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L’inflation (1) – définition et mesures

31 décembre 2012

inflation_IPCÀ la demande générale d’au moins deux personnes, je commence (enfin!) ici une série sur l’inflation. Je tenais vraiment à ne pas attendre à l’an prochain pour le faire! Avant de discuter des effets de l’inflation et de la pertinence des mesures pour la contrer, il est important de bien savoir ce qu’est l’inflation et ce que mesurent ses indicateurs les plus couramment utilisés et surtout ce qu’ils ne mesurent pas…

Qu’est-ce que l’inflation?

On le sait tous, l’inflation, c’est l’augmentation des prix. Mais, comme l’explique bien Jim Stanford dans son Petit cours d’autodéfense en économie, en fait les prix de chacun des biens et services dans une économie montent et baissent constamment selon divers facteurs, tels les coûts de production, l’offre et la demande. L’inflation est en fait le résultat des hausses et baisses de tous les biens et services pondérées en fonction de leur importance relative dans un panier qui contient tout ce que les ménages achètent dans un pays.

L’inflation entraîne une baisse de la valeur réelle de la monnaie. Mais, tant que les revenus augmentent au même rythme que les prix, cela change peu de choses globalement. Par contre, cela peut changer des choses individuellement.

Si les prix des biens et services que nous nous procurons personnellement en quantité plus élevée que la moyenne des consommateurs augmentent plus vite que le taux d’inflation, par exemple si on est fumeur ou si on consomme beaucoup d’essence ces temps-ci, on s’appauvrira même si nos revenus augmentent au rythme de l’inflation. À l’inverse, si les prix de ce que nous consommons en quantité plus élevée que la moyenne augmentent moins vite que le taux d’inflation ou même diminuent (comme les vêtements et les chaussures), on s’enrichira si notre revenu augmente au rythme de l’inflation.

Mais, dans la vraie vie, nos revenus augmentent rarement au rythme de l’inflation. Si les revenus de la majorité augmentent davantage que l’inflation (c’est le cas le plus fréquent, quoiqu’on en dise), ceux d’un bon nombre de ménages augmentent moins. Par exemple, les pensions de bien des régimes de retraite ne sont pas indexés à l’inflation, ou ne le sont que partiellement. Alors si on considère toutes les variantes possibles en fonction de l’évolution de nos revenus et de l’effet spécifique de la variation des prix des biens et services que nous nous procurons personnellement, on voit que le taux d’inflation peut être bien trompeur pour évaluer l’enrichissement ou l’appauvrissement d’un ménage spécifique. On verra plus loin que bien d’autres facteurs peuvent aussi jouer dans cette évaluation, notamment l’évolution du panier de biens et services utilisé pour calculer le taux d’inflation.

L’Indice des prix à la consommation

Le principal indicateur de l’inflation est l’Indice des prix à la consommation (IPC). C’est l’évolution de cet indice qui sert à calculer le taux d’inflation. Par exemple, ce tableau montre que l’IPC pour le Québec est passé de 119,3 à 121,1 entre novembre 2011 et novembre 2012. On dira donc que l’inflation fut de 1,5 % (121,1 – 119,3 = 1,8; 1,8 / 119,3 = 1,5 %).

«L’Indice des prix à la consommation (IPC) est un indicateur des variations des prix à la consommation payés par la population cible. L’IPC mesure la variation des prix en comparant, dans le temps, le coût d’un panier fixe de biens et de services.»

Cet indice fournit des données pour le Canada, les provinces et certains centres urbains. Il est calculé à partir de la pondération d’un panier de consommation qui est modifié à intervalles réguliers. Par exemple, le panier utilisé actuellement est présenté ici en pourcentage des produits et services achetées en 2009 par les ménages de chaque province et territoire en fonction des prix d’avril 2011. Ce panier contient l’ensemble des biens et services consommés par les ménages canadiens et sert essentiellement à déterminer le poids relatif (la pondération) de chaque type d’achat (aliments, logement, vêtements, transports, loisirs, etc.).

«L’IPC maintient des proportions quantitatives fixes (pondérations) entre les biens et les services pendant la durée de vie d’un panier. Le panier est mis à jour périodiquement afin de prendre en compte les changements dans la composition des dépenses des consommateurs. En mai 2011, le panier qui représente la composition des dépenses de 2009 a remplacé le panier de 2005. La continuité des séries de l’IPC est assurée par un «enchaînement» des indices correspondants provenant de paniers consécutifs.»

