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Démographie et immigration

13 juin 2013

ISQ-démographieL’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a publié récemment une étude intitulée Portrait démographique du Québec et du Canada: évolution convergente, divergente ou parallèle?. Cette étude visait à faire le point sur l’évolution démographique récente au Québec et de montrer que cette évolution vient atténuer les effets prévus du ralentissement démographique. J’ai, il y a un peu plus d’un an, publié un billet qui montrait qu’avec les données les plus récentes de l’époque, il était déjà possible de constater que le vieillissement était moins rapide que prévu et de moindre ampleur. L’étude de l’ISQ va dans le même sens, mais en analysant plutôt ces données par rapport à celles des autres provinces.

Résultats

Cette étude permet de dégager quelques constats intéressants :

  • L’indice synthétique de fécondité du Québec est depuis sept ans légèrement supérieur à celui du Canada;
  • l’espérance de vie des hommes et des femmes du Québec a rejoint celle du Canada, alors qu’elle était au dernier rang des provinces canadiennes dans les années 1970;
  • la part de l’immigration canadienne se destinant au Québec est toujours plus basse que son poids démographique, mais s’en approche (21,4 % en 2012, alors que son poids démographique était de 23,1 %);
  • le déficit du solde migratoire interprovincial du Québec est en forte baisse;
  • résultat : la différence entre le taux de croissance de la population du Québec et celui de la population du Canada a fondu et lui est rendu à peine inférieur (voir les graphiques qui suivent, le Québec étant en bleu dans les deux graphiques et le Canada en rouge).

ISQ-démographie1

Tout cela semble bien beau et bien clair, et ce serait le cas sans les réactions des commentateurs des articles portant sur cette étude… Je me contenterai ici de réagir à quelques commentaires que j’ai lus dans le Devoir.

Réactions

L’article lui même est bien, si ce n’est cette phrase : «les chercheurs de l’ISQ ont démontré que la position du Québec dans l’ensemble canadien s’améliorait» Le graphique nous montre que si la situation du Québec au sein du Canada se détériore moins qu’avant, elle ne s’améliore pas. Pour que cette situation s’améliore, il faudrait que le taux de croissance du Québec soit supérieur à celui du Canada, ce qui n’est pas le cas. Il est rendu bien près, mais toujours légèrement inférieur. En conséquence, son poids à l’intérieur du Canada continue à diminuer.

Si l’article rend bien le contenu de l’étude, cela se détériore nettement quand on passe aux commentaires des lecteurs. C’est inévitable, dès qu’un article parle de démographie et surtout quand un intervenant parle du rôle positif de l’immigration («Pour moi, quand on parle du Québec au sein du Canada et de sa capacité à conserver son poids dans la fédération, l’enjeu se jouera dans sa capacité à accueillir des immigrants internationaux », affirme Richard Marcoux [démographe], qui se dit partisan du maintien ou même de l’augmentation des seuils d’immigration au Québec»), les réactions identitaires ne tardent pas à se manifester…

«plus de la moitié de ceux-ci ne s’intègrent pas à la majorité francophone»

C’est toujours le problème avec les gens qui font des affirmations sans fournir de source, comme dans ce cas. Au lieu que le fardeau de la preuve soit du côté de la personne qui affirme, elle se retrouve chez la personne qui met en doute l’affirmation non démontrée. Ce sophisme s’appelle «argumentum ad ignorantiam» (ou l’appel à l’ignorance, voir le point 5). Mais, bon, allons-y, puisqu’il le faut!

La proportion qui s’intègre à la majorité francophone est sans contredit décevante et insuffisante, mais aucune étude ne valide cette affirmation, au contraire. Par exemple, on peut voir à la page 28 de l’étude du ministère de l’immigration et des Communautés culturelles intitulée «Présence en 2012 des immigrants admis au Québec de 2001 à 2010» que le pourcentage des immigrants qui sont arrivés au Québec entre 2001 et 2010 qui sont encore au Québec en 2012 est nettement plus élevé chez ceux qui parlent seulement le français (85,1 %) que chez ceux qui parlent seulement l’anglais (67,5 %) ou qui parlent ni le français ni l’anglais (73,1 %). Bref, ceux qui parlent français, qui sont plus nombreux que ceux qui parlent anglais ou qui ne parlent aucune de ces deux langues, restent davantage au Québec que les autres. Ce n’est peut-être pas une preuve directe d’intégration (terme difficile à définir, donc difficile à mesurer) à la majorité francophone, mais ces données vont dans ce sens.

