Les conséquences de la croissance de l’emploi dans le secteur financier
Encore une fois grâce au blogue Economist’s View, j’ai lu récemment deux études portant sur le secteur financier. La première, que je vais présenter dans ce billet, est intitulée Why does financial sector growth crowd out real economic growth? (Pourquoi la croissance du secteur financier fait-elle diminuer la croissance économique réelle?). Cette étude, de Stephen G Cecchetti et Enisse Kharroubi, a été publié par la Banque des règlements internationaux (BRI), qui est considérée comme «la banque centrale des banques centrales» (et dont on voit l’immeuble dans l’image qui accompagne ce billet).
Une étude précédente
Dans une étude précédente, les auteurs avaient conclu que «[traduction] le niveau de développement du secteur financier ne contribue que jusqu’à un certain point à la productivité et à la croissance globale, après quoi il devient un frein à la croissance». Ils avaient aussi montré que «une forte croissance du secteur financier est préjudiciable à la croissance de la productivité globale», comme l’illustre le graphique suivant.
Ce graphique montre sur l’axe vertical la croissance mobile sur cinq ans de la productivité du travail (soit la hausse du PIB par travailleur) et sur l’axe horizontal la croissance mobile sur cinq ans de la part du secteur financier dans l’emploi total. La ligne de tendance rouge nous montre que, en général, plus l’emploi dans le secteur financier augmente, moins forte est la croissance de la productivité.
L’étude présente
Les auteurs ont décidé de revenir sur le sujet pour tenter de découvrir les facteurs qui pourraient expliquer ce lien négatif entre l’augmentation de l’emploi dans le secteur financier et la croissance du PIB, et surtout, de la productivité. Les auteurs ont utilisé deux modèles différents pour leur recherche. L’élément qui est ressorti le plus nettement de l’application de leurs modèles est que la croissance de l’emploi dans le secteur financier draine une forte proportion des travailleurs qualifiés qui, se dirigeant vers le secteur financier, ne sont pas disponibles pour les autres industries. Notons que les auteurs ne sont pas les premiers à avoir noté cet effet (j’en ai d’ailleurs parlé à quelques reprises, notamment dans ce billet), qui se manifeste aussi par une plus forte proportion des étudiants universitaires dans les facultés liées à la gestion et à l’administration.
Si les auteurs en étaient restés là, je n’aurais pas écrit ce billet. Des modèles peuvent être intéressants pour faire ressortir des relations, mais celles-ci doivent ensuite être testées dans le monde réel. Et c’est justement ce qu’ils ont fait.
Pour la tester, ils ont utilisé les données de 33 industries provenant de 15 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ils ont isolé les industries dont les dépenses en recherche et développement sont les plus élevées (industries qui ont le plus besoin de travailleurs qualifiés) par rapport à leurs dépenses totales et celles dont ces dépenses sont les plus faibles. Ils ont ensuite comparé les taux de croissance de ces industries dans chacun des 15 pays retenus (qui diffusent des données pertinentes et fiables sur ces sujets) en fonction de la croissance de l’emploi dans le secteur financier.
Ils ont ainsi constaté que les industries dont une forte proportion des dépenses est consacrée à la recherche et développement (comme celles de la fabrication de matériel de communication, de matériel médical et d’aéronefs) ont une croissance entre 1,9 % et 2,9 % moins élevée dans les pays où l’emploi dans le secteur financier augmente rapidement que dans les pays où l’emploi dans le secteur financier augmente lentement. Par contre, le niveau de croissance des industries dépensant une faible proportion de leurs dépenses en recherche et développement (comme celles de la fabrication de vêtements, de textiles et de bois) ne varie pas en fonction de la croissance de l’emploi dans le secteur financier. Ces résultats semblent donc confirmer que la concurrence pour les travailleurs qualifiés est un facteur qui explique bien l’observation de la première étude qui concluait qu’une forte croissance du secteur financier est préjudiciable à la croissance de la productivité globale.
Et alors…
On connaît bien les défauts du secteur financier. S’il est essentiel jusqu’à un certain niveau, il devient une nuisance, voire un danger, quand il prend trop de place. Cette étude ajoute une pierre à ce type de constatation, car sa démonstration est basée sur des facteurs différents de ceux étudiés dans les études précédentes qui ont abordé cette question.
Quand c’est rendu que même un organisme aussi orthodoxe que la BRI accepte de publier une étude qui arrive à la conclusion que la croissance du secteur financier nuit à la croissance globale de l’économie (même si elle prend bien soin de mentionner que les opinions émises dans cette publication sont celles des auteurs et pas nécessairement celles de la BRI), c’est que quelque chose cloche vraiment avec le secteur financier!
Nous verrons dans le prochain billet un autre angle des apports et des nuisances de cette industrie à notre société…
Intéressant, même s’il serait néanmoins bon de rappeler qu’une bonne quantité d’études démontrent aussi que le développement financier est intimement lié à la croissance. Il y a tout de même, probablement, un seuil au-delà duquel la finance devient contre-productive.
Cela dit, je m’interroge sur le choix des variables et sur la période couverte. Les données sur la « croissance du secteur financier » ne semble concerner que les banques, et pas les marchés de capitaux (voir graphique 2). Je me demande jusqu’à quel point on a pas affaire à un genre de problème de « modèle de capitalisme » – certains pays misent davantage sur le secteur bancaire que d’autres. Se pourrait-il aussi que les industries qui font de la R&D aient davantage recours à d’autres mode de financement? Bon, en même temps, il est très probable que les données, par exemple sur les dépôts bancaires, finissent par refléter la création de crédit sur d’autres marchés mais j’ai quand même mes doutes.