La dernière partie de cette description (l’enchaînement) signifie que les données proches de 2005 sont pondérées en fonction du panier de 2005, celles de 2009 avec celui de 2009 et celles entre les deux d’un mélange des deux. Comme les données publiées par Statistique Canada commencent en 1914, on réalise qu’elles sont basées sur un grand nombre de paniers différents et d’enchaînements entre ces paniers. Je reviendrai sur les conséquences de cette méthode dans un prochain billet.

Il est donc important de renouveler fréquemment ce panier pour respecter l’évolution de la structure de consommation. Or, il ne l’est qu’aux quatre ans (parfois cinq). Mais, cela est loin d’être le seul problème avec l’IPC et son panier.

Limites d’interprétation de l’IPC

– L’IPC ne tient compte que des prix à la consommation

Même si les services publics payés à même les revenus de l’État représentent entre 35 et 40 % de la «consommation» (en fait du PIB) au Québec, seule la partie tarifée de ces biens et services est considérée par l’IPC, qui ignore totalement le «prix» de la partie de ces services qui est offerte «gratuitement» à même les impôts et les taxes que nous payons. Il est en effet impossible d’attribuer un prix spécifique à un service public qui n’est pas payé directement, puisque les montants que nous payons (taxes et impôts) n’ont aucun lien direct avec notre niveau de consommation de ces services (santé, éducation, construction de route, ramassage de la neige…).

Par exemple, l’effet de l’entrée en vigueur des services de garde à tarifs réduits au Québec en 1998 a eu au moins quatre effets consécutifs.

  1. Tout d’abord, l’IPC a capté une baisse des prix de ces services, mais en pondérant ces services comme s’ils avaient exactement le même poids dans la structure des dépenses de la consommation (le panier), même s’il est évident que la baisse de ce prix a fait diminuer le poids réel de cette dépense.
  2. La baisse du poids de cette dépense n’a pu être considérée que lors de l’entrée en force d’un panier qui en tenait compte (panier de 2001 entré en vigueur en 2003). Notons que cette baisse est artificielle, car, en fait, l’utilisation de ces services étaient en hausse. Mais comme les ménages y consacraient une part moins élevée de ses dépenses, son poids dans le panier a diminué.
  3. Statistique Canada a pu alors réviser les données entre le panier de 2001 et celui de 1996 avec sa méthode d’enchaînement, appliquant probablement le changement de façon linéaire, alors qu’il fut relativement soudain.
  4. La baisse du prix de ce service a eu pour conséquence de faire augmenter sa popularité en fonction de l’augmentation du nombre de places disponibles et a donc entraîné une augmentation graduelle du poids de ce service dans la structure de consommation. Or, cette augmentation n’a pu être captée par l’IPC que lors des changements de paniers (2001, 2005 et 2009) et ensuite être répartie rétroactivement avec sa méthode d’enchaînement. Par contre, l’IPC a pu capter sur le champ la hausse de 40 % de ce service en 2003 (hausse du prix de 5,00 $ à 7,00$) car cette hausse touchait les prix et non pas l’augmentation de la quantité de consommation de ce service.

Ouf! Cet exemple n’est pas simple, mais illustre bien la complexité de l’exercice.

Autre conséquence de la façon de fonctionner de l’IPC, une hausse de la taxe de vente (TVQ ou TPS) est captée par l’IPC (car incluse aux prix à la consommation), mais pas une hausse des impôts! Ainsi, lorsque le gouvernement Landry a décidé de remplacer une partie des impôts par une hausse de la TVQ dans son budget de 1997-1998, il a dit que ce changement était neutre fiscalement (en fait, il diminuait le fardeau fiscal des riches et augmentait celui de la classe moyenne, mais c’est un autre débat…), cela a eu pour effet de faire augmenter l’inflation! Pourtant, le pouvoir d’achat moyen n’était nullement touché par ce changement.

– L’IPC montre la situation moyenne

Comme mentionné plus tôt, le panier de consommation représente la situation moyenne des consommateurs, alors que la structure de consommation varie énormément d’un ménage à l’autre. Certains fument, d’autres pas, vont fréquemment au restaurant, envoient leurs enfants dans les services de garde, ont une auto ou utilisent les transports en commun, etc.

