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Le décrochage

20 Mai 2010

1. Définition et mesure

Par Darwin – Tout le monde s’entend pour dire que le décrochage scolaire est un des plus gros problèmes au Québec, surtout chez les garçons. Mais sait-on vraiment ce qu’est le décrochage et l’ampleur qu’il a vraiment?

Alors, qu’est-ce que le décrochage? Ce mot donne l’impression d’un jeune qui décide volontairement d’abandonner l’école. Or, même s’il y a une pléthore d’indicateurs sur le décrochage, aucun ne définit ainsi le décrochage! En fait, ce qu’on appelle le décrochage scolaire quoiqu’il soit toujours lié à la non obtention du diplôme d’études secondaires (DES), peut être dû au départ volontaire de l’école, au manque d’aptitudes, à la maladie ou à toute autre raison. Je reviendrai sur les motifs de décrochage dans un autre billet.

Autant de définitions que d’indicateurs

Un des premiers indicateurs de décrochage que j’ai vu faisait la une de la Presse vers le milieu des années 1990 : 45 % de décrochage à la CÉCM (Commission des écoles catholiques de Montréal, correspondant à peu près à l’actuelle CSDM, Commission scolaire de Montréal). Tollé dans les chaumières!

Étant à l’époque président d’un conseil d’orientation, ancêtre des conseils d’établissement actuels, j’ai pu obtenir une copie de l’étude (que j’ai encore…). Le taux de décrochage en question était en fait le pourcentage de jeunes dont on n’avait pas la preuve qu’ils avaient obtenu leur DES sept ans après leur entrée au secondaire. Et même, pour obtenir une année de données de plus, on avait ajouté une cohorte à laquelle on n’avait accordé que six ans pour terminer son secondaire. Vive la cohérence et la comparabilité ! Et on comptait tous les élèves à la date de leur entrée au secondaire, même ceux du cheminement particulier de formation (CPF), euphémisme qui désignait le programme qui accueillait les jeunes qui avaient au moins deux ans de retard au primaire et étaient envoyés au secondaire en raison de leur âge (13 ans). Disons que la probabilité pour un jeune qui a au moins deux ans de retard scolaire de réussir ces deux années et les cinq du DES en sept ans se situent entre le néant et le pas fort… Ainsi, étaient comptabilisés comme décrocheurs des jeunes fréquentant encore l’école secondaire (!), d’autres qui avaient déménagé hors du Québec (!!) et même des jeunes en formation professionnelle et technique qui n’avaient pas leur DES (!!!). Mais, il était impossible de connaître les proportions de ces faux décrocheurs…

Le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS) fournit aussi des données sur le taux d’obtention du DES ou du diplôme d’étude professionnelles (DEP) avant 20 ans et après. Selon la donnée qu’on utilise, on dira que le taux de décrochage était de 28 % en 2007-2008 ou de deux fois moins, soit 13 %, le premier taux s’appliquant aux moins de 20 ans et le deuxième à l’ensemble de la population. Comme dans l’indicateur précédent, quand on prend la donnée des moins de 20 ans, on considère décrocheurs des jeunes encore sur les bancs d’école… L’avantage avec ces données est de constater que, si le taux de décrochage est élevé au Québec, le raccrochage permet de scolariser la moitié des décrocheurs après 20 ans. On se console comme on peut…

En fait ces deux indicateurs ne sont pas des taux de décrochage, mais des … indicateurs de décrochage! On («onx incluant les journalistes) les assimile à des taux de décrochage, mais nulle part sur les documents en question n’utilise-t-on cette expression.