Au sujet de la période couverte maintenant… Dans leur autre article, que tu évoques avec le tout premier graphique, ils concluent que la finance mène à une croissance moins élevée parce qu’elle encourage davantage les industries peu productives qui peuvent néanmoins fournir des « collateraux » importants, notamment la construction. Et pendant la période 2000-2008, couverte par les auteurs, disons que ce mécanisme pouvais plausiblement (assurément) être amplifié (!) Des banques qui ne font que faire surchauffer le secteur immobilier.
Bref, Je-suis-pas-économiste mais je reste avec plus de questions que de réponses.
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«Intéressant, même s’il serait néanmoins bon de rappeler qu’une bonne quantité d’études démontrent aussi que le développement financier est intimement lié à la croissance»
Le document (et le précédent) fait le tour des études sur le sujet, et presque toutes concluent que ce lien disparaît et s’inverse à partir d’une certaine taille du secteur financier.
«Les données sur la « croissance du secteur financier » ne semble concerner que les banques, et pas les marchés de capitaux»
On y parle aussi des «Financial system deposits to GDP». On peut lire à la page 18 (texte qui décrit le graphique 2) : «Starting with financial sector growth, we consider two types of indicators. The first focuses on banks alone – the ratio of banking assets to GDP, for example — and the second on the financial system more broadly – including measures such as total private credit to GDP.»
«Et pendant la période 2000-2008, couverte par les auteurs»
Non, le premier graphique couvre la période 1980 à 2009 (voir en dessous du graphique, à la page 2).
«Je-suis-pas-économiste mais je reste avec plus de questions que de réponses.»
Les réponses définitives sont rares et souvent prétentieuses en économie! Mon but est davantage de susciter la réflexion. Il demeure qu’à partir d’un certain niveau, ce secteur draine plus de ressources qu’il n’augmente le bien-être. À ce sujet, je suggère cet autre billet (dont j’avais mis un lien dans le billet actuel) :
https://jeanneemard.wordpress.com/2013/08/12/la-malediction-financiere/
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« Le document (et le précédent) fait le tour des études sur le sujet, et presque toutes concluent que ce lien disparaît et s’inverse à partir d’une certaine taille du secteur financier. »
Il y a certes quelques référence sur des thèmes précis dans le 2e article mais de là à dire qu’ils « font le tour »… Avec une seule page de bibliographie, on peu en douter. Voici un extrait de leur introduction du premier article:
« And, since the pioneering work of Goldsmith (1969), McKinnon (1973) and Shaw (1973), we have been able to point to evidence supporting the view that financial development is good for growth. »
La toute première ligne de leur article répète en fait ce que je disais, c’est à dire que la finance est bénéfique à la croissance. À la note 1 du premier article, on peut dire qu’ils évoquent certaines recherches sur le sujet (notamment Levine et al. 2000) mais ne cite qu’un auteur qui suggère qu’un seuil existerait. En fait, c’est essentiellement à clarifier cette idée d’une « seuil » que ces auteurs s’appliquent justement! Si tout le monde avait déjà dit la même affaire, il n’y aurait pas eu de nécessité d’écrire un autre article n’est-ce pas.
« On y parle aussi des «Financial system deposits to GDP». On peut lire à la page 18 (texte qui décrit le graphique 2) : «Starting with financial sector growth, we consider two types of indicators. The first focuses on banks alone – the ratio of banking assets to GDP, for example — and the second on the financial system more broadly – including measures such as total private credit to GDP.» »
Oui j’ai bien lu aussi mais il me restait un doute après avoir vérifié leur source, c’est à dire la banque de données sur le développement financier de la Banque mondiale. Dans le fichier excel des données, une définition est donnée de « financial system deposits »: « Demand, time and saving deposits in deposit money banks and other financial institutions as a share of GDP. » Je m’interroge en fait à savoir si cette donnée ne laisse pas de côté d’autre sortes de financement. À peine quelques années après que tout le monde ait ignoré en quelque sorte le développement d’une « système financier parallèle », je trouve que c’est une interrogation légitime…
« Non, le premier graphique couvre la période 1980 à 2009 (voir en dessous du graphique, à la page 2). »
Je parle de la conclusion de l’article 1 dans le contexte des résultats de l’article 2 qui eux sont basés sur la période 2000-08 (voir en bas du graphique 2).
« Les réponses définitivse sont rares et souvent prétentieuses en économie! Mon but est davantage de susciter la réflexion. »
Même chose de mon côté. C’est pourquoi je ne vois pas ces études de la BIS comme une réponse claire. Je m’interroge sur les mécanismes en jeu… et je poursuis ma réflexion.
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« And, since the pioneering work of Goldsmith (1969), McKinnon (1973) and Shaw (1973), we have been able to point to evidence supporting the view that financial development is good for growth. »
De fait, cette études datent, ce qui montre bien, comme vous l’avez mentionné, le besoin d’en produire avec des données plus récentes, surtout que la structure du secteur financier a bien changé.
«Je m’interroge en fait à savoir si cette donnée ne laisse pas de côté d’autre sortes de financement.»
Ce serait bon de poser la question aux auteurs. J’ai déjà écrit à des auteurs et uls sont en général bien ouverts à répondre à des questions sur leurs études.
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