Ce tableau montre par exemple l’écart des prix alimentaires entre 2002 et novembre 2012. On peut y voir que le prix du pain a augmenté de 80,5 % entre le prix moyen de 2002 et celui du mois de novembre 2012, tandis que le prix des tomates a baissé de 8,7 % (100 – 91,3 = 8,7). Bon, la personne qui mange des sandwichs au tomates sera à la fois avantagée et désavantagée (le résultat dépendant de la quantité de tomates qu’elle met entre ses tranches de pain…), mais celle qui aiment les sandwichs aux bananes (hausse de 41,2 %) sera doublement touchée! Et, attention à ce tableau, il s’agit des prix moyens au Canada et on sait que la pondération des paniers de consommations diffère dans chaque province et que les prix des biens et services considérés dans ces paniers n’ont pas évolué de la même façon dans chaque province!

– L’IPC montre l’évolution des prix, pas le niveau des prix

Ce même tableau montre l’évolution de l’indice des prix à la consommation dans les provinces et territoires entre la moyenne des prix en 2002 et le mois de novembre 2012. On peut voir que l’augmentation la plus forte fut observée en Alberta (27,3 %), et la plus faible à Iqaluit (15,3 %)! Est-ce à dire que les prix sont les plus faibles à Iqaluit? Pas du tout! Cela montre seulement que le niveau de 2002 à Iqaluit a moins augmenté que le niveau de 2002 de l’Alberta. Je pressens que le coût de la vie est possiblement plus élevé à Iqaluit, mais l’IPC ne peut m’informer à ce sujet.

L’indice de référence de la Banque du Canada

Un des mandats de la Banque du Canada est de viser une cible de maîtrise de l’inflation. Cette cible est actuellement de 2 %, «soit au point médian d’une fourchette cible allant de 1 à 3 %». Or, les données qu’elle utilise à cette fin ne sont pas directement celles de l’IPC.

«La Banque du Canada retranche de son indice de référence huit des composantes les plus volatiles de l’Indice des prix à la consommation (les fruits, les préparations à base de fruits et les noix; les légumes et les préparations à base de légumes; le coût d’intérêt hypothécaire; le gaz naturel, le mazout et les autres combustibles; l’essence; le transport interurbain; les produits du tabac et les articles pour fumeur) ainsi que l’effet des variations des taxes indirectes sur le reste des composantes. Pour obtenir des renseignements supplémentaires au sujet de l’inflation mesurée par l’indice de référence, prière de consulter le site de la Banque du Canada

Par exemple, si l’IPC a augmenté de 0,8 % seulement entre novembre 2011 et novembre 2012, c’est en partie en raison de la faible augmentation des prix de l’essence. Justement, l’indice de référence de la Banque du Canada a augmenté davantage, soit de 1,2 % au cours de la même période (voir plus bas sur la même page). L’idée de retirer les éléments dont les prix varient le plus des données de l’IPC aux fins de l’application de la politique monétaire de la Banque de Canada est de ne conserver que les biens et services qui incorporent l’inflation provoquée par les éléments plus volatils. Le graphique sur ce billet de Paul Krugman que j’ai reproduit ci-après montre de façon éloquente que les grandes variations de prix des éléments volatils (ligne bleue) n’ont presque aucun influence sur les prix des autres biens et services (ligne rouge). Il serait donc ridicule de modifier la politique monétaire du Canada sur des mouvements qui, plus souvent qu’autrement, s’effacent d’eux-mêmes, sans intervention.

inflation_IPC1

Les autres indicateurs de prix

La consommation des ménages représente entre 60 % et 65 % du PIB du Québec. Or les prix des autres éléments du PIB (dépenses gouvernementales, investissements, importations et exportations) ne progressent pas de la même façon que les prix à la consommation. On ne peut donc pas utiliser l’IPC pour évaluer leur évolution. Pour cette raison et pour bien d’autres besoins, Statistique Canada publie un grand nombre d’autres indices de prix, notamment pour les produits industriels, la construction et le commerce international. C’est en pondérant tous ces indicateurs que Statistique Canada calcule le déflateur du PIB, l’indicateur équivalent à l’IPC, mais pour le PIB. Même si ce déflateur n’a rien à voir avec le calcul de l’inflation officielle, je trouvais toutefois pertinent d’en parler.

