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L’austérité et les femmes (2)

9 avril 2016

austérité_femmesDans un billet datant de moins d’un mois, j’ai montré que la tendance à la diminution de l’écart entre les taux d’emploi des hommes et des femmes qui durait depuis plusieurs décennies a soudainement été inversée à partir de l’élection des libéraux, en avril 2014. Pour illustrer la tendance passée, j’ai notamment écrit que «le taux d’emploi des femmes a augmenté de 5,5 points de pourcentage entre 2000 et avril 2014, tandis que celui des hommes diminuait de 2,3 points», alors que ce taux a diminué de 0,1 point chez les femmes entre avril 2014 et février 2016 et qu’il a augmenté de 0,8 point chez les hommes.

Dans un commentaire sur ce billet, Jean-François Lisée, député de Rosemont, a manifesté l’intérêt de voir un graphique sur l’évolution du taux d’emploi chez les hommes et les femmes entre 2000 et 2016. Il a tout à fait raison. En effet, en comparant uniquement deux points distants de 16 ans comme je l’ai fait, cela ne nous permet pas de savoir si cette tendance fut linéaire ou si elle a été plus forte à un moment et moins à d’autres.

Deux graphiques

J’ai donc testé différentes façons de présenter cette évolution. La première, illustrée dans le graphique qui suit, compare simplement l’évolution des taux d’emploi mensuels désaisonnalisés des hommes et des femmes entre janvier 2000 et mars 2016 (donc avec un mois de plus que dans le billet précédent, puisque Statistique Canada a publié hier les estimations de l’Enquête sur la population active (EPA) pour mars 2016), selon le tableau cansim 282-0087.

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Si ce graphique permet de bien visualiser les niveaux différents des taux d’emploi entre les hommes et les femmes, il est difficile de bien voir l’évolution des écarts entre les deux. Il permet tout de même de constater que le gros de la hausse du taux d’emploi des femmes entre janvier 2000 et mars 2016 s’est en fait réalisé entre 2000 et 2007. Il permet aussi de bien voir que les hommes ont subi plus durement la récession de 2008-2009, mais que leur taux d’emploi s’est presque complètement rétabli dès 2010, alors que le taux d’emploi des femmes est demeuré relativement stable par la suite, avec toutefois une certaine baisse en fin de période. Au contraire, le taux d’emploi des hommes a plutôt eu tendance à augmenter depuis l’arrivée des libéraux au pouvoir (après toutefois avoir diminué l’année précédente), soit en avril 2014, moment représenté pas le trait vertical sur le graphique. Pour mieux voir l’impact de l’évolution des taux d’emploi des hommes et des femmes, il est toutefois préférable de plus simplement regarder l’évolution de cet écart.

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Ce graphique montre que l’écart des taux d’emploi entre les hommes et les femmes a diminué presque linéairement entre janvier 2000 et la fin de 2009. Il a augmenté au cours des deux années suivantes, essentiellement en raison de la remontée du taux d’emploi des hommes après la récession, pour ensuite reprendre sa tendance à la baisse (mais de façon moins accentuée qu’auparavant), passant d’une moyenne de 7,5 dans la deuxième moitié de 2011 à une moyenne de 5,2 points entre mai et juillet 2014 (période correspondant aux mois suivants tout juste l’élection des libéraux) pour ensuite augmenter et atteindre une moyenne de 6,4 points au cours des trois premiers mois de 2016, malgré une baisse en février et en mars. Si on regarde bien le graphique, cette hausse de l’écart du taux d’emploi des hommes et des femmes est seulement la deuxième qu’on peut observer depuis janvier 2000. Le premier s’explique par la reprise de l’emploi masculin après la récession tandis que le deuxième n’est lié à aucun événement notable sur le marché du travail. L’hypothèse qu’il soit une conséquence de l’élection des libéraux, compte tenu des politiques qu’il a adoptées depuis son élection, devient donc plausible, pour ne pas dire probable. Je noterai toutefois que la forte baisse de cet écart juste avant son élection (baisse qui s’est poursuivie les deux mois suivants) pourrait expliquer une partie de l’ampleur de la hausse qui a suivie, mais une partie seulement!

