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Dans la rue

25 mars 2024

Dans la rueAvec son livre Dans la rue – Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec, François Saillant, nous permet de mieux connaître l’histoire de «tant et tant de personnes qui, au fil des ans, se sont impliquées dans leurs groupes locaux pour poursuivre sans relâche la lutte pour le droit au logement et la justice sociale».

Introduction – Une histoire toujours en marche : Si le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) n’a jamais compté un grand nombre de membres individuels (il est plutôt «composé de quelque 145 groupes membres»), il a quand même «réussi à s’imposer au Québec comme un acteur majeur, souvent incontournable, des débats sur l’habitat». Ce livre porte justement sur l’histoire des luttes pour le logement au Québec à travers l’aventure du FRAPRU. L’auteur y a travaillé pendant 38 ans, surtout comme coordonnateur et principal porte-parole. Il tient à préciser que, malgré sa grande visibilité, la force du FRAPRU a toujours été l’action de l’ensemble des groupes qui le composent.

1. Avant le FRAPRU : L’auteur fait le tour des principales politiques, actions, occupations (ou squats) et luttes sur le logement de 1940 à 1978. Il nous raconte aussi la création des premiers comités de citoyen·nes dans les années 1960 et des premiers comités logement une décennie plus tard. Ces derniers seront à l’origine de la création du FRAPRU en 1978.

2. Pour la survie des quartiers populaires (1978−1981) : Un programme de rénovation et d’amélioration des quartiers adopté en 1973 se réalise en grande partie au détriment des locataires qui doivent subir des évictions ou de fortes hausses des loyers qu’environ la moitié d’entre ces personnes ne peuvent pas payer. C’est lors d’un colloque tenu en 1978 dans ce contexte qu’un regroupement est créé et qui adopte en 1979 le nom de Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). L’auteur y travaille au début à temps partiel à Québec avant de déménager à Montréal l’année suivante (en 1979) et d’y travailler à temps plein. Il raconte les premières actions du FRAPRU, dont une campagne intitulée «Des quartiers où nous pourrons rester».

3. Un front de lutte en émergence (1981−1986) : La récession du début des années 1980 causée par des taux d’intérêt très élevés a été très dure pour les locataires. Elle est aussi à l’origine de changements dans les programmes d’habitation des deux gouvernements (fédéral et du Québec), changements en général négatifs pour les locataires. L’auteur raconte les principales luttes menées par le FRAPRU à l’époque, ainsi que celles initiées par d’autres personnes et organismes auxquelles le FRAPRU a participé. Il décide par ailleurs d’accorder la priorité au logement social en 1982, position qu’il a conservée depuis ce temps. C’est aussi en 1982 que l’auteur devient coordonnateur. Il parle ensuite des organismes membres dont le nombre est en hausse. Sur un plan plus personnel, c’est aussi à cette époque que j’ai connu l’auteur et le FRAPRU dans le cadre de mon emploi d’agent de projets au gouvernement fédéral, qui subventionnait alors des projets de création d’emplois et de formation pour des personnes sans emploi (prestataires ou non de l’assurance-chômage et de l’aide sociale) et des étudiant·es durant l’été, essentiellement dans le milieu communautaire.

4. Sur tous les terrains… ou presque (1987−1991) : Cette période fut marquée entre autres par la «désinstitutionnalisation psychiatrique, la hausse du coût du logement et l’insuffisance des prestations d’aide sociale». J’ajouterais la conjonction de gouvernements néolibéraux à Ottawa et au Québec. Pour le FRAPRU, cette période fut aussi celle de l’amélioration de son financement et de l’embauche de quelques autres permanent·es, ce qui lui a permis à la fois de mieux documenter la situation du logement, d’organiser des campagnes plus élaborées et d’étendre ses luttes à des enjeux plus variés. Malgré quelques victoires importantes, cette période fut difficile pour les personnes démunies.

5. Le massacre fédéral (1991−1994) : Le Canada connaît alors une deuxième récession en début de décennie, ce qui porte les gouvernements à diminuer leurs dépenses consacrées au logement, dont au logement social. Le FRAPRU multiplie les actions d’éclat qui lui donnent une grande visibilité médiatique, mais malheureusement peu de résultats concrets. Oui, ce fut un massacre…

6. Au tour de Québec (1994−1997) : Après le massacre fédéral, ce fut le massacre québécois, alors que le gouvernement du Québec a cessé d’accepter de nouveaux projets de logements sociaux après avoir utilisé les restes des montants fédéraux, et ce, même après l’arrivée au pouvoir en 1994 du gouvernement Parizeau du PQ qui avait pourtant pris des engagements (modestes) à ce sujet au cours de la campagne électorale. Le désir de ce gouvernement de gagner le référendum pour la souveraineté en 1995 n’a pas eu d’impact sur le logement social, malgré les actions nombreuses et originales du FRAPRU. Après sa défaite à ce référendum, ce gouvernement, dorénavant mené par Lucien Bouchard, a visé le déficit 0 par l’adoption d’importantes compressions dans les programmes sociaux. Si les actions du FRAPRU et de ses allié·es ont pu amoindrir certaines des compressions envisagées par ce gouvernement, notamment à l’aide sociale, par la création d’un nouveau programme relativement modeste pour le logement social et l’abandon de la hausse des loyers prévue dans les HLM, bien d’autres mesures régressives que ce gouvernement a annoncées ont été mises en œuvre.

7. Pour un grand chantier de logement social (1997−2001) : L’auteur explique le fonctionnement du nouveau programme créé par le gouvernement Bouchard, AccèsLogis (ACL), puis ajoute que le financement du FRAPRU a gagné en stabilité depuis 1996 grâce à un programme de subventions à la mission (et non pas en fonction d’activités précises) créé par le gouvernement Bouchard à la suite de pressions importantes. Les luttes se poursuivent en collaboration avec d’autres organismes, notamment contre une autre réforme de l’aide sociale et pour l’adoption d’une loi sur l’élimination de la pauvreté (ce qui fut fait en 2002, avec une loi toutefois non contraignante et loin de la proposition de départ). Le FRAPRU présente ses revendications lors de la campagne électorale de 1998 et participe au dépôt d’une plainte à l’ONU sur une des mesures de la réforme de l’aide sociale. Le gouvernement a dû reculer à ce sujet en 1999. D’autres luttes ont suivi avec leur lot de succès et de déceptions, aussi bien au Québec qu’à Ottawa, notamment sur la hausse de l’itinérance. On retiendra par ailleurs l’apparition dans les politiques gouvernementales du concept de logement abordable, concept au sens élastique qui s’applique aussi aux logements privés.

8. Une crise qui fait bouger les choses (2001−2004) : Après cinq années de baisse des budgets pour le logement social, une crise du logement éclate, avec des taux d’inoccupation moyens des logements locatifs deux fois plus bas que le taux d’équilibre (3 %). Dans ce contexte, les actions du FRAPRU et de ses allié·es se multiplient : dossiers d’information, entrevues, occupations, manifestations, squats, campements, etc. Les gouvernements des trois paliers réagissent, mais surtout sur les effets de la crise dans un premier temps (logements d’urgence, chèques de supplément au loyer, entreposage des biens, etc.), puis enfin sur ses causes, en finançant 13 000 logements sociaux ou «abordables» en cinq ans, mais en fait moins, car les sommes octroyées étaient insuffisantes… Avec ces tergiversations, la crise s’approfondit les deux années suivantes, avec des taux d’inoccupation maintenant en bas de 1 % et des hausses de loyers de plus en plus élevées. Pendant ce temps, le gouvernement Charest annonce des compressions au budget de l’État. Ce n’est qu’en 2004 que ce gouvernement annonce des sommes (insuffisantes) pour le logement social. Mais, c’est le silence à Ottawa.

