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Pétrole brut

13 février 2014

pétrole_brutDans un récent billet, parlant des tableaux cansim fournis gratuitement par Statistique Canada depuis deux ans, je disais que «je trouve encore fréquemment des fichiers dont je ne soupçonnais nullement l’existence». Et, c’est encore le cas!

Le tableau que je vais présenter cette fois, le 126-0001 pour l’appeler par son nom, permet de suivre l’évolution de la production de pétrole brut au Canada selon le type de pétrole, la province d’origine et la destination.

Province d’origine

La production de pétrole brut (en volume, pas en dollars) a plus que doublé (hausse de plus de 120 %) entre 1985 et 2012. La part de l’Alberta dans cette production a diminué quelque peu entre ces deux années, même si sa production a aussi plus que doublé (mais de seulement 106 %…). Cela s’explique principalement l’entrée de Terre-Neuve dans le club des producteurs de pétrole. Cela dit, en 2013, plus de 75 % de la production canadienne provenait de l’Alberta (82 % en 1985), la Saskatchewan prenant le deuxième rang avec tout de même près de 15 % de la production, suivie par Terre-Neuve avec 7 % du total, les autres provinces et territoires se partageant les 3 % restant.

Type de pétrole

Le plus gros bouleversement des près de trente ans de la série présentée dans ce fichier est sans contredit l’évolution du type de pétrole produit au Canada. Les deux graphiques qui suivent illustrent éloquemment cette évolution.

pétrole_brut1

Le premier montre l’évolution des différents types de pétrole produits au Canada entre 1985 et 2013. Pour pouvoir comparer cette évolution, j’ai utilisé des ratios en divisant la production de chacune des années par la production de l’année de départ. On peut voir que la hausse de la production de pétrole bitumineux (ligne bourgogne) fut tellement forte (hausse de plus de 1800 %) que les autres productions semblent avoir à peine augmenté. Pourtant, la production de pétrole synthétique (ligne verte, je vais revenir en long et en large sur ce qu’est ce pétrole) a augmenté de 450 % et celle de pétrole lourd (ligne rouge) de tout de même 150 %. La production de pétrole léger et médium (ligne jaune), a, elle, diminué de 13 %.

Ce constat est bien sûr intéressant, mais il ne nous montre que la croissance de chacun de ces types de pétrole, pas leur proportion dans la production. C’est pourquoi j’ai cru bon de présenter un autre graphique sur cette question.

pétrole_brut2

On peut voir dans ce graphique que le pétrole léger et moyen représentait la plus grande part de la production en 1985 (près des trois quarts, 73 %) et en composait à peine plus du quart (28 %) en 2013. En plus, il faut savoir que le pétrole synthétique (11 % de la production en 1985, 28 % en 2013) est en fait du pétrole bitumineux traité avant d’être livré. «Le brut synthétique est un pétrole léger qui s’obtient par valorisation des sables bitumineux» peut-on lire sur le site de Ressources naturelles Canada… Mais, qu’est-ce que ça mange en hiver, la «valorisation»? Voici la description que j’ai trouvée à la page 23 de ce mémoire de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) :

«La valorisation comporte généralement deux étapes. En premier lieu, le bitume est chauffé et de l’hydrogène y est ajouté sous haute pression afin de faire éclater (ou « craquer ») les grosses molécules d’hydrocarbures pour en faire des composés plus simples et plus petits. Ce procédé porte le nom d’hydrocraquage. Certaines usines de valorisation ont recours à la cokéfaction, une méthode qui a pour effet d’enlever le carbone du bitume afin de produire des hydrocarbures plus légers ainsi que du coke, une matière à base de carbone qui ressemble à de l’asphalte finement broyé.

