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L’impôt et la croissance

27 décembre 2014

impôt-croissanceAprès avoir montré dans mon dernier billet que la recherche d’une plus grande égalité de revenus ne nuit pas à la croissance et, qu’au contraire, elle y contribue, je vais dans ce billet regarder des faits récents qui examinent l’impact du niveau des impôts sur la croissance. La droite affirme en effet que trop d’impôt tue l’impôt, les adeptes les plus fidèles de Arhur Laffer prétendant même que l’État peut en récolter davantage en diminuant ses taux d’imposition grâce à la croissance qui résultera de cette baisse.

impôt-croissance1Vers 2012, l’état du Kansas a décidé d’appliquer la recette de Arthur Laffer en procédant à «la baisse d’impôt la plus importante jamais faite en une année par n’importe quel état», comme nous l’expliquait en juillet dernier Paul Krugman dans cette chronique. Le gouverneur de cet état, Sam Brownback, était convaincu que ces baisses d’impôt «allaient engendrer un boom économique». Deux ans plus tard, on constate (voir le graphique ci-contre) que la création d’emplois au Kansas fut beaucoup plus lente que dans le reste des États-Unis, surtout depuis 2012, année de l’adoption de la baisse des impôts.

Pire, les revenus du Kansas ont plongé, Moody’s a diminué sa cote de crédit, des écoles ont vu leur financement diminuer et rien de ce que les idéologues de droite prévoyaient ne s’est concrétisé. Pendant ce temps, la Californie a décidé la même année, en 2012, de faire l’inverse, soit d’augmenter les impôts de tous, mais surtout ceux des riches. Aussitôt, les idéologues de droite (comme le Cato Institute) ont prévu le pire : suicide économique, départs des riches et j’en passe. Résultat? L’emploi y a depuis augmenté davantage que la moyenne aux États-Unis, le déficit s’élimine graduellement (on prévoit même des surplus dans quelques années), l’état a réinvesti dans l’éducation et, non, il n’y a pas eu d’exode des plus riches!

Pas seulement dans deux états…

L’opposition de ces deux exemples est bien sûr intéressante, mais il faut éviter de conclure trop rapidement, bien d’autres facteurs influençant l’évolution des revenus de l’État et la création d’emplois. Il serait bien plus convaincant de comparer des données à plus long terme et de plus de territoires. J’ai justement pris connaissance la semaine dernière, en lisant le mémoire soumis par l’Association des économistes québécois (ASDEQ) à la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, d’une courte étude qui compare la situation économique de l’ensemble des états des États-Unis entre 2002 et 2011 en fonction du niveau des taux d’imposition des revenus des particuliers.

Le graphique qui suit compare l’évolution du PIB par habitant et du revenu médian des ménages entre 2002 et 2011, ainsi que le taux de chômage moyen au cours de cette période entre les neuf états qui n’ont aucun impôt sur le revenu des particuliers (barres grises), les neufs états qui ont les taux d’imposition sur le revenu des particuliers les plus élevés (barres vertes) et tous les états (41) qui ont un impôt sur le revenu des particuliers (barres rouges).

impôt-croissance2

Le graphique montre que la croissance du PIB par habitant entre 2002 et 2011 a été la plus faible (5,2 %) dans les états qui n’ont aucun impôt sur le revenu des particuliers et la plus élevée dans ceux ont les taux d’imposition sur le revenu des particuliers les plus élevés (8,2 %). La baisse du revenu médian des ménages (phénomène troublant au cours d’une période où le PIB par habitant a, lui, augmenté, ce qui est une autre illustration de l’augmentation des inégalités; mais, bon, c’est un autre sujet…) fut légèrement plus forte dans les états qui n’ont aucun impôt sur le revenu des particuliers, mais disons que les différences sont dans ce cas trop faibles pour conclure. Il en est de même pour le taux de chômage qui fut très similaire quel que soit le taux d’imposition.

