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Santé inc.

8 avril 2024

Santé incAvec son livre Santé inc. – Mythes et faillites du privé en santé, Anne Plourde, docteure en science politique, titulaire d’un postdoctorat sur la privatisation des services de santé et chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), «a voulu confronter cinq mythes sur le privé en santé à la réalité des faits. À la lumière des expériences menées au Québec et ailleurs dans le monde, son constat est implacable : le privé multiplie les échecs depuis un siècle, il ne coûte pas moins cher, n’est pas plus efficace, ne réduit pas les listes d’attente et n’améliore pas la qualité des soins».

Introduction – Le privé en santé, est-ce que ça fonctionne? : L’autrice présente le contexte actuel de crise dans le système public de santé et l’illusion que le recours accru aux services du secteur privé serait une des solutions à cette crise, alors que ce recours, à l’intérieur et à l’extérieur du système public, est en croissance depuis des décennies sans amélioration de la situation. Elle énonce ensuite ses objectifs en écrivant ce livre, dont celui de répondre à la question du titre de cette introduction. Elle aborde ensuite les grandes lignes du contenu des chapitres de ce livre; les concepts qu’elle y utilisera; les deux modèles de recours au privé dans la santé; une esquisse de la réponse à sa question.

Faillite 1. Le privé en santé échoue depuis un siècle – Mythe 1. Le système de santé est essentiellement public : L’autrice démolit ce mythe en rappelant que notre système de santé était supposé devenir à 100 % public lors de la Révolution tranquille, notamment parce que le système privé en force partout ou presque avant la création de l’assurance hospitalisation en 1961 et de l’assurance maladie en 1970 avait échoué à offrir des services qui répondaient aux besoins de la population. En fait, cet objectif de nationalisation complète n’est jamais passé proche d’être réalisé par manque de volonté politique. L’autrice se penche ensuite sur l’état déplorable des services de santé avant la création des deux assurances (hospitalisation et maladie) et sur la survie des services privés après cette date en raison de la force des lobbys du privé et du conservatisme de nos gouvernements.

Faillite 2. Le privé en santé échoue à réduire les coûts – Mythe 2. Le privé coûte moins cher : Même si ce mythe est déboulonné depuis longtemps, même dans la population, il demeure qu’il fut l’argument à la base de bien des privatisations dans le secteur de la santé. L’autrice fait le tour des nombreuses facettes du privé en santé, avec des exemples qui montrent qu’il est inévitablement plus cher, moins accessible et moins efficace, et ce, peu importe le domaine d’intervention. Elle explique aussi les facteurs qui expliquent ces constats désolants, notamment durant la pandémie de COVID-19.

Faillite 3. Le privé en santé échoue à être efficace – Mythe 3. Le privé est plus efficace : Pour un certain ministre de la CAQ et sûrement pour d’autres, le privé est plus efficace que le public par définition, C’est pratique de dire cela, car ce genre d’affirmation n’exige aucune preuve, aucune démonstration. Il en est de même de celle qui prétend que les gestionnaires du privé ont des compétences bien supérieures à celles des gestionnaires du public. Pourtant, les frais d’administration sont systématiquement plus élevés dans le secteur privé et c’est quand le secteur public tend à imiter le secteur privé, entre autres avec la nouvelle gestion publique, que ces frais explosent dans le secteur public. L’autrice aborde aussi les vagues de fusions des établissements et la disparition des conseils d’administration élus, au grand plaisir du milieu des affaires; l’augmentation du temps consacré à des tâches administratives; le mode de rémunération des médecins caractérisé par sa lourdeur administrative, malgré tout imité pour le financement des hôpitaux (financement à l’activité); la diminution de l’accès aux services de première ligne et la hausse de l’encombrement dans les urgences; l’échec (non pénalisé) des «super-cliniques».

Faillite 4. Le privé en santé échoue à désengorger le public – Mythe 4 : Le privé aide à réduire les listes d’attente dans le public : Il échoue en premier lieu parce qu’il vampirise les ressources du secteur public, ses services ne s’ajoutant pas à ceux du public comme le prétend le gouvernement, mais détournant plutôt les ressources du public vers le privé, et ce, dans tous les pays où de telles «solutions» ont été essayées. La raison de cette vampirisation est partout la même, car le nombre de professionnel·les de la santé n’augmente pas par magie quand l’État sous-traite des chirurgies aux super-cliniques. L’autrice aborde aussi la hausse de la proportion d’emplois dans le secteur privé dans les soins de santé et d’assistance sociale entre 1987 et 2000; les facteurs qui expliquent cette hausse; la réglementation insuffisante pour limiter les transferts des professionnel·les de la santé vers le secteur privé; le cas particulier et encore plus néfaste de la migration des psychologues vers le secteur privé; l’impact des soins virtuels sur la privatisation des services de santé.

