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L’information est un bien public

30 août 2021

information est un bien publicAvec leur livre L’information est un bien public – Refonder la propriété des médias, Julia Cagé, économiste, et Benoît Huet, avocat, visent «à armer les citoyens, les journalistes et les régulateurs en faisant toute la lumière sur les différentes formes de propriété des médias et les limites des régulations existantes» et proposent «une loi de démocratisation de l’information permettant aux journalistes et aux citoyens de reprendre enfin le contrôle des médias».

Introduction : Face aux fermetures de journaux, à la concentration de la propriété des médias et aux réductions d’effectifs de journalistes, il est urgent de se battre pour des médias indépendants et de qualité. Ce livre vise à proposer «un modèle idéal de gouvernance et d’actionnariat des médias» et une «refonte totale des aides à la presse» qui permettront de donner un rôle central aux citoyen.nes dans l’univers médiatique.

1. Crise économique, indépendance, et modèle de propriété : Le chiffre d’affaires de la presse par rapport au PIB a diminué des deux tiers entre 1985 et 2018 en France, et les recettes publicitaires et de vente des journaux de plus de 85 % entre 1956 et 2018 aux États-Unis, en raison de la concurrence de la radio, de la télévision et encore plus d’Internet (et plus récemment de la baisse des dépenses publicitaires due à la pandémie de la COVID-19). Ce déclin est une des raisons du passage de plus en plus de médias à des fondations, forme de propriété fiscalement avantageuse, surtout en France (comme le passage de La Presse à un organisme sans but lucratif ici). Cela dit, la plus grande partie des médias français appartient encore à des milliardaires, ce qui suscite de la méfiance dans la population.

Les auteur.es donnent des exemples de médias internationaux qui ont adopté des modèles de propriétés par des fondations (ou des fonds de dotation) et montrent que ces modèles sont loin de garantir la gestion démocratique de ces médias ni l’indépendance de leurs journalistes (dont de nombreux ont démissionné en raison de conflits avec la ligne éditoriale de leur employeur). Au bout du compte, peu importe la forme de propriété, les revenus d’un média doivent couvrir ses dépenses à long terme, quoique la forme sans but lucratif permette de mieux traverser des périodes de déficits conjoncturels (mais pas structurels).

2. Des médias déterminés par leur forme juridique : En France, diverses formes de propriété peuvent permettre de créer un média d’information. Ce chapitre vise à examiner les différentes formes juridiques des médias et à en analyser les conséquences.

La grande majorité des médias français appartiennent à des sociétés commerciales, forme qui assure le plus de sécurité aux investissements des actionnaires, mais qui accorde le moins d’autonomie aux rédactions, aussi bien face aux décisions des actionnaires que des objectifs des annonceurs. Si les intérêts des journalistes (offrir une information rigoureuse et de qualité, tout en assurant la stabilité financière de l’entreprise) et des actionnaires («asseoir la crédibilité du média») convergent en bonne partie, c’est loin d’être toujours le cas, comme le montrent les auteur.es avec quelques exemples de conflits entre les rédactions et les actionnaires ou annonceurs (parfois les mêmes personnes ou sociétés). Ces conflits d’intérêts deviennent encore plus fréquents et importants en fonction de la concentration de la propriété des médias. La loi française contient quelques protections limitant les possibilités de rachats de médias, mais ces dispositions sont loin d’être étanches, comme nous le montrent les auteur.es avec quelques exemples.

Quelques médias, surtout locaux, appartiennent plutôt à des associations. Dans ces médias, les conflits d’intérêts peuvent exister, mais pas sur une base commerciale. Par contre, ces médias ont plus de difficulté à trouver du financement et connaissent d’autres problèmes que les auteurs nous présentent.

De rares médias ont adopté un statut coopératif. Si ces médias étaient plus nombreux il y a quelques décennies, la plupart ont dû abandonner leur statut et devenir des sociétés commerciales, en plus appartenant à des groupes de presse. Dans ce cas aussi, le plus grand désavantage de cette forme de propriété est le financement, qui s’ajoute à sa complexité juridique.

Finalement, les auteur.es abordent le statut d’entreprise solidaire de presse d’information, qui n’est pas comme tel un statut juridique, mais plutôt un engagement qui permet tout de même d’obtenir certains avantages fiscaux.

3. La sanctuarisation du capital des médias : «Les médias sont l’objet de convoitises». Pour s’en protéger, bien des médias tentent de «sanctuariser» leur capital dans une structure juridique à but non lucratif (association, fondation, fonds de dotation, etc.). Les auteurs donnent des exemples de médias qui ont procédé ainsi, avec les avantages, les désavantages et les conséquences de cette décision. Comme ce chapitre est un peu répétitif par rapport au précédent, j’en reste là.

4. Indépendance des rédactions – quelles protections à l’heure actuelle? : Ce chapitre fait le tour des protections offertes aux journalistes dans différents cas, dont le changement de propriétaires ou d’orientation d’un journal (à ma connaissance, rien de cela existe au Québec). Les auteur.es abordent aussi :

  • l’obligation pour les médias d’adopter des chartes déontologiques «visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias» après négociations avec les rédactions;
  • la création d’un Conseil de déontologie (sans réel pouvoir);
  • les règles (insuffisantes) qui limitent la concentration des médias;
  • les aides publiques à la presse, leurs formes, leurs critères et leur importance;
  • les fonds Google, Facebook et autres, dont les «dons» sont loin de correspondre aux dommages que ces entreprises ont occasionnés au financement des médias et aux impôts qu’elles ne paient pas, et qui ne sont disponibles que si on satisfait aux critères (discriminatoires pour les petits médias) établis par ces entreprises.

Les auteur.es concluent que les médias et les journalistes souffrent surtout «de l’absence de règles claires visant à protéger la production d’une information indépendante et de qualité».

5. Pour une loi de démocratisation de l’information : «Le choix de la structure juridique qui administre un média […] a des implications cruciales pour l’indépendance des journalistes et la qualité de l’information». Face aux constats des quatre chapitres précédents, les auteur.es proposent ici un modèle de propriété des médias et une amélioration des règles protégeant l’indépendance des journalistes et le mode de financement public des médias.

Conclusion : Même si ce livre aborde des sujets très techniques, les auteur.es les considèrent aussi et surtout politiques. Il et elle rappellent leurs recommandations, les avouent ambitieuses, mais les estiment nécessaires pour véritablement démocratiser le paysage médiatique français.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Pas vraiment. Avec la forte concentration de son contenu sur les dispositions juridiques et institutionnelles concernant les médias en France, ce livre a peu d’intérêt pour des Québécois.es, sinon de donner une idée sur les règles qui pourraient être adoptées ici. La lecture de ce livre est exigeante, mais, dans ce contexte, pas vraiment récompensée par ces efforts. En plus, comme j’avais lu un livre précédent de Julia Cagé portant sensiblement sur le même sujet (Sauver les médias, voir ce billet), je n’en ai pas appris beaucoup, sinon sur les aspects juridiques de l’encadrement des médias en France. Cela dit, ce livre pourrait intéresser des personnes engagées dans ce secteur et des lecteur.trices fortement intéressé.es par ce sujet. Pour ne rien arranger, les notes, aussi bien des références que des compléments d’information, sont en bonne partie en bas de page, mais aussi à la fin du livre, ce qui est, je pense, une première (pas agréable du tout) pour moi!

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