Existe-t-il d’autres indicateurs qui présentent vraiment des taux de décrochage? Bien sûr! Les données selon l’âge sont bien des taux de décrochage et sont d’ailleurs présentés comme tels. En effet, on ne compte pas des jeunes qui sont encore aux études, mais seulement ceux qui ne sont pas à l’école et n’ont pas de DES ou de DEP. Oups, étrange, la donnée la plus récente (2007) montre les taux historiques les plus bas de décrochage tant à 17 ans qu’à 18 et 19 ans. C’est pas les journaux qui nous diraient cela… C’est dans un média social que vous l’aurai lu! Encore d’autres ? Ici, on présente le taux de décrochage pour les jeunes de 20 à 24 ans selon deux périodes de temps et selon les provinces canadiennes, et plus bas sur cette page, on compare ces taux selon les régions métropolitaines de recensement et non-régions métropolitaines de recensement.

Bon, il y a aussi des données d’enquête, mais je crois qu’on en a assez maintenant pour comprendre l’idée…

Tout cela pour dire…

On voit donc que les indicateurs qui quantifient le décrochage scolaire varient considérablement selon la définition utilisée, même si on utilise toujours le même mot. Cela dit, tous ces indicateurs montrent que le décrochage est globalement à la baisse depuis une trentaine d’années, quoiqu’il se soit à peu près stabilisé depuis 10 à 15 ans.

Ce taux dépend de la définition, mais aussi des conditions d’obtention du DES et, dans une moindre mesure, du DEP. Ainsi, on peut lire dans un de ces documents : «Dans une perspective plus historique, le recul passager noté entre 1986 et 1990 dans le taux d’obtention d’un diplôme du secondaire était attribuable en grande partie à la hausse de la note de passage de 50% à 60% qui, tout en assurant un diplôme de qualité supérieure, rendait son obtention plus difficile.». Et on peut observer dans le graphique du bas de la page deux d’un autre de ces documents que le taux de décrochage a aussi augmenté à la même époque. Les données sont différentes, mais au moins cohérentes…

Tout cela pour dire que les conditions d’obtention du DES ont été rehaussées (voir pages 5 et 6) une nouvelle fois avec la réforme (ou renouveau pédagogique). Ça, on en a moins parlé, les journalistes et les critiques de la réforme étant concentrés sur les compétences transversales, les bulletins et le socioconstructivisme, ce qui est compréhensible. Alors, si le taux de décrochage augmente dans les prochaines années, ce ne sera peut-être pas seulement en raison des compétences transversales et du constructivisme postmoderniste, mais aussi parce qu’on impose maintenant la réussite de cinq cours de plus qu’auparavant pour obtenir un DES :

  • mathématique de quatrième secondaire;
  • les sciences de quatrième secondaire;
  • langue seconde de cinquième secondaire;
  • éducation physique et à la santé ou éthique et culture religieuse de cinquième secondaire;
  • art de quatrième secondaire.

On peut discuter longuement de la pertinence de ces changements, mais sommes-nous prêts à ce que le taux de décrochage augmente pour que le DES soit «de qualité supérieure» ? Pas sûr… Comme le disait un parent commentant ces nouvelles exigences : «J’espère que jamais un jeune ne se verra refuser un DES parce qu’il ne court pas assez vite, parce qu’il ne connaît pas par coeur le nom des trois religions du livre ou parce qu’il déteste jouer avec de la plasticine…».

À suivre…

10 commentaires leave one →
  1. 20 Mai 2010 8 h 33 min

    Darwin, pour moi la définition du décrochage scolaire est celui ou celle qui délaisse ses études avant d’avoir terminé soit son secondaire, soit ses études collégiales.

    Le plus important c’est de savoir ou d’étudier les causes réélles du décrochage. Je pourrais vous en pointer quelques unes comme le divorce, l’instabilité des conjoints, le laisser-aller des parents, le consumérisme etc.

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  2. Darwin permalink
    20 Mai 2010 17 h 23 min

    @ Gentil astineux

    «Darwin, pour moi la définition du décrochage scolaire est celui ou celle qui délaisse ses études avant d’avoir terminé soit son secondaire, soit ses études collégiales.»

    On peut bien avoir chacun notre définition. Chacun peut avoir raison de le définir ainsi, selon son point de vue.

    Le problème c’est qu’on relie souvent notre définition aux données sur le décrochage, alors que celles-ci veulent dire tout à fait autre chose. C’était d’ailleurs l’objet de ce premier billet sur le décrochage scolaire.

