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Les taux d’emploi et de chômage des membres des minorités visibles

7 juillet 2018

Je poursuis après un hiatus de plus d’un mois ma série de billets sur la situation de l’emploi des hommes et des femmes appartenant à une minorité visible. Cette fois, je me baserai sur les données provenant du fichier 98-400-X2016286 tiré du recensement de 2016. Ce billet portera sur leur taux d’emploi et leur taux de chômage.

Les taux d’emploi et de chômage selon l’appartenance à une minorité visible

Je rappelle ici que, selon Statistique Canada, les personnes qui appartiennent à une minorité visible sont celles «autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche». Le tableau qui suit présente pour 14 groupes d’hommes et de femmes liés ou non aux minorités visibles :

  • les taux d’emploi et de chômage, au Canada et au Québec, lors de la semaine de référence du recensement de 2016, soit du dimanche 1er mai au samedi 7 mai, des personnes âgées de 25 à 64 ans (tranche d’âge qui permet de rendre comparables des données sur des populations qui ont des structures démographiques bien différentes, surtout du côté de la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus; par exemple cette proportion par rapport à la population âgée de 15 ans et plus était de 21,7 % chez les personnes n’appartenant pas à une minorité visible, mais de 8,8 % chez celle y appartenant avec un minimum de 5,9 % chez les Arabes);

  • l’écart entre ces taux au Canada et au Québec, avec indiqué avec un fond vert les données qui sont favorables aux populations du Québec.

– Taux d’emploi

  • Tant au Québec qu’au Canada, la différence du taux d’emploi entre les femmes et les hommes était en 2016 beaucoup plus élevée chez les personnes qui appartiennent à une minorité visible (13,1 points de pourcentage au Canada, soit 80,5 % chez les hommes et 67,4 % chez les femmes, et 12,4 points au Québec, soit 76,7 % chez les hommes et 64,3 % chez les femmes) que chez celles n’y appartenant pas (6,1 points au Canada, soit 79,0 % chez les hommes et 72,9 % chez les femmes, et 4,5 points au Québec, soit 78,5 % chez les hommes et 74,0 % chez les femmes).
  • Pour les hommes, les taux d’emploi les plus élevés au Québec s’observaient chez les Phillipins (86,4 %, par rapport à 78,5 % chez les hommes n’appartenant pas à une minorité visible et à 76,7 % pour l’ensemble des hommes y appartenant) et pour les femmes chez les Philippines (79,9 %, par rapport à 74,0 % chez les femmes n’appartenant pas à une minorité visible et à 64,3 % pour l’ensemble des femmes y appartenant). Comme je l’ai déjà mentionné dans de précédents billets, le fort taux d’emploi chez ces dernières est fort probablement dû à leur forte participation au Programme des aides familiaux résidants (PAFR) à leur arrivée au Québec.
  • Les taux d’emploi les plus faibles au Québec du côté des hommes s’observaient chez les Asiatiques occidentaux (p. ex. Iraniens, Afghans, etc.) et les Coréens (avec respectivement 66,8 % et 67,5 %) et du côté des femmes chez les Asiatiques occidentales (p. ex. Iraniennes, Afghanes, etc.), les Sud-Asiatiques (p. ex. Indiennes de l’Inde, Pakistanaises, Sri-Lankaises, etc.) et les Arabes (avec respectivement 49,5 %, 52,1 % et 55,0 %).

– Taux de chômage

  • Alors que le taux de chômage est moins élevé au Québec qu’au Canada chez les hommes et les femmes n’appartenant pas à une minorité visible (de 0,4 et 0,7 point de pourcentage), il lui est plus élevé chez les hommes et les femmes y appartenant (de 2,9 et 2,7 points).
  • De même, si le taux de chômage chez les femmes n’appartenant pas à une minorité visible est moins élevé que celui des hommes du même groupe de 2,0 points de pourcentage (4,5 % par rapport à 6,5 %), c’est l’inverse parmi les personnes y appartenant (10,9 % par rapport à 9,8 %, pour un écart de 1,1 point).
  • Au Québec, les taux de chômage les plus élevés chez les hommes et les femmes s’observaient chez les Asiatiques occidentaux.ales (12,0 % chez les hommes et 15,8 % chez les femmes).
  • Notons aussi les taux relativement élevés du côté des hommes chez les Noirs (11,4 %), les Coréens (11,2 %) et les Arabes (10,9 %), et du côté des femmes chez les Arabes (14,6 %), les Sud-Asiatiques (13,4 %) et les Noires (10,8 %).

– Écarts

Sur les 56 cellules indiquant les écarts entre les taux canadiens et québécois, seulement 10 (celles indiquées avec un fond vert), soit 18 %, dont trois touchent en fait les personnes n’appartenant pas à une minorité visible, montrent un avantage aux populations du Québec. Cela indique clairement que l’intégration au marché du travail des personnes appartenant à une minorité visible est nettement plus difficile au Québec que dans le reste du Canada.

