croissance de 6,4 % serait environ 41 fois plus élevée que la hausse du nombre de contribuables déclarant moins de 100 000 $ en dollars de 2019 (hausse de 0,16 % au lieu de 0,02 % en dollars courants). Bref, ce facteur explique quand même près du cinquième (19 %) de la hausse de la part des contribuables ayant déclaré au moins 100 000 $ en 2020. Il est toutefois difficile d’estimer le rôle de l’inflation sur le nombre de contribuables déclarant 250 000 $ et plus, soit le nombre de contribuables qui ont déclaré entre 250 000 $ et 252 088 $, car leur revenu moyen était de près de 525 000 $. Cela dit, l’inflation ferait probablement diminuer quelque peu leur taux de croissance de 5,7 %.

Cela dit, nos riches sont proportionnellement moins nombreux que dans le reste du Canada. En effet, en comparant les données fiscales fédérales de 2020 pour le Canada avec celles pour le Québec (en tenant compte du fait qu’il y a des différences dans le revenu déclaré), on observe que la proportion de contribuables qui ont déclaré au moins 250 000 $ était de 0,96 % au Québec, mais de 1,35 % dans le reste du Canada, proportion qui est plus élevée de 41 % que celle du Québec, écart un peu plus faible à celui observé en 2019 (46 %). Par contre, le revenu moyen de ces super-riches s’écartait moins, avec 513 281 $ au Québec par rapport à 547 096 $ dans le reste du Canada, soit 6,6 % de plus, écart en baisse par rapport à 2019 (7,4 %). Bref, la proportion de super-riches est plus élevée dans le reste du Canada qu’au Québec, mais cet écart a légèrement diminué depuis quelques années et l’écart entre leurs revenus moyens déclarés varie passablement annuellement, même s’il baisse à moyen terme.

La proportion de femmes parmi les contribuables fut de 50,74 %, proportion très semblable à celle de 2019 (50,77 %). En fait, leur nombre a augmenté de 0,73 % pendant que le nombre d’hommes augmentait de 0,63 %. Cette proportion (50,74 %) était un peu plus élevée que dans la population âgée de 18 ans et plus en 2020 (50,33 %, selon le tableau 17-10-0005-01).

Revenus et impôts

Les quatrième et cinquième colonnes (intitulées «Revenus» et «Impôts»), montrent que, si les 8,9 % des contribuables les plus riches, soit les personnes déclarant au moins 100 000 $, ont payé 43,9 % des impôts en 2020, ils avaient déclaré 31,1 % des revenus, soit 3,5 fois plus que leur proportion parmi les contribuables (31,1 % / 8,9 % = 3,51). Et les contribuables qui ont déclaré au moins 250 000 $ ont payé 16,2 % des impôts, mais ont accaparé 10,5 % des revenus, soit 10,2 fois plus que leur proportion parmi les contribuables ( 10,5 % / 1,03 % = 10,16). Ces personnes ont en moyenne déclaré 524 474 $ chacune, soit 13,5 fois la somme médiane déclarée par les contribuables (celle dont la moitié des revenus déclarés est plus élevée et la moitié est moins élevée), soit environ 38 714 $.

Il est aussi intéressant de noter que les contribuables qui ont déclaré au moins 250 000 $ ont payé 16,4 % de leurs revenus totaux en impôt provincial, soit 65 % de plus que la moyenne des autres contribuables (9,9 %, même en tenant compte des 28,7 % de contribuables qui n’en ont pas payé du tout, même s’iels ont déclaré 8,9 % de tous les revenus). En fait, en considérant le fait que les contribuables ne déclarent que la moitié de leurs gains en capital imposables, quand on tient compte de 100 % des gains en capital imposables, le véritable revenu moyen des plus riches passe à 584 246 $ et leur véritable taux d’imposition passe de 16,4 % à 14,7 %, taux moindre que celui des contribuables qui ont déclaré entre 200 000 $ à 249 999 $ (15,2 %), car ces derniers ont déclaré proportionnellement beaucoup moins de gains en capital (4,7 % de leurs revenus par rapport à 10,2 %). Ce nouveau taux (14,7 %) n’est plus que 49,6 % plus élevé que la moyenne du taux d’imposition moyen des autres contribuables (9,8 %) au lieu d’être 65 % plus élevé si on ne tient pas compte du fait que seule la moitié des gains en capital ont été déclarés. Notons aussi que les gains en capital sur la vente d’une résidence principale ne sont pas imposables et n’ont pas à être déclarés, ce qui a coûté à l’État québécois plus de 1,05 milliard $ en 2020 (voir sur cette page). Mais, comme ces gains en capital ne sont pas déclarés, le document ne donne aucune information sur le niveau de revenus déclarés par les contribuables qui bénéficient de cette dépense fiscale importante ni sur la somme gagnée non déclarée.