Il s’est passé bien sûr bien d’autres événements au cours de cette période, notamment un vieillissement important de la population. En conséquence, je me suis dit que ce serait intéressant de suivre l’évolution de l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes par tranches d’âge. C’est de fait intéressant, mais plus difficile à suivre en raison de la variabilité des données plus grande par tranches d’âge que pour l’ensemble de la population adulte.

Trois autres…

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Ce graphique permet de constater que l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes âgé.e.s de 15 à 24 ans a non seulement diminué durant presque toute la période présentée, mais qu’il est devenu négatif, donc à l’avantage des femmes, de façon presque constante depuis 2009. On y voit aussi que cet écart n’a pas diminué (si ce n’est des mouvements dus à la grande variabilité de ces données) depuis l’élection des libéraux et qu’il s’est peut-être même accentué légèrement. Cela n’est pas étonnant, car les mesures d’austérité que les libéraux ont adoptées ne touchent pas davantage les femmes que les hommes dans cette tranche d’âge.

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Cet autre graphique, qui montre l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes âgé.e.s de 25 à 54 ans, est celui qui ressemble le plus à celui pour l’ensemble de la population, ce qui n’est pas étonnant, car les membres de cette tranche d’âge ont occupé entre 66 % des emplois (en 2015) et 75 % (en 2000) au cours de cette période. Cela dit, si ce graphique montre une certaine hausse de cet écart depuis l’élection des libéraux, il faut noter qu’elle est due en premier lieu à la hausse du taux d’emploi des hommes, celui des femmes ayant bien moins augmenté.

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Ce dernier graphique, qui montre l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes âgé.e.s de 55 ans et plus, nous fait lui aussi voir une hausse notable de cet écart depuis l’élection des libéraux. Cette hausse est bien irrégulière (il y a eu une autre augmentation de même ampleur entre 2012 et 2013), mais correspond aux annonces de prises de retraite anticipée dans la fonction publique, majoritairement féminine. Et, dans ce cas, la hausse de l’écart est due à une baisse du taux d’emploi des femmes de cette tranche d’âge, et non pas à une augmentation de celui des hommes. Cela cadre donc encore bien avec l’hypothèse du rôle important des mesures d’austérité dans l’augmentation de l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes.

Et alors…

La présentation des estimations d’emploi de l’EPA est toujours frustrante. La grande variabilité des données, jumelée à l’instabilité de la saisonnalité qui rend les données désaisonnalisées moins fiables, représente toujours un défi quand vient le temps de les interpréter. Cela dit, l’exercice que j’ai fait dans ce billet ne me semble pas inutile. Il a d’une part permis de constater que la plus grande partie de la baisse de l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes date en fait de sept à huit ans. Il a d’autre part confirmé que la hausse de cet écart depuis l’élection des libéraux est difficilement explicable par d’autres facteurs que par les mesures qu’ils ont adoptées depuis qu’ils sont au pouvoir. Cela dit, comme ces mesures n’ont pas encore été toutes implantées, on pourra voir dans les prochains mois si la tendance à l’augmentation de l’écart du taux d’emploi entre les hommes et les femmes se poursuivra, ou si la baisse de cet écart en février et en mars 2016 marque la fin de ce revirement de tendance. À suivre!

One Comment leave one →
  1. Robert Lachance permalink
    19 avril 2016 5 h 54 min

    Judicieuse parenthèse,

    « (et la diminution de celle de filles âgées de 14 ans et moins); »

    Ça rend opportun le souci d’un projet de pays orienté décroissance de la population comme alternative à celui d’un projet de province à immigration massive.

    Si j’avais comme le Québec des actifs investis à long terme, ça m’inquièterait à moins de penser contrairement à Jacques Henripin que l’immigration règlera tout.

    « Les immigrés sont certes un enrichissement; ils ne sont cependant pas des substituts aux naissances. Au bout du compte, une société n’est plus seulement enrichie par les apports nouveaux; elle est remplacée par un échantillon des sociétés de la terre. Et l’on ne peut deviner par quelles luttes certains groupes ethniques ou linguistiques domineront les autres. Il est peut-être plus sage de faire ses enfants soi-même. mais il y faudra une contribution de la société beaucoup plus importante que par le passé. » Jacques Henripin, Souvenirs et réflexions d’un ronchon, 1998.

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