Chez les titulaires d’au moins un baccalauréat

Le tableau suivant, bâti de la même façon que le précédent, présente les mêmes données, mais uniquement pour les titulaires d’au moins un baccalauréat. Ce tableau permet de quantifier la différence de l’effet de ces diplômes entre les personnes appartenant et n’appartenant pas à une minorité visible. On notera toutefois que la différence de cet effet sur les revenus et les professions des emplois occupés par ces groupes a été analysée dans un précédent billet.

– Taux d’emploi

  • Ce tableau montre entre autres que les titulaires d’un diplôme universitaire appartenant à une minorité visible sont beaucoup plus désavantagé.es au Québec qu’au Canada par rapport aux titulaires n’y appartenant pas. Alors que l’écart entre ces deux groupes est de 3,1 points de pourcentage chez les hommes et de 9,4 points chez les femmes au Canada, ces écarts sont respectivement de 7,2 et de 15,2 points au Québec. Comme ces écarts sont plus importants que pour l’ensemble de ces deux populations, il semble donc que les diplômes universitaires des titulaires appartenant à une minorité visible sont moins reconnus au Québec que dans le reste du Canada. Cela dit, bien d’autres facteurs peuvent expliquer ces écarts (pays de provenance, discrimination, etc.) et jouer un rôle aussi bien au Québec que dans l’ensemble du Canada.
  • Les groupes appartenant à des minorités visibles ayant les taux d’emploi les plus élevés et les plus faibles étaient sensiblement les mêmes que ceux que j’ai mentionnés plus tôt pour l’ensemble de ces populations.

– Taux de chômage

  • Alors que le taux de chômage des titulaires d’un diplôme universitaire du Québec n’appartenant pas à une minorité visible est plus de 40 % plus bas chez les hommes (3,7 % par rapport à 6,5 %) et l’est de près de 30 % pour les femmes (3,2 % par rapport à 4,5 %) que celui de l’ensemble de leur population, il ne l’est que de 8 % chez les hommes (9,8 % par rapport à 9,0 %) et de moins de 2 % chez les femmes (10,7 % par rapport à 10,9 %) des titulaires y appartenant. Ce phénomène se manifeste avec presque autant d’ampleur dans l’ensemble du Canada. Il faut dire qu’il est normal que ces taux varient moins chez les personnes appartenant à une minorité visible que chez celles n’y appartenant pas, car la proportion de titulaires d’un diplôme universitaire y est beaucoup plus élevée (voir mon billet précédent), mais ce facteur n’explique nullement l’ampleur de cette différence.
  • Encore ici, les groupes appartenant à des minorités visibles ayant les taux de chômage les plus élevés et les plus faibles sont sensiblement les mêmes que ceux que j’ai mentionnés plus tôt pour l’ensemble de ces populations.

– Écarts

Cette fois, 13 des 56 cellules indiquant les écarts entre les taux canadiens et québécois (23 %) montrent un avantage aux populations du Québec, ce qui n’est guère mieux que pour l’ensemble des populations des 14 groupes analysés.

Chez les immigrant.es récent.es

Le tableau suivant, bâti encore une fois de la même façon que le premier, présente les mêmes données, mais uniquement pour les immigrant.es qui sont arrivé.es au Canada de 2011 à 2016, ce qu’on appelle les immigrant.es récent.es.

– Taux d’emploi

  • Ce tableau est celui qui montre les écarts négatifs les plus élevés entre les taux d’emploi du Québec et du Canada. Chez les personnes n’appartenant pas à une minorité visible, les taux d’emploi des immigrants récents du Québec étaient en mai 2016 moins élevés que ceux du Canada de 4,9 points de pourcentage (78,1 % par rapport à 83,0 %), tandis qu’ils l’étaient de 3,3 points chez les immigrantes récentes (57,2 % par rapport à 60,5 %). Ces écarts, même si importants, sont toutefois bien moins élevés que ceux observés chez les personnes appartenant à une minorité visible. Ils atteignaient en effet 7,5 points (69,1 % par rapport à 76,5 %) chez les immigrants récents et 7,1 points (48,8 % par rapport à 55,9 %) chez les immigrantes récentes.
  • Le taux d’emploi des immigrants récents du Québec n’appartenant pas à une minorité visible était à peine plus bas que celui de l’ensemble de leur population (premier tableau), soit de 0,4 point (78,1 % par rapport à 78,5 %), alors que celui des immigrantes récentes était beaucoup plus bas que celui de l’ensemble de leur population, soit de 16,8 points (57,2 % par rapport à 74,0 %). Le même phénomène, quoique de façon moins forte, s’observait chez les personnes appartenant à une minorité visible : le taux d’emploi des immigrants récents était passablement plus bas que celui de l’ensemble de leur population, soit de 7,6 points (69,1 % par rapport à 76,7 %), alors que celui des immigrantes récentes était beaucoup plus bas que celui de l’ensemