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L’odyssée du sacré

26 février 2024

odyssée du sacré«Pourquoi sapiens est-il aussi un Homo spiritus : le seul animal qui cherche à donner du sens à sa vie, pratique des rituels funéraires, invente de grands récits collectifs et croit bien souvent en des forces invisibles?». Frédéric Lenoir tente avec son livre L’odyssée du sacré «de répondre à ces questions essentielles et montre, au fil de ce voyage dans le temps, la corrélation entre les grandes révolutions spirituelles et les bouleversements des sociétés humaines : de la sédentarisation au monde connecté, en passant par la naissance des cités, des civilisations, des empires et de la modernité».

Introduction : Dès ses débuts, homo sapiens suit des rituels. L’auteur ajoute que, depuis plus de 5000 ans, «toutes les civilisations se sont édifiées autour de croyances et de pratiques religieuses» et la majorité des êtres humains ont toujours des croyances religieuses, et une bonne partie des autres ont une vie spirituelle. Il définit ensuite quelques termes liés aux religions et à la spiritualité (il parle d’ailleurs de l’homo spiritualis) et esquisse le contenu de ce livre qu’il qualifie d’ouvrage très synthétique (malgré ses 528 pages), et explique qu’il a dû faire des choix déchirants. Il conclut que, face aux défis «auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée», notamment environnementaux, «une élévation de notre conscience morale et spirituelle me paraissent plus que jamais nécessaires».

Première partie – L’aventure spirituelle de l’humanité

1. Préhistoire – l’aube du sacré : S’il est difficile de savoir précisément quand nos ancêtres ont développé le sens du sacré, l’archéologie nous fournit quand même des indices que l’auteur présente en expliquant leur sens probable. Il s’agit surtout de sépultures dont il nous décrit les caractéristiques, très variables d’un cas à l’autre. La plus ancienne daterait d’environ 350 000 ans, mais le geste funéraire est incertain. Chose certaine, les gestes funéraires sont plus clairs à partir d’il y a 120 000 ans et ils deviennent plus fréquents à partir d’il y a 50 000 ans. Leur sens, religieux ou pas, demeure incertain. Les preuves ne deviennent plus claires qu’un peu avant le Néolithique, il y a environ 8500 ans. Il aborde ensuite les croyances et les rites les plus anciens, dont certains existent encore; les interprétations de l’art rupestre et de l’art pariétal; le concept de révolution cognitive.

2. Tournant du Néolithique et Protohistoire – naissance des dieux : Avec la fin de l’ère glaciaire, il y a environ 15 000 ans, sapiens a changé de mode de vie, notamment avec la sédentarisation, ce qui a bien sûr eu un impact sur ses croyances. En apprivoisant la nature, il a abandonné ses croyances liées aux animaux et s’est bâti des barrières mentales entre lui et la nature, se percevant dorénavant supérieur aux autres formes de vie. On assiste alors à «l’essor du sacrifice et de la prière» et sapiens a alors construit les premiers temples. L’auteur aborde ensuite:

  • le culte du crâne (souvent de ses ancêtres);
  • le culte de la déesse Mère, symbole de la fertilité;
  • l’avènement du patriarcat (et des dieux masculins plus puissants que les déesses qu’ils remplacent bien souvent), lié au développement des techniques agraires et à la découverte du rôle du sperme masculin dans la procréation; c’est alors que les hommes ont commencé à assurer l’autorité au sein des familles et des postes politiques, économiques, sociaux et religieux de direction;
  • la création des cités-États et des premiers empires, et la formation de dynasties héréditaires partout sur la planète;
  • l’invention de l’écriture et de la monnaie;
  • l’évolution de la structure des religions inspirée par celle de la société vers le polythéisme et les panthéons propres à chaque empire, puis vers l’hénothéisme et finalement le monothéisme;
  • le pouvoir et la hiérarchie du clergé.

3. Les religions du monde antique – mythes, sacrifices et codes moraux : Les mythes répondent en premier lieu au besoin d’expliquer les mystères du monde, mais aussi à ceux de relier les humains, de fédérer les peuples, de justifier le pouvoir politique et ses inégalités, de légitimer les codes moraux et les interdits, et de faire accepter notre condition de mortels. L’auteur aborde ensuite :

  • les mythologies et religions de la Grèce antique qui ont contribué à unir les cités-États grecques;
  • la démarcation entre le sacré et le profane;
  • la sacralisation du temps et de l’espace;
  • les sacrifices d’animaux, puis d’êtres humains, qui ont été pratiqués sur tous les continents;
  • la complexité des organisations sociales, politiques et religieuses et les liens entre elles;
  • les codes moraux les plus célèbres, dont le Code de Hammurabi et les dix commandements livrés par Dieu à Moïse.