En deuxième lieu, de l’hydrogène est ajouté aux composés d’hydrocarbures pour les stabiliser et en retirer les impuretés telles que le soufre. Ce procédé porte le nom d’hydrotraitement. Trois principaux produits sont issus de la valorisation : le naphte, le kérosène et le gasoil, un type de carburant un peu plus lourd que le kérosène. Ces produits peuvent être vendus séparément ou mélangés ensemble pour former un pétrole brut synthétique que l’on vend aux raffineries. Le bitume brut peut également contenir plus de 5% de soufre, de grandes quantités peuvent donc être produites lors de la valorisation. Une partie du soufre est récupérée et est vendue, entre autres, pour la fabrication d’engrais, de produits pharmaceutiques et d’allumettes. L’autre partie demeure dans le coke. Il est considéré comme un sous-produit et peut être vendu, ou encore brûlé pour fournir du gaz (servir de combustible) à l’usine de valorisation.»

Je m’excuse de cette longue citation (dont la source est le Centre info-énergie), mais je la trouve essentielle pour bien comprendre de quoi il s’agit. Bref, sous le joli nom de pétrole synthétique, on trouve encore du pétrole bitumineux, qui forme finalement 58 % de la production totale… proportion qui monte à 72 % en additionnant la production de pétrole lourd! D’ailleurs, 100 % du pétrole bitumineux et du pétrole synthétique proviennent de l’Alberta, et ce à chacune des années de la série. En Saskatchewan? Près de 63 % de sa production est composée de pétrole lourd… Par contre, Terre-Neuve ne produit que du pétrole léger et médium.

Approvisionnement du Québec

En 1985, plus de la moitié du pétrole livré aux raffineries québécoises provenait de l’Alberta (40 %) et de la Saskatchewan (11 %), le reste étant importé. C’était à l’époque où la majorité de la production de ces deux provinces était formée de pétrole léger et médium. En 2013, 93 % du pétrole livré aux raffineries québécoises provenait de l’importation, le reste venant de Terre-Neuve. Pour avoir le détail de la provenance de nos importations, on peut voir à la page 29 du mémoire de l’AQLPA dont j’ai parlé plus tôt (ou sur ce tableau de Statistique Canada) que plus de 40 % de ce pétrole provient de l’Algérie, un des pétroles parmi les plus légers (voir page 22). Il reste polluant et producteur de GES, mais pas mal moins que celui de l’Alberta.

Et alors…

Alors, voilà le genre de pétrole qu’on produit au Canada et qu’on veut nous envoyer par pipeline dans l’espoir d’en exporter partout dans le monde. C’est ce que notre cher gouvernement nous réserve comme avenir dans notre démarche pour censément sortir du pétrole

8 commentaires leave one →
  1. Guy Monet permalink
    14 février 2014 11 h 24 min

    Très intéressant votre billet, surtout la conclusion du mémoire de l’AQLPA dont vous faites allusion (à lire).

    Ce que les médias nous font sous-entendre, depuis la catastrophe de Mégantic, c’est que le transport routier et ferrorière du pétrole doit être remplacé par le transport par oléoduc qui est soi-disant très sécuritaire. Alors que dans le fond, ce que je peux comprendre, c’est que les compagnies pétrolières n’auront pas assez de moyen de transport pour suffire à leurs expansions. L’ajout de l’oléoduc sera essentiel pour eux, tout en conservant les autres moyens de transport évidemment.

    Mémoire de l’AQLPA, Pages 48:
    « Depuis la fin des années 90, la production de pétrole bitumineux a doublée et les compagnies pétrolières et les gouvernements canadien, albertain et saskatchewannais veulent encore faire doubler la production d’ici 2020 et tripler d’ici 2035 (par rapport à 2010). Par conséquent, les producteurs de pétrole de l’Ouest ont besoin de nouvelles capacités de transport par oléoduc pour répondre à l’expansion prévue de la production. »

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  2. frequency permalink
    14 février 2014 11 h 40 min

    Oups j’ai mal épelé mon pseudo! 😳
    Excellent article Darwin, intéressant de voir ces chiffres. Cependant, je ne vois pas d’un mauvais oeil le fait que la technologie nous permette de valoriser le bitume afin d’en faire des carburants plus léger. Il faut comprendre qu’en certains endroits du monde la houille est encore le combustible de choix. En utilisant les procédés d’hydrocraquage, de vapocraquage ou autre, on évite que la ressource bitumineuse soit consumée dans sa forme lourde et presque brute.
    C’est mon avis et je le partage.