Le tableau montre ensuite que les femmes n’ont déclaré que 42,8 % des revenus, même si elles représentaient 50,7 % des contribuables, et qu’elles ont payé 39,6 % des impôts. En fait, le revenu moyen déclaré en 2020 par les hommes (59 953 $) était 37,6 % plus élevé que le revenu moyen déclaré par les femmes (43 556 $). Non seulement les femmes étaient désavantagées sur le marché du travail par leur taux d’emploi moins élevé, leur salaire horaire plus faible et leur nombre inférieur d’heures travaillées, la différence des revenus d’emploi explique près de 75 % (en fait 73,7 %) de l’écart de 37,6 % du revenu total, mais elles ont aussi déclaré moins de revenus d’autres sources (près de 20 % de moins), même si elles recevaient plus de transferts, notamment 54 % de la pension de la Sécurité de la vieillesse, 54 % aussi des indemnités de remplacement du revenu et versement net des suppléments fédéraux (retrait préventif de la femme enceinte, accidents de travail, accidents de la route, etc.) et 81 % des prestations d’assurance parentale, et avaient déclaré près de 85 % des revenus de retraite transférés par votre conjoint et 97,5 % de la pension alimentaire reçue.

Il est aussi intéressant de constater que notre système fiscal provincial était en 2020 (et est toujours) beaucoup moins progressif que le système fédéral, avec un taux maximal d’imposition de 25,75 %, à peine 72 % de plus que le taux le plus bas de 15 %, alors que la différence est bien plus grande au fédéral, les taux passant de 15 % à 33 % (en fait de 12,5 % à 27,6 % au Québec, en tenant compte de l’abattement du Québec remboursable de 16,5 %), une différence de 120 %, soit 67 % de plus que la différence au Québec. D’ailleurs, les contribuables québécois qui ont déclaré 250 000 $ et plus par année ont payé en 2020 environ 20,2 % de leurs revenus totaux déclarés en impôt fédéral, soit 138 % de plus que la moyenne des autres contribuables (8,5 %), écart plus de deux fois plus élevé que celui observé dans l’impôt provincial (64 %, soit 15,4 % par rapport à 9,4 %, je le répète).

Autres caractéristiques

La sixième colonne du tableau montre comment se répartit en fonction du revenu la Déduction pour frais d’exploration et de mise en valeur, qui est une déduction «relative aux ressources (notamment à l’égard d’actions accréditives ou d’autres participations) pour les frais d’exploration ou de mise en valeur engagés au Canada ou à l’étranger ou pour les frais engagés à l’égard de biens canadiens relatifs au pétrole ou au gaz» (voir la définition de la ligne 39 sur cette page). Déjà qu’il est douteux que l’État offre une déduction pour ce genre d’«investissement» (il dépense pour se faire vider son sous-sol ou même pour vider celui d’autres pays!), mais le tableau nous permet de constater que 96,8 % de cette déduction a été accordée en 2020 aux 8,9 % des contribuables qui ont déclaré un revenu d’au moins 100 000 $, et 82,2 % aux 1,03 % des contribuables ayant déclaré un revenu d’au moins 250 000 $ (soit 80 fois plus que leur proportion). Comme les femmes sont sûrement bien moins nombreuses dans les clubs des 100 000 $ et 250 000 $ et plus (le fichier ne fournit pas de données à ce sujet), on ne s’étonnera pas de constater qu’elles n’ont réclamé que 13,5 % de ces déductions, soit 3,8 fois moins que leur proportion parmi les contribuables (50,7 %).