4. Le tournant axial – une révolution spirituelle : Ce chapitre porte sur l’émergence de nouveaux modes de pensée un peu partout sur la planète de 800 à 200 avant notre ère, période appelée par certains l’âge axial. Ces modes de pensée, surtout religieux, mais pas seulement, sont davantage centrés sur l’individu que sur la société, d’où l’apparition des concepts de ciel et d’enfer. L’auteur aborde ensuite des manifestations précises de cette émergence, comme le zoroastrisme; le judaïsme; le christianisme (pourtant arrivé après l’âge axial…); la philosophie grecque; la sagesse orientale, avec notamment celles de Confucius, du taoïsme, de l’hindouisme et du bouddhisme.

5. Magie, sorcellerie et exorcisme : Les nombreux nouveaux modes de pensée développés au cours de l’âge axial ont conduit à la disparition graduelle des polythéismes et à la croissance phénoménale des «grandes religions du salut». L’auteur revient toutefois sur l’animisme qu’il n’a pas encore présenté en détail. Pour ce, il aborde la persistance de la magie, même après la quasi-disparition de l’animisme d’où elle vient, que ce soit en marge ou au sein des grandes traditions religieuses; les origines et les caractéristiques et types de magie, ainsi que leur fonctionnement; la distinction entre la pensée religieuse (invocation, prière, miracles, etc.) et la pensée magique; la sorcellerie et les autres magies noires; la possession, l’exorcisme et l’adorcisme.

6. Essor mondial des religions du salut : L’auteur analyse cet essor pour les «trois grandes religions universalistes que sont le bouddhisme, le christianisme et l’islam». Il a déjà parlé plus tôt du judaïsme et du zoroastrisme et précise que, comme ces deux religions «n’ont pas de vocation prosélyte», elles ne peuvent pas avoir connu le même essor que les trois qu’il a retenues.

7. Le tournant de la modernité – le croire éclaté et recomposé : Le quatrième grand tournant, après la révolution du Néolithique, la naissance des civilisations et l’âge axial, est survenu «à partir de la Renaissance, avec l’avènement du monde moderne», avec notamment le développement de l’esprit critique, de l’individualisation et de la globalisation, et aussi l’évidence de la contradiction entre les connaissances scientifiques et un bon nombre de croyances religieuses et spirituelles (ceci est mon interprétation, car l’auteur ne dit pas ça comme ça, par exemple en attribuant à ces contradictions divers phénomènes, dont l’apparition du fondamentalisme, des intégristes et des sectes). Il aborde dans ce contexte l’impact des Lumières; les principes de la laïcité; la baisse de la demande religieuse et la personnalisation des pratiques religieuses; le développement des inégalités économiques et des politiques et des pratiques religieuses identitaires; les différentes formes de fondamentalismes; la distinction entre une secte et une religion; le scientisme, le spiritualisme et le spiritisme; l’ésotérisme; l’astrologie.

Deuxième partie – Pourquoi l’être humain est-il un animal spirituel? : Il est clair que la spiritualité et la religion ont été omniprésentes dans l’histoire de l’humanité. Il reste à savoir et à comprendre pourquoi il en fut toujours ainsi et pourquoi sapiens est le seul animal spirituel et religieux.

1. Le divin en nous : L’auteur montre tout d’abord que l’animisme est l’exception, car il reposait sur le postulat que tous les êtres vivants (et parfois même les minéraux) avaient un corps visible et un esprit invisible, et que l’humain n’était pas supérieur aux autres êtres vivants. Ce n’est qu’à partir du Néolithique que l’homme se considère comme différent des autres animaux et qu’il devient un homo spiritus et le demeurera toujours.

2. Une croyance illusoire – la critique matérialiste : Les philosophes athées considèrent que la religion n’est qu’une étape infantile de l’évolution de l’humanité et qu’elle n’a atteint l’âge adulte «qu’avec l’avènement de la philosophie des Lumières et de la science moderne». Dans ce contexte, l’auteur aborde la pensée de Feuerbach (la religion est une aliénation anthropologique); de Marx (la religion est complice de l’aliénation économique); de Nietzsche (elle est une aliénation théologique, une négation de la vie); de Freud (elle est une aliénation psychique, une idée délirante); de Comte, Dawkins et bien d’autres (elle est une aliénation intellectuelle).