9. La banalisation (2004−2008) : Si la situation est moins intolérable au cours des années suivantes, notamment grâce à la construction d’un certain nombre (toujours insuffisant) de nouveaux logements sociaux, la situation du logement demeure bien loin de celle d’avant le début de cette crise. Mais, comme toujours, on en vient à banaliser le manque de logements. De plus en plus de ménages peinent à payer leur loyer qui augmente trop pour leurs moyens. D’autres attaques contre l’aide sociale empirent la situation, alors que les groupes contestataires, dont le FRAPRU, multiplient les actions, parfois très originales. Puis, le gouvernement Harper s’installe à Ottawa, divisant par trois les sommes adoptées par le précédent gouvernement pour le logement social et «abordable». Pire, le gouvernement du Québec ne s’engage pas à ajouter des montants à ces sommes, préférant baisser les impôts. Et les actions du FRAPRU et de ses allié·es, toujours plus osées et originales, n’y changent rien, cette fois.

10. Un petit pas en avant (2008−2012) : L’auteur raconte l’action la plus importante du FRAPRU depuis sa création (à Québec en 2008), mais aussi la crise financière provenant des États-Unis et ses conséquences au Canada. Même si cette crise a eu moins d’effets au Québec qu’ailleurs, elle a contribué à appauvrir les ménages déjà les plus pauvres. Au moins, les plans de relance des gouvernements prévoient une augmentation (insuffisante) des budgets pour le logement social et «abordable», augmentation en plus temporaire. Par ailleurs, ces budgets ont diminué par la suite, les gouvernements  procédant en plus à des privatisations et à des hausses de tarifs pour de nombreux services publics, mesures contre lesquelles le FRAPRU a organisé des actions diverses visant les deux paliers gouvernementaux. L’élection d’un gouvernement majoritaire conservateur en 2011 n’arrange rien, les budgets consacrés au logement subissant de nouvelles baisses.

11. Printemps chaud, avenir icertain (2012−2015) : En plus des compressions pour de nouveaux logements sociaux, le FRAPRU craint les conséquences de l’arrêt graduel par le gouvernement fédéral des subventions aux logements existants pour permettre de les louer à bas loyer (soit 25 % de leurs revenus) aux personnes les plus vulnérables. Le FRAPRU organise donc des actions visant aussi bien le gouvernement Harper que Justin Trudeau, chef de l’opposition et possible futur premier ministre en 2015. Mais, l’année 2012 est surtout marquée par la grève étudiante (contre une hausse énorme des droits de scolarité) que le FRAPRU appuie par sa participation à de nombreuses actions. Après bien des répressions et une loi spéciale, la grève se termine lorsque le gouvernement annonce des élections dès le mois d’août. Le PQ est élu et annonce de nouveaux budgets pour le logement social, mais sans garantie de leur maintien sur plusieurs années. Pire, ce gouvernement adopte des compressions à l’aide sociale qui s’ajoutent aux compressions à l’assurance-emploi par le gouvernement Harper (que le PQ avait dénoncées…). Le PLQ revient au pouvoir en 2014 en instaurant un régime d’austérité avec des compressions généralisées, dont dans les programmes de logement.

12. Repasser à l’offensive (2015−2018) : Si le nombre de mises en chantier de logements locatifs et le taux d’inoccupation ont augmenté de façon importante entre 2015 et 2018, les loyers des nouveaux logements sont très élevés et il y a peu de logements sociaux, ce qui favorise l’embourgeoisement des quartiers. L’auteur raconte en détail des actions consécutives sur le thème «Le logement, un droit», actions qui se sont poursuivies en 2016 et en 2017. Le budget fédéral de 2016 du gouvernement Trudeau, élu à la fin de 2015, prolonge de deux ans les subventions aux logements existants (il sera encore prolongé par la suite), double le budget pour le logement «abordable» et annonce une stratégie nationale en matière de logement, revendiquée depuis des années par des organismes à travers le Canada et même par un organisme de l’ONU. Par contre, les budgets québécois pour le logement social fondent, mettant en danger le programme ACL. Heureusement, ils augmenteront un peu par la suite. Sur un autre registre, l’auteur annonce son départ du FRAPRU après 38 ans et son remplacement dans ses deux postes par deux femmes, Marie-Josée Corriveau à la coordination et Véronique Laflamme comme porte-parole.