«l’immigration incontrôlée de personnes sans grandes compétences ne résulte qu’en une diminution des salaires des faibles salariés, comme il a été amplement observé et démontré aux États-Unis»

Il est vrai que c’est le cas aux États-Unis, mais les caractéristiques des immigrants sont très différentes au Québec (et au Canada, d’ailleurs). Si l’immigration des États-Unis est peu scolarisée, surtout celle venant du Mexique, ce n’est pas le cas de notre immigration. On peut d’ailleurs constater à la page 43 de ce document qu’au moins 59,7 % des immigrants âgés de 15 ans ou plus arrivés au Québec entre 2008 et 2012 avaient au moins 14 ans de scolarité (ils devaient avoir plus de 15 ans!), soit au moins l’équivalent d’un diplôme postsecondaire. J’ai écrit «au moins», car la scolarité était inconnue pour 13,8 % des immigrants.

Bon, j’arrête là…

Croissance à tout prix?

Mais, le plus intéressant dans l’article du Devoir, selon moi, est le rappel de la question soulevée par Harvey Mead, qui fut il y a quelques années Commissaire au développement durable du Québec, dans une lettre que Le Devoir avait publiée quelques jours plus tôt: «la population doit-elle à tout prix augmenter?».

Je partage son opinion. La recherche de la croissance démographique va de pair avec la recherche de la croissance infinie. On la souhaite pour toutes sortes de raisons sans trop se poser de questions sur ses conséquences et sur les «limites quant à la croissance de nos atteintes aux écosystèmes». Par contre, là où il erre, selon moi, c’est quand il ne distingue pas une croissance démographique par accroissement naturel d’une croissance démographique par hausse du solde migratoire international. Le fait que le Québec accueille plus d’immigrants ne rajoute aucun être humain sur la planète, il ne fait que les déplacer. Est-ce que ces immigrants menaceront davantage les limites des écosystèmes ici que s’ils étaient restés dans leur pays? Tout dépend d’où ils viennent, de ce qu’ils auraient fait là-bas et de ce qu’ils feront ici. Bref, c’est impossible de le savoir. Avec son taux synthétique de fécondité autour de 1,7, le Québec ne parvient même pas à maintenir sa population. Harvey Mead devrait en être content. Dans ce contexte, je trouve son argumentation peu convaincante quand il dit :

«Et que dire des milliards de pauvres dans les pays où les populations continuent à croître alors que la planète a atteint ses limites dans sa capacité à nous soutenir, à les soutenir dans leur espoir de voir des jours meilleurs ?»

Je suis bien d’accord avec lui, mais quel est le rapport avec entre la croissance basée sur l’accroissement naturel dont il parle et qui fait augmenter la population de la Terre, et la croissance basée sur l’immigration qui permet l’augmentation de la population du Québec sans faire augmenter celle de notre planète?

Et alors…

Personnellement, je n’ai rien contre l’augmentation de notre population par l’immigration. Y a-t-il une limite au niveau d’immigration que le Québec peut accepter? Oui, bien sûr. Elle dépend essentiellement de notre capacité d’accueil et d’intégration. Et, quelle est cette limite? Pour moi, elle n’est pas fixe. Elle dépend surtout des moyens qu’on accorde à cette intégration, tant pour assurer la survie de notre culture que pour permettre aux personnes qui quittent leur pays pour venir ici d’atteindre leurs objectifs, soit de trouver un emploi à leur mesure et de vivre dignement.

14 commentaires leave one →
  1. Déréglé temporel permalink
    13 juin 2013 14 h 19 min

    « Bref, c’est impossible de le savoir. »

    Pourtant:
    1. Il est possible de connaître la provenance et le niveau socio-économique des différents groupes d’immigrants.
    2. Il est possible d’avoir des estimations relativement précises de leurs parcours d’intégration et de leur niveau de vie moyen après quelques années ici.
    Il devrait donc être possible de calculer leur impact écologique moyen avant et après immigration avec une acuité satisfaisante.