3. L’expérience spirituelle : L’auteur déplore que les penseurs présentés dans le chapitre précédent ne s’attardent que sur la croyance religieuse (illusoire, délirante ou superstitieuse, selon eux), mais négligent le fait «que la religion repose aussi, et surtout, sur le cœur, la sensibilité, les émotions» et qu’elle est le fruit d’une expérience intérieure. Dans cette optique, il présente les positions d’auteurs accordant plus de poids à ces dimensions, dont Jung, Frankl, Bergson et Comte-Sponville.

4. Les neurones de la foi : L’auteur se penche cette fois sur le fonctionnement de notre cerveau qui pourrait expliquer que sapiens est aussi spiritus. Plutôt que de présenter la pensée et les constats d’auteurs comme dans les deux chapitres précédents, il y regroupe des pensées et des constats par sujet. Il aborde donc en premier les caractéristiques de notre cerveau qui expliquent que la grande majorité des membres de notre espèce ont des croyances ou vivent des expériences spirituelles ou intérieures; que les rituels, notamment religieux, soient si importants; que nous ayons autant besoin de donner un sens à des événements et, surtout, à notre vie; que la grande majorité des êtres humains demeurera religieuse ou spirituelle. Dans ce dernier cas, l’objet de la spiritualité pourrait changer en adoptant un objectif commun comme la protection de l’environnement.

Conclusion : L’auteur considère que nous vivons actuellement au début d’un cinquième grand tournant anthropologique et sociétal. Ce tournant se manifeste par trois bouleversements majeurs et inédits (tous liés au capitalisme) : l’arrivée de l’Anthropocène, la révolution numérique et le transhumanisme. Il explique en quoi consistent ces bouleversements et les analyse. Il observe aussi, surtout en Occident, «une progression du désenchantement du monde», mais aussi à un désir (pour l’instant minoritaire) de le réenchanter, en renouant avec la nature, en redonnant une place plus égalitaire aux femmes et en accordant plus d’importance à «la dimension intuitive de notre esprit». Sur ce dernier point, il tente de montrer que nous pouvons très bien être à la fois «scientifiques et religieux, philosophes et spirituels». Il conclut en parlant de l’urgence de la vie intérieure et de la spiritualité, de façon à ce que nous soyons «en paix avec nous-même, avec les autres et avec tous les êtres vivants», ce qui représente pour lui l’essentiel.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Ça dépend! Ayant des affinités avec ce que l’auteur appelle la critique matérialiste, je ne partage pas son idéal. En plus, j’ai trouvé ce livre long, très long, en partie en raison de ses 528 pages, mais surtout sur un seul sujet. Par contre, ce livre fait très bien le tour de la question, donne la parole à des penseurs (je ne me souviens pas qu’il ait cité une seule femme…) aux philosophies opposées et représente une mine d’information sur ce sujet. Son livre est aussi très bien structuré, nous permettant de le suivre sans effort dans son odyssée (mais en y consacrant beaucoup de temps!). Autre bémol, les 310 notes, toutes des références, sont à la fin du livre. On peut aussi écouter l’auteur parler de ce livre dans cette vidéo de moins de quatre minutes, qui pourrait vous convaincre de vous le procurer ou de ne pas le faire, si vous hésitez.

3 commentaires leave one →
  1. Robert Lachance permalink
    6 mars 2024 6 h 31 min

    Fort bien résumé !

    Dans une chronique récente, Jean-François Lisée écrit ceci : Toutes ces entorses à la nécessaire sacralisation du jour du scrutin sont des catastrophes.

    https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/806742/chronique-devitaliser-vote?

    Il m’a donné une méchante poussée à lire davantage mon cadeau de la mère Noël en 2023, L’Odyssée du sacré. Sans m’en sacrer, le sacré n’est pas ma tasse de thé.

    Je lui ai signalé que j’en étais à la conclusion. Je la termine, je la relis et je lui reviens, la consultation en ligne de la DGEQ sur une réforme électorale m’intéresse au plus haut point. Jean-François y veut du sacré. Sacré Jean-François !

    Je suis d’accord avec vous que « ce livre fait très bien le tour de la question, donne la parole à des penseurs (je ne me souviens pas qu’il ait cité une seule femme…) aux philosophies opposées et représente une mine d’information sur ce sujet. » En relisant, je vais faire attention en ce qui concerne les femmes. Cité/e, je ne sais pas, mentionné/e, plusieures.