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  3. 14 février 2014 13 h 02 min

    @ Guy Monet

    «L’ajout de l’oléoduc sera essentiel pour eux, tout en conservant les autres moyens de transport évidemment.»

    Tout à fait exact. J’en ai parlé dans quelques autres billets, dont celui-ci écrit il y a près d’un an :

    Pétrole : l’ouest ou pas l’ouest?

    @ frequency

    «Il faut comprendre qu’en certains endroits du monde la houille est encore le combustible de choix»

    Je ne suis pas certain que le pétrole bitumineux soit un choix efficace de remplacement. Et, à ce que je sache, le pétrole synthétique ne se rend pas dans les pays en question, mais aux États-Unis et ici. Ici, l’objet de mon billet, il remplacerait le pétrole importé dont le plus gros fournisseur est l’Algérie qui produit un pétrole beaucoup moins dommageable.

    Renaud Gignac, de l’IRIS, a justement publié un billet aujourd’hui dans lequel il précise ces choses (même s’il n’y parle pas du pétrole albertain) :

    http://www.iris-recherche.qc.ca/blogue/le-quebec-complice-de-la-crise-climatique

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  4. frequency permalink
    14 février 2014 17 h 19 min

    Plus on prend le pétrole loin (et plus on l’envoie loin) Plus la question du transport se pose c’est sûr.
    http://www.algerie360.com/algerie/apres-l%E2%80%99explosion-d%E2%80%99un-oleoduc-au-port-petrolier-de-bejaia-alerte-a-la-maree-noire/

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  5. frequency permalink
    14 février 2014 17 h 23 min

    D’autres questions peuvent se poser en décidant de faire affaire avec des pays où les droits de l’homme sont bafoués.
    :http://www.rfi.fr/afrique/20130116-algerie-aqmi-revendique-attaque-site-bp-in-amenas-otages-mali/

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  6. 14 février 2014 17 h 35 min

    Là, je me demande si tu ne trolles pas… 😉

    Tu ne me sortiras pas le trip du pétrole éthique, quand même…

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  7. frequency permalink
    14 février 2014 20 h 30 min

    Vrai que j’ai un côté troll et que j’ai déjà utiliser Ethical Oil pour me faire r’marquer…
    Mais même avant cette campagne j’ai toujours été mal à l’aise avec le fait que nous faisons affaire avec certains pays qui ne traitent pas convenablement leur population. J’ai longtemps payé plus cher pour être certain que mes vêtements venait du Canada, sauf que depuis dix ans, je ne trouve parfois plus rien…

    Pour l’Algérie, définitivement pas un de mes choix favoris. Mais, bon je m’éloigne des propos de l’article que je ne critique aucunement.

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  8. 14 février 2014 20 h 39 min

    Je suis d’accord que la consommation de produits de certains pays laisse un goût amer. Mais je ne trouve pas nécessairement pire d’acheter du pétrole de l’Algérie (et tu sais que je n’en achète pas, quoique que la STM en achète forcément, ainsi que les transporteurs qui livrent la bouffe dans les épiceries, etc.) que des vêtements du Bangladesh ou de la Chine, des IPods (ou autres bidules du genre que je n’achète pas non plus) produits par des personnes maltraitées.

    Personnellement, je préférerais qu’on en achète de moins en moins, peu importe sa provenance, que ce soit pour des motifs écologiques (et de survie) ou éthique. Par contre, comme le réchauffement climatique met en danger la survie même de l’humanité (ou d’une grande partie de celle-ci), je trouve le pétrole algérien moins dommageable. C’est tout!

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