Faillite 5. Le privé en santé échoue à préserver la qualité et l’équité – Mythe 5. Le privé améliore la qualité des soins : L’autrice explique que ce mythe repose sur un raisonnement basé sur les théories économiques orthodoxes et même néoclassiques, et non pas sur des observations empiriques. J’ajouterai que le «marché» de la santé n’a rien à voir avec un libre marché pleinement concurrentiel et que, en conséquence, même si on croit aux bienfaits du libre marché, ceux-ci ne s’appliquent pas à celui de la santé. Elle montre ensuite que la qualité des services de santé s’est détériorée dans tous les territoires (pays, territoires, provinces et autres) qui ont cru en ce mirage. Par exemple, le bilan des décès dus à la COVID-19 fut carrément accablant pour les établissements privés, au Québec comme dans toutes les provinces canadiennes, tellement que même le gouvernement de la CAQ, on ne peut plus favorable au privé, a même parlé de les nationaliser (mais, il a ensuite renoncé à le faire…). Elle revient sur les problèmes liés à la télémédecine privée, puis aborde la contradiction entre la recherche de profits maximaux et la livraison de services de qualité supérieure, notamment en prévention, d’autant plus que cela réduirait la demande pour leurs services curatifs les plus profitables; le conflit d’intérêts des entreprises pharmaceutiques entre la production de médicaments efficaces et la maximisation des profits, comme la crise des opioïdes l’a montré clairement; les décès innombrables dus aux brevets qui créent des monopoles; le développement d’un système de santé à deux vitesses; les conséquences de l’absence presque complète de services publics dans les soins dentaires et oculaires; les passerelles entre les services de santé couverts par le régime public et ceux qui ne le sont pas.

Conclusion – Déprivatiser les services de santé : L’autrice se penche ici sur un autre mythe, celui de l’inévitabilité du recours au privé pour le financement et la prestation des services de santé. Elle propose la seule solution pour faire face aux cinq mythes déconstruits dans ce livre (en fait six avec celui-ci) : déprivatiser l’ensemble des services de santé, mesure qui est nécessaire, mais pas suffisante. Elle recommande donc qu’on travaille aussi à décentraliser, à démocratiser et à démédicaliser les services, en mettant en plus l’accent sur la prévention et sur les services de première ligne. Elle ajoute que ses recommandations sont expliquées plus en détail dans ce document publié par l’IRIS qu’elle a rédigé avec deux collègues. Il faudra aussi améliorer les conditions de travail dans le secteur public, et pas seulement les salaires. Elle parle aussi de démocratiser la gestion des établissements publics et surtout de garantir la pleine autonomie aux professionnel·les de la santé, tout en allégeant leurs tâches administratives. Elle propose ensuite une série de mesures pour réaliser ces recommandations, puis conclut en répondant par la négative à la question du titre de l’introduction de ce livre.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Il s’agit du livre que j’ai lu qui contient le plus de faits et d’arguments démontrant le coût plus élevé du privé en santé et son inefficacité. On pourrait trouver qu’il y a beaucoup de répétitions dans ce livre, mais, malgré la recension des échecs continuels du secteur privé en santé, les idéologues de ce gouvernement (et de ceux qui l’ont précédé) ne cessent de vanter l’efficacité du secteur privé et les économies (imaginaires) qu’il procure dans les services de santé. Alors, ce sont surtout les erreurs des gouvernements qui se répètent! Je tiens aussi à souligner la qualité de l’écriture qui permet d’éviter les lourdeurs qu’on pourrait craindre dans un livre qui contient beaucoup d’informations techniques. Autre bon point, les 166 notes, aussi bien des références que des compléments d’information, sont en bas de page.

On peut aussi lire un autre résumé intéressant de ce livre, tout à fait complémentaire à ce billet, accompagné d’une entrevue avec l’autrice dans cet article de Pivot.

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