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  3. Déréglé temporel permalink
    21 Mai 2010 3 h 55 min

    Vrai que je ne m’étais pas posé la question de savoir d’où venaient ces indicateurs dont on nous bombarde. Merci d’attirer mon attention là-dessus. C’est un bon article, comme d’habitude.

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  4. 21 Mai 2010 6 h 52 min

    Je me joins à DT, excellent billet… Et, comme le suggère l’intervention du Gentil Astineux, j’ai également cette impression qu’il y a deux facteurs importants (il y en a surement d’autres) qui peuvent expliquer le phénomène du décrochage scolaire. Ayant deux enfants qui sont actuellement au secondaire, je peux entrevoir ces risques de décrochage… Je ne sais pas s tu vas aborder ces questions lors de tes prochains billets…

    Comme tu le dis, on parle souvent du programme, de l’intérêt des élèves envers l’apprentissage et de leur détermination à obtenir un diplôme; soit pour exercer un métier ou accéder aux études collégiales. Je me pose souvent la question, à savoir si l’atmosphère familiale y est pour quelque chose… Quel est le rôle des parents et de l’environnement immédiat de l’adolescent dans cette poursuite de la réussite?

    Le deuxième aspect, probablement plus déterminant dans le succès des garçons, est tout ce qui n’est pas scolaire et qui habite les corridors de l’école. Faire partie d’une gang, imposer sa présence et sa personnalité, l’importance des sports, les drogues, l’alcool, etc… Qu’est-ce l’école peut et doit faire? Notre époque est-elle différente des autres?

    C’est probablement l’angle le plus difficile à expliquer avec des statistiques et des explications précises…

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  5. Darwin permalink
    21 Mai 2010 11 h 57 min

    @ Luto

    «Je ne sais pas s tu vas aborder ces questions lors de tes prochains billets…»

    J’avais prévu que les motifs du décrochage seraient l’objet de mon troisième billet sur ce thème… Mais je vais peut-être inverser l’ordre que j’avais en tête, compte tenu des commentaires.

    Chose certaine, je trouvais important de clarifier la notion même du décrochage et sa mesure avant de parler des motifs.

    @ DT

    «je ne m’étais pas posé la question de savoir d’où venaient ces indicateurs»

    C’est souvent le cas pour bien des gens et sur une foule de sujets. On veut savoir le taux de pauvreté, mais personne ne s’entend sur la défiition de la pauvreté. Alors, on peut arriver à toute une panoplie de taux, selon la définition retenue… Et on ne se gêne pas pour les comparer avec les taux d’autres pays, même si les définitions ne conconrdent pas. Ah, les comparaisons…

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  6. Sombre Déréliction permalink
    21 Mai 2010 23 h 22 min

    Je me satisfais bien de la définition de décrochage signifiant que le DES ou le DEP n’est pas atteint, sans quoi la notion d’études supérieures n’aurait aucun sens.

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  7. Darwin permalink
    22 Mai 2010 8 h 54 min

    «Je me satisfais bien de la définition de décrochage signifiant que le DES ou le DEP n’est pas atteint»

    En autant qu’on ne compte pas les gens qui n’ont pas leur DES mais qui sont encore à l’école !

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  8. Sombre Déréliction permalink
    23 Mai 2010 0 h 53 min

    Ben là….

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  9. Darwin permalink
    23 Mai 2010 7 h 47 min

    @ SD

    Si tu as lu le billet, tu as vu que bien des méthodes de calcul du décrochage scolaire incluent en effet des gens qui sont encore à l’école, mais qui n’ont pas encore un DES ou un DEP.

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  10. Sombre Déréliction permalink
    23 Mai 2010 16 h 11 min

    i »ncluent en effet des gens qui sont encore à l’école, »

    J’aI vu, mais j’avais compris que ces méthodes étaient plutôt bancales à cause du fait qu’elles donnaient justement lieu à ces distorsions!

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