    Vous m’enlevez les mots des doigts quand vous écrivez : « Son livre est aussi très bien structuré, nous permettant de le suivre sans effort dans son odyssée (mais en y consacrant beaucoup de temps!). Pour un néophyte comme moi, les préalables sur le sujet étant ce qu’ils sont, le temps était opportun, vu qu’il ne respecte pas ce que l’on fait sans lui dit-on.

    J’avais demander à la Mère Noël pour avoir entendu Frédéric, pas Hubert, Fille de personne, à Radio-Canada. Hubert, c’était à mon dernier passage à Tadoussac il y a des années.

    Fort bien résumé, donc un peu long.

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  2. Robert Lachance permalink
    13 mars 2024 9 h 09 min

    J’ai fini de lire, j’ai relu la conclusion et un peu plus et j’ai ajouté ce commentaire à l’adresse de mon commentaire précédent.

    « intégriste de la démocratie »

    Qu’est-ce à dire ? Nécessaire sacralisation du droit de vote consacré par :

    au fédéral, l’article 3 de la Charte 1982 des droits et libertés, Droits politiques : Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.

    au national par l’article 22 de la Charte des droits et libertés de la personne, Droits politiques : Toute personne légalement habilitée et qualifiée a droit de se porter candidat lors d’une élection et a droit d’y voter ?

    Vous. 24/07/23 Les déserteurs. « J’estime que le droit de vote est le plus important des droits, celui qui détermine tous les autres. Sans le droit d’élire et de virer nos représentants, aucun autre droit n’est à l’abri. De même, j’estime que l’élu a la plus importante des fonctions, puisque ses décisions, dans l’Assemblée, peuvent modifier, en bien ou en mal, la condition de tous les citoyens. »

    15/02/19 L’ahurissante proposition anti-Charlie de la CAQ. (Manque le mot intégriste)

    12/08/16 Plaidoyer pour une Charte de la laïcité. « On objectera que le Québec est contraint par la Charte canadienne des droits et libertés et par l’interprétation que peut en faire la Cour suprême. Outre le fait, majeur, que la démocratie québécoise n’a jamais entériné cette Charte, le fait est qu’elle permet à l’Assemblée nationale d’adopter des lois en invoquant la clause dérogatoire qui rétablit le primat des décisions des législateurs sur ceux des juges en plusieurs cas. L’utilisation de cette clause oblige l’Assemblée à revoter la loi ainsi protégée chaque cinq ans, ce qui est un intervalle raisonnable pour reconsidérer les progrès, ou les échecs, du dispositif législatif sur un sujet aussi sensible et potentiellement évolutif. »

    11/02/27 Laïcité, mode d’emploi : 1) Principes généraux. (manque le mot démocratie)

    Nécessaire sacralisation de l’élection, dont le droit de vote

    Au Canada, semble-t-il (j’ai lu sans vérifier), De 1898 à 1993, de nombreux citoyens ayant une déficience intellectuelle ne pouvaient pas voter aux élections fédérales. Les juges nommés par le gouvernement fédéral ont voté pour la première fois en 1988. De nos jours, seul le directeur général des élections du Canada ne peut pas voter. Élections Canada, faits intéressants.

    https://electionsetdemocratie.ca/le-droit-de-vote-au-fil-du-temps-0/bref-historique-du-droit-de-vote-aux-elections-federales-canadiennes

    Si les législateurs ou judiciaires fédéraux ont « sacralisé » le droit de vote au point de ne le retirer qu’au directeur général des élections du Canada jusqu’à maintenant, après l’avoir retiré aux juges jusqu’en 1988, à de nombreus/es déficient/es intellectuel/les jusqu’en 1993 et aux incarcéré/es jusqu’en 2004, pour continuer d’évoluer en ce sens, pourquoi pas faire l’équivalent pour les moins de 18 ans. Dans leur cas, il faudrait prévoir par procuration à un parent ou parrain/ne en leur place, le temps de leur enseigner à le faire eux-mêmes.

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  3. 13 mars 2024 16 h 25 min

    Robert Lachance

    Je ne vois pas le rapport avec ce billet! Une remarque (même si j’en ai bien plus en tête) :

    « peuvent modifier, en bien ou en mal, la condition de tous les citoyens.»

    Et même des non citoyen·nes, comme les gens qui demandent l’asile. Pensons aux femmes réfugiées qui accouchent avec une belle facture de 100 000 $!

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