    Ça ne peut pas être un critère absolu, bien sûr, puisque le poids écologique d’un miséreux est moindre que celui d’une personne bien portante et que condamner quelqu’un à la misère n’est pas une solution éthique aux problèmes écologiques. Mais s’il s’agit de calculer l’effet du déplacement des populations sur la planète, je pense que c’est possible.

    « la planète a atteint ses limites dans sa capacité à nous soutenir »

    dans le système actuel, sans doute, mais il me semble que le problème est davantage un problème de répartition que de production. Autrement dit, dans un système plus équitable, cette affirmation pourrait ne pas être vrai.

    Un dernier point: la croissance de la population, dans la situation actuelle du Québec, ne recouvre pas les mêmes enjeux politiques que dans un pays souverain. L’un des éléments qui est en jeu est le poids politique du Québec au sein de la fédération, puisque le nombre de sièges aux Communes est sensé être proportionnel à la population. À l’heure actuelle, on ne s’en tire pas trop mal, mais une baisse de population peut affecter notre capacité à avoir notre destin en main. La fédération induit une composante de compétition démographique en son sein.

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  2. 13 juin 2013 14 h 58 min

    «Il est possible de connaître la provenance et le niveau socio-économique des différents groupes d’immigrants.»

    J’ai de fait hésité avant d’écrire ça. Mais, il demeure qu’il faudrait aussi connaître le niveau socio-économique qu’ils auraient eus s’ils étaient restés dans leur pays. Et, cela ne m’apparaît pas facile. En outre, comme nous faisons venir les plus scolarisés, qui se retrouvent ici dans une classe moyenne, au mieux (il y a des exceptions, bien sûr), il est probable qu’ils auraient fait partie d’une classe plus élevée dans leur pays d’origine (pour ceux et celles qui proviennent de pays «pauvres»). Alors, il faudrait connaître l’impact de ces classes sur l’écosystème dans ces pays. Bref, je trouve qu’au total ce calcul demandrait bien des hypothèses et son résultat ne pourrait pas être bien précis.

    «condamner quelqu’un à la misère n’est pas une solution éthique aux problèmes écologiques»

    Bien d’accord. Si j’avais élaboré sur le point précédent, j’aurais aussi avancé cet argument.

    «dans un système plus équitable, cette affirmation pourrait ne pas être vrai»

    Bien sûr, mais j’ai pris pour acquis qu’il parlait du système actuel.

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  3. Richard Langelier permalink
    13 juin 2013 23 h 32 min

    Quand j’entends un Jacques Grand-Maison affirmer que nos femmes ne font pas assez de bébés, mon sang ne fait qu’un tour. Nathalie Petrowski avait écrit à la une du Devoir: « Pour l’avenir de la nation, monsieur le chanoine, faites-moi un bébé! »

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  4. 14 juin 2013 4 h 55 min

    «Quand j’entends un Jacques Grand-Maison affirmer que nos femmes ne font pas assez de bébés, mon sang ne fait qu’un tour.»

    Il est loin d’être le seul à avoir dit ça! Un commentateur parfois régulier ici en dit tout autant!

    Je n’ai pas vu le documentaire Disparaître de Lise Payette. J’imagine qu’elle ne demandait pas directement aux femmes de faire plus d’enfants, elle disait plutôt, selon les compte-rendus, de freiner l’immigration (et sûrement de faire l’indépendance au plus vite), mais je ne vois pas ce que ce documentaire pouvait bien vouloir dire d’autre…

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  5. Richard Langelier permalink
    14 juin 2013 18 h 47 min

    Dans « Disparaître », le démographe Charles Castonguay déclarait : « Une société qui ne fait plus d’enfants ne mérite pas de survivre ». Inutile de dire qu’il y a eu nette recrudescence dans la cadence de mes jurons. Faire des enfants pour sauver la nation! Franchement!

    Chercher des solutions pour faire en sorte qu’une femme qui se retire du marché du travail lorsqu’elle est enceinte puis qui s’occupe d’un enfant en bas âge, ne soit pas pénalisée lorsqu’elle touchera sa rente, j’en suis http://www.fede.qc.ca/RRQ_Memoire14GF_2009_09_16.pdf .

