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Les quémandeurs et le mal hollandais

24 Mai 2014

quémandeursÉtant resté dans l’ombre 28 minutes consécutives, Maxime Bernier, trouvant ce boycott (quasiment une grève!) médiatique intolérable, a relevé ses manches pour revenir sous le feu des projecteurs. Il a décidé de s’attaquer à ses compatriotes québécois en les accusant de «quémander toujours plus d’argent à Ottawa» et en enjoignant le Québec de «briser sa dépendance financière envers Ottawa». Selon notre ministre assoiffé de lumière (des photons, ça désaltère, vous ne saviez pas?), si le Québec est «pauvre», et obtient autant de péréquation «ce n’est pas la faute du reste du Canada». Ah oui (ou ah non, j’hésite…)?

Mal hollandais

M. Bernier a bien sûr eu droit aux applaudissements de notre éditorialiste délégué à la défense du fédéralisme, André Pratte. Bon, il n’a pas parlé de la péréquation (un manque d’arguments, peut-être?), mais n’a pas hésité à parler du «discours de mendiant» des péquistes et même de Carlos Leitao, le nouveau ministre des Finances.

Heureuse coïncidence, Le Devoir publiait dès le lendemain un article intitulé «L’Alberta s’enrichit au prix d’un appauvrissement du Québec – Le «mal hollandais» a causé la perte de 32 000 emplois manufacturiers au Québec, dit un expert» (article malheureusement cadenassé) basé sur un des chapitres que contiendra «l’ouvrage Le Québec économique, dirigé par Luc Godbout et Marcelin Joanis,et à paraître aux Presses de l’Université Laval», chapitre rédigé par Serge Coulombe, professeur de science économique à l’Université d’Ottawa.

Ainsi, on ne quémanderait pas au Canada, mais, au contraire, ce serait en raison de ses politiques que le Québec s’appauvrit? Ah bon, cela ressemble étrangement à ce que j’écrivais il y a près de trois ans, en tenant en gros le même discours que M. Coulombe. Lui dit que «L’impact à la hausse sur le dollar canadien de l’exploitation des sables bitumineux et des autres ressources naturelles a causé la perte de près de 32 000 emplois dans le secteur manufacturier québécois entre 2002 et 2008», soit 31 % des 103 000 pertes d’emploi de ce secteur au cours de cette période (le reste venant de la baisse du dollar américain et de la concurrence avec les pays à bas salaire). Moi, je disais que «le solde du commerce extérieur du Québec est passé d’un surplus de 4 milliards $ en 2002 à un déficit de plus de 27 milliards $ en 2010» (déficit ayant atteint près de 28 milliards $ en 2012).

M. Coulombe poursuit : «Il n’y a pas de gêne à recevoir de la péréquation, précise l’économiste. On entend dire que, si le Québec en reçoit, c’est parce qu’il n’est pas bon, mais ce n’est pas vrai. Il en reçoit parce que, contrairement à l’Alberta ou Terre-Neuve, il n’a pas de pétrole». Je disais dans cet autre billet (qui date, lui, de près de quatre ans) que «la péréquation reçue par le Québec ne représente même pas un prix de consolation par rapport aux désavantages qu’il doit subir en raison de la hausse de la valeur du dollar canadien due à l’exploitation du pétrole des sables bitumineux!».

On pourrait déjà dire que les grands esprits se rejoignent, mais ce n’est pas tout! L’article ajoute en effet : «Aux souverainistes, il conseille de réexaminer sérieusement cette idée, encore répétée durant les dernières élections générales, qu’un éventuel Québec indépendant garderait le dollar canadien pour devise. Qui voudrait, demande-t-il, d’une monnaie qui fluctue en fonction du prix des ressources naturelles d’un autre pays, surtout si l’on n’a plus droit aux mécanismes de repartage de la richesse canadiens ?». Et moi que disais-je récemment à ce sujet? «un Québec indépendant se condamnerait à perpétuer son important déficit commercial international, sans bénéficier de l’apport actuel de la péréquation et des autres transferts du Canada».

M. Coulombe prétend plutôt que : «Le Québec serait mieux, dans ce cas, d’adopter le dollar américain, qui n’a pas le désavantage, au moins, d’être une pétro-monnaie. Le drame vécu par la Grèce, le Portugal et d’autres pays de la zone euro pourrait aussi le convaincre de se doter de sa propre monnaie». Enfin une différence! Personnellement, jamais je ne recommanderais d’adopter une monnaie d’un pays qui, même sans posséder une pétro-monnaie (quoique, avec la production de gaz et de pétrole de schiste dans ce pays, on peut se poser la question…), possède une économie structurellement aussi différente de celle du Québec (rappelons-nous l’expérience de l’Argentine, en plus de celle de la zone euro, comme le dit M. Coulombe). Cela dit, je concluais un peu comme lui en disant que «il est clair que les avantages pour un Québec indépendant d’adopter sa propre monnaie l’emportent nettement sur ses désavantages».

M. Coulombe recommande finalement que, tant qu’à rester au Canada, le Québec devrait «profiter de la position de force que lui confèrent les projets d’oléoducs visant à sortir le pétrole albertain de son isolement géographique pour réclamer une bonification du système de péréquation. «La position québécoise devrait être : pipeline contre péréquation»! Disons que je ne suis jamais allé aussi loin, mais que je trouve qu’il n’a pas tort! Bref, il ne recommande pas de cesser de quémander, mais, au contraire, de revendiquer davantage!

Et alors…

Il est rigolo de voir que, à un seul jour d’écart, la thèse de M. Bernier soit à ce point contredite. Je n’en attendais pas tant! Bon, il est fort possible que mon appréciation de la thèse de M. Coulombe soit basée sur un biais de confirmation. Il dit presque la même chose que moi!

Mais, croyez-moi, ce n’est pas un biais, nous avons clairement raison!

5 commentaires leave one →
  1. 24 Mai 2014 8 h 13 min

    Bullshit! presentement le dollar canadien vaut des penautes. Presentement, ca me coute 0.70 euros pour acheter un dollar canadien.

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  2. Michel Vandal permalink
    24 Mai 2014 23 h 27 min

    Il paraît que Robert Bourassa avait flirté avec l’idée de l’indépendance du Québec dans les années 60 et début 70. Il avait même rencontré René Lévesque, Parizeau et autres ténores indépendantistes pour discuter de la chose. Mais Bourassa n’avait pas adhéré à la thèse souverainiste parce que selon lui, il fallait adopter notre propre monnaie, alors que les autres n’étaient pas d’accord. Il faut croire que Robert Bourassa avait raison sur ce point. !

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  3. 25 Mai 2014 0 h 28 min

    Là il y a trop de suppositions pour moi!

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  4. 26 Mai 2014 16 h 21 min

    Je reviens de l’Islande, un pays « sauvé » par sa couronne islandaise qu’il a pu dévaluer pour éviter que la crise économique de 2008 ne le touche encore plus…

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