Les auteurs précisent par ailleurs que les états qui n’ont aucun impôt sur le revenu des particuliers bénéficient de plus de dépenses militaires et récoltent davantage de recettes provenant des redevances tirées de l’exploitation des ressources naturelles, comme le pétrole. Ils ont, en plus, un climat plus favorable à la croissance. Il est important de préciser ce genre de choses, car elles montrent que bien d’autres facteurs que le seul niveau d’imposition du revenu des particuliers jouent un rôle dans l’évolution des indicateurs économiques. Ils concluent ainsi, expliquant qu’il est logique de penser que la baisse des impôt nuit au bout du compte à la croissance plutôt que de la stimuler :

«[traduction] La théorie sous-jacente que Laffer utilise pour plaider en faveur de la diminution du taux d’imposition sur le revenu minimise ou même ignore l’importance des investissements publics comme dans l’éducation et dans les infrastructures pour le succès des économies des états. Elle suppose également qu’il n’y a pas de coût économique dans le fait de faire payer davantage de dépenses et une proportion plus élevée des taxes et impôts par les familles à moyen et à faible revenu, qui sont pourtant les consommateurs dont le pouvoir d’achat est au cœur de la réussite de toute économie.»

Et alors…

Même si cette étude est beaucoup plus complète et significative que la seule comparaison entre le Kansas et la Californie, elle ne suffit pas à elle seule à clore le débat sur les affirmations de Laffer. Comme le mentionnent brièvement les auteurs, chaque territoire possède des caractéristiques qui rendent limitées les conclusions qu’on peut tirer de comparaisons faites à l’aide de seulement quelques indicateurs. Cela dit, cette étude (comme bien d’autres avant) va directement et fortement à l’encontre des formules quasi-magiques de Laffer sur l’effet des baisses d’impôt. Et cela, ce n’est pas négligeable!

6 commentaires leave one →
  1. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    28 décembre 2014 12 h 45 min

    OUTCH! Direct dans mes dents.

    Aimé par 1 personne

  2. 28 décembre 2014 14 h 39 min

    🙂

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  3. RickSanNome permalink
    31 décembre 2014 8 h 16 min

    Même si je ne crois pas un moment qu’on dépasse où que ce soit le « peak » de la courbe de Laffer [si il existe], il faut dire qu’il ne s’agit que d’une corrélation simple [faite à l’œil].

    Peut-être bien que d’être un territoire qui possède un impôt sur le revenu fait en sorte qu’on possède en même temps d’autre qualité pour la croissance que ne possèdent pas les territoires sans impôt sur le revenu. [Qualité individuelle ancrée dans la culture ou qualité structurelle quelconque]

    Aussi, je suis tombé sur ça, qui utilise des données sur une période similaire, mais en faveur de la laffer curve : http://www.laffercenter.com/taxes-matter-states/

    Les données utilisés semblent similaire, mais pas grand chose de super pertinent à mon avis étant donnée qu’on ne fait que regarder les migration de population et les GSP [pas par habitant].

    Soit dit en passant, le graphique que tu as copié ne regarde pas le PIB par habitant, mais le produit brut de l’État (G)!

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  4. 31 décembre 2014 10 h 08 min

    Un des documents (ou un autre que j’ai lu ailleurs) que je cite parle de «l’étude» du Laffer Center. Un cas exemplaire de picorage de données!

    «Soit dit en passant, le graphique que tu as copié ne regarde pas le PIB par habitant, mais le produit brut de l’État (G)»

    C’est pourtant bien indiqué qu’il s’agit du produit brut réel de l’État (real GSP, équivalent du PIB réel pour un pays) par habitant (per capital)…

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  5. RickSanNome permalink
    2 janvier 2015 9 h 25 min

    Désolé 1000 fois, j’ai mélangé GSP et GS. [governement spending] qu’on appel parfois produit brut de l’état en français [du moins à l’UDES…]. Le principe est effectivement le même que le GDP, à l’exception que la mesure est moins précise. *****

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  6. 2 janvier 2015 10 h 03 min

    Il n’y a pas de dommage!

    Bonne année!

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