    Chercher des solutions au problème systémique : une femme enceinte qui se retire du marché du travail n’acquière pas d’expérience, a moins de chance d’obtenir des promotions, j’en suis, par esprit de justice et non pas pour sauver la nation. Les partisans du PQ et d’ON diront que je ne suis pas un vrai indépendantiste, c’est leur problème.

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  6. 14 juin 2013 19 h 06 min

    «Les partisans du PQ et d’ON diront que je ne suis pas un vrai indépendantiste,»

    Désolé, je ne vois pas le rapport… probablement parce que je suis totalement d’accord avec toi!

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  7. Déréglé temporel permalink
    14 juin 2013 23 h 06 min

    En tout cas, Erdogan veut que les Turques fassent au moins trois enfants chacune (enfin, pas toutes seules, j’imagine…). Mais vu les problèmes qu’il a avec la jeunesse et les mères du pays, en ce moment, il va peut-être changer d’avis…

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  8. Richard Langelier permalink
    15 juin 2013 0 h 02 min

    @ Déréglé temporel

    La parthénogenèse offre de grandes possibilités http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/zoologie/d/un-requin-marteau-nait-sans-pere-une-premiere_11908/ . De là à faire un lien avec la vraie école autrichienne qui affirme que si on dissolvait l’État, les cinq conditions de la concurrence pure et parfaite apparaîtraient, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas.

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  9. barefootluc permalink
    15 juin 2013 7 h 50 min

    Dissoudre l’État? Pourquoi, si ce n’est que le GBS nous dit que l’État est la source de tous les maux?! ;-P

    Quand j’entends un larbin tenir ce genre de discours, tout en insistant pour exercer sa liberté d’avoir une arme automatique alors qu’il ne proteste pas contre ce que nous a révélé Edward Snowden, ça ma laisse pantois. 😉

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  10. 15 juin 2013 8 h 29 min

    «alors qu’il ne proteste pas contre ce que nous a révélé Edward Snowden»

    Au contraire, certains protestent contre lui!

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  11. barefootluc permalink
    15 juin 2013 8 h 58 min

    @ Darwin

    J’en conviens, mais que certains ne s’en préoccupe pas me laisse tout de même pantois. La logique libères-t-a-rienne me semble un brin tortueuse. 😉

    Il me semble qu’en disant continuellement qu’ils sont pour la « Libarté » et contre l’État qui va à l’encontre d’elle et prend beaucoup trop de place dans leur vie, ils ne pourraient que s’opposer à ce qu’a dénoncé Snowden. Non? 😉

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  12. 15 juin 2013 9 h 18 min

    «, ils ne pourraient que s’opposer à ce qu’a dénoncé Snowden. Non?»

    Les doubles et même triples négatifs me donnent parfois mal à la tête! 😉

    Donc, oui!

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  13. 1 juillet 2013 19 h 59 min

    En réaction à votre commentaire du 14 juin 04:55, il y a des lunes que je ne suis plus un commentateur parfois régulier ici. Donc, je ne me sens pas visé, réflexion faite. WordPress m’a signalé votre article que j’ai apprécié comme d’antan, instructif et professionnellement impartial.

    Le Québec est une multinationale : Les Premières, la deuxième, la troisième; d’autres, je ne sais pas. De quelle nation Nathalie parle-t-elle, des Premières, de la deuxième, de la troisième, d’autres ? D’emblée, j’exclurais que Jacques soit des Premières qui font plus d’enfants par femmes au Québec que la deuxième et la troisième. En cas d’indépendance, il faudrait repenser notre multinationale.

    Pour le sauvetage du français au Québec sur un siècle, 3000 bébés de plus par années vaudrait mieux que n’importe quelle loi obtenue à l’arraché. Langue n’est pas synonyme de nation.

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  14. 1 juillet 2013 20 h 05 min

    «Donc, je ne me sens pas visé, réflexion faite. WordPress»

    Vous avez raison, j’ai fait un mauvais usage du concept de régularité. En fait, j’ai confondu «parfois» avec «autrefois»! Pardonnez-moi, il était justement 4 h 55… et je n’avais pas encore pris mon premier café!

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