Les deux dernières colonnes de ce tableau montrent que les plus riches bénéficient de façon hors-norme des deux types de revenus qui sont imposés à un taux inférieur à celui appliqué aux autres types de revenus. Les contribuables ayant déclaré 250 000 $ et plus par année ont en effet accaparé 56,3 % des gains en capital (55 fois plus que leur proportion parmi les contribuables), imposés à 50 % de leur valeur, et 42,1 % des dividendes (41 fois plus que leur proportion parmi les contribuables), eux aussi imposés à un taux moindre (réduction dépendant du type de dividendes, voir les lignes 128 et 415 de la déclaration de revenus). Les femmes, de leur côté, n’ont déclaré que 34,8 % des gains en capital et 28,5 % des dividendes.

En plus, 72,4 % de la déduction pour gains en capital (donnée non illustrée dans le tableau) est allée aux contribuables déclarant 250 000 $ et plus. Or, cette déduction est en premier lieu accordée aux exploitant.es agricoles qui vendent leur ferme (et dans quelques autres situations, voir l’explication de la ligne 54 sur cette page) et qui ne font généralement partie des plus riches qu’une seule fois dans leur vie, quand iels la vendent. Cette déduction explique aussi la présence de contribuables déclarant 250 000 $ et plus qui n’ont pas payé d’impôt (716 personnes) et qui ont reçu des sommes du crédit d’impôt pour la solidarité (2176 personnes), leurs gains en capital déclaré étant effacés par la déduction pour gains en capital. Ces personnes n’ont sûrement pas déclaré beaucoup d’autres revenus en 2020…

Les contribuables les plus riches bénéficient aussi de façon disproportionnée, quoiqu’à un niveau moindre, des déductions associées aux Régimes enregistrés d’épargne retraite (REER). Les 1,03 % les plus riches ont bénéficié de 10,8 % de ces déductions (10,5 fois plus que la moyenne). Et j’imagine que si l’État ne contribuait pas autant à leur retraite, ils vivraient sûrement celle-ci dans la misère la plus abjecte… Voilà une bonne raison pour limiter davantage le plafond des sommes qu’on peut déposer dans un REER comme le recommandent QS et la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics (voir la solution 3). Finalement, les femmes ne déclarent que 39,1 % de ces déductions.

Et alors…

Ces données ne contenaient pas beaucoup de surprises par rapport à celles des autres années, si ce n’est le fait que la proportion des contribuables qui ont déclaré 250 000 $ et plus a pour la première fois atteint et dépassé la barre du 1 %.

Cela dit, la conclusion de ce billet demeure la même que lors des années précédentes : «Et, je n’ai parlé que des sommes déclarées par les riches, pas de l’évasion fiscale ni des paradis fiscaux…», tout en sachant que les proportions de revenus détournés dans ces paradis ont plus tendance à augmenter qu’à diminuer. Il est aussi probable que la hausse de l’exercice en société des activités des membres des ordres professionnels (voir ce billet), notamment des médecins, ait fait diminuer artificiellement le nombre des contribuables déclarant au moins 250 000 $ et le revenu que ces personnes déclarent. Malgré ces phénomènes et les plaintes qu’on entend année après année sur le fait qu’on n’a pas assez de riches au Québec pour que ce soit payant pour le gouvernement de les imposer davantage, leur nombre ne cesse d’augmenter, et ce, bien plus rapidement que celui des autres contribuables! Mais, le gâteau ne sera jamais assez gros pour qu’ils acceptent de le partager davantage, à moins qu’on les y contraigne! Mais, quand on essaie, iels résistent et reçoivent bien plus d’appuis qu’on pourrait le penser et bénéficient même d’un «front commun» pour les défendre, certaines personnes trouvant que d’imposer ces riches à 0,1 % de leurs richesses dépassant 1 million $, ce serait déjà trop!

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