13. De marche en crises (2018−2023) : Le départ de l’auteur ne change rien à la combativité du FRAPRU et à l’originalité de ses actions. L’arrivée au pouvoir de la CAQ ne permet aucune amélioration, seulement un engagement à dépenser les sommes déjà budgétisées (il y en avait pas mal, mais les sommes réservées étaient très insuffisantes pour construire le nombre de logements prévus). Non seulement le taux d’inoccupation est reparti en baisse dès 2018, mais des catastrophes climatiques (inondations et tornades) ont détruit de nombreux logements, notamment en Outaouais. Le nombre de rénovictions est aussi en hausse, ainsi que la location de logements à court terme (notamment par Airbnb). Pendant que le fédéral reconnaît le droit au logement, mais sans y mettre les budgets au diapason de cette reconnaissance (en plus, ses logements «abordables» ne le sont trop souvent que pour les locataires les plus riches…), le gouvernement Legault nie la présence d’une crise du logement et les constructions qu’il a promises se réalisent au compte-gouttes.

L’arrivée de la pandémie de COVID-19 exacerbe la précarité de bien des locataires, mais le gouvernement n’adopte que des mesures très temporaires pour éviter les évictions au cours de cette période où on demande aux gens de rester confinés. Heureusement, le recours à la prestation canadienne d’urgence (PCU) soulage bien des ménages de locataires, contribuant grandement à la baisse du taux de faible revenu en 2020, et de la proportion des ménages qui consacrent plus de 30 %, de 50 % et de 80 % de leurs revenus au loyer. Le FRAPRU doit adapter ses actions pour respecter les consignes en cours (masques, distanciation, taille limitée des regroupements, etc.). L’itinérance explose et les campements se multiplient. Il aborde aussi l’absence de mesures pour protéger les locataires; l’échec du nouveau programme caquiste, le programme d’habitations abordables du Québec (PHAQ); le projet de loi 31; l’augmentation du nombre de ménages sans logement en juillet 2023; la croissance de l’itinérance; les campagnes les plus récentes du FRAPRU.

Conclusion – Se battre au temps des crises : Dès les années 1980, le FRAPRU mettait en garde de considérer le logement comme une marchandise ordinaire, car il est avant tout un droit. C’est encore plus vrai de nos jours, alors que le marché de l’habitation est de plus en plus contrôlé par des géants de l’immobilier et du secteur financier. Cela a fait en sorte que la crise actuelle n’est pas seulement liée au manque de logements, mais aussi à leur cherté, à l’augmentation des loyers et aux manœuvres des propriétaires qui évincent leurs locataires dans le seul but d’augmenter les loyers. L’auteur décrit bien d’autres manœuvres dans ce but et dénonce le régime fiscal qui les encourage. Il aborde aussi l’impact des changements climatiques sur les locataires les plus démuni·es; la discrimination raciale dans ce secteur; l’avenir du logement social et le droit au logement des ménages à faibles revenus; l’acquisition de logements pour les sortir du marché spéculatif; les gains du FRAPRU, d’autres organismes et de locataires malgré le climat hostile de ce marché et des lacunes des interventions gouvernementales; la hausse de la mobilisation pour combattre cette crise; la force et la variété des organismes communautaires; la force, la résilience et la pertinence du FRAPRU et de ses actions.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Malgré l’impression que peut donner la lecture de ce billet, je n’ai pu en fait qu’effleurer le contenu monumental de ce livre. Non seulement l’auteur sait rendre passionnantes les histoires qu’il y raconte, mais il a su les agrémenter de nombreuses photos tirées de diverses archives. Il a su aussi nous permettre de différencier clairement ses propos personnels de l’histoire plus globale du FRAPRU. En plus, le texte est accompagné de nombreux encadrés qui précisent des notions qui ne sont pas nécessairement connues de tout le monde. J’ajouterai que, personnellement, le FRAPRU est un des organismes communautaires qui m’a le plus impressionné quand j’étais agent de projets et par la suite, tant pas la qualité de ses analyses (dont ses dossiers noirs sur le logement et la pauvreté au Québec, voir par exemple ce billet) que par le nombre et la variété de ses actions. Et il continue de nous surprendre près de 50 ans après sa création. Si la situation du logement s’est détériorée au cours des dernières années, les actions du FRAPRU ont su amoindrir grandement ses pires effets. Autre bon point, les 406 notes, surtout des références, mais aussi des compléments d’information, sont en bas de page.

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