Et alors…

On voit donc que la question de l’inflation est un peu plus complexe que ce qu’on en entend dire quotidiennement, tout le monde pensant savoir de quoi il parle quand il discute de l’inflation. Les caractéristiques de la mesure de l’inflation (l’IPC) ont bien sûr des conséquences importantes que nous examinerons dans le prochain billet de cette série.

11 commentaires leave one →
  1. Mathieu Lemée permalink
    31 décembre 2012 10 h 15 min

    Bravo! Excellent texte qui explique clairement la complexité de la question de l’inflation. Bien hâte de lire la suite, pour ne pas dire impatient de la lire. 🙂

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  2. 31 décembre 2012 10 h 35 min

    Merci!

    «Bien hâte de lire la suite, pour ne pas dire impatient de la lire»

    Je vais y aller avec un par semaine, c’est quand même exigeant comme sujet. Il y en aura trois ou quatre au total, probablement quatre.

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  3. Gilbert Boileau permalink
    31 décembre 2012 13 h 11 min

    Un texte bien étoffé … j’en apprends encore, Merci pour les exemples.
    Pis, bonne année! On te liera en 2013 ….

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  4. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    31 décembre 2012 13 h 26 min

    Chapeau Darwin excellent article… Faudra les éditer un jour ces articles économiques, ça ferait un bon livre de vulgarisation!

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  5. 31 décembre 2012 13 h 55 min

    @ Gilbert Boileau

    «j’en apprends encore»

    Moi aussi! J’en ai appris beaucoup aussi en me documentant pour ce billet, dont pour les noix exclues de l’indice de référence de la Banque du Canada (bon, ce n’est pas fondamental…) et l’application des méthodes d’enchaînement (chaînes de Fisher) pour la pondération du panier.

    Bonne année à toi aussi!

    @ THE LIBERTARIAN BADASS

    «Faudra les éditer un jour ces articles économiques, ça ferait un bon livre de vulgarisation!»

    Bof, aucun éditeur ne serait intéressé, et encore moins à un livre signé d’un pseudo! Mais, merci pour les bons mots!

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  6. 1 janvier 2013 2 h 50 min

    Nous voilà en 2013! Bonne année à tous!

    « de chaque type d’achat (aliments, logement, vêtements, transports, loisirs, etc.). »

    Je pensais que les prix du logement étaient généralement exclus du calcul de l’inflation. Je crois avoir lu ça sur Wikipédia. Pourtant, Statistique Canada incorpore bel et bien le prix du logement comme composante de l’IPC.

    http://www41.statcan.gc.ca/2007/3956/ceb3956_000-fra.htm

    Les autres pays auraient-ils une manière appréciablement différente de calculer l’inflation ou n’est-ce que la désencyclopédie du cyberespace qui raconte n’importe quoi?

    « Mais, tant que les revenus augmentent autant que la valeur de la monnaie baisse, cela change peu de choses globalement. »

    Indexer les sources de revenus (salaires, régimes de retraites, etc.) à l’inflation ne risque-t-il pas de provoquer une spirale inflationniste?

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  7. 1 janvier 2013 3 h 17 min

    «Les autres pays auraient-ils une manière appréciablement différente de calculer l’inflation»

    Non, Ils ont simplement un panier différent. J’ai dû ne pas être suffisamment clair dans mon billet… Comme j’ai dû ne pas l’être suffisamment sur le coût du logement, malgré les nombreux liens que j’ai mis qui montraient tous que le logement en fait partie.

    «Indexer les sources de revenus (salaires, régimes de retraites, etc.) à l’inflation ne risque-t-il pas de provoquer une spirale inflationniste?»

    Tant qu’il y aura un minimum de croissance, l’enrichissement collectif sera supérieur à l’inflation, par définition. Alors, une hausse correspondant à l’inflation sera inférieure à la croissance. En conséquence, on se retrouverait au pire avec une spirale très très basse.

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  8. Klaarys permalink
    8 janvier 2017 12 h 03 min

    Bjr, j’ai un exposé sur le smic a faire et je voulais avoir des exemples de se que pouvait etre l’inflation car comme sa je ne comprend pas tres bien. En passant bonne année 2017 a tous le monde !

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  9. 8 janvier 2017 12 h 25 min

    Je ne comprends pas ce que vous voulez savoir. En plus, habitant le Québec, je ne connais pas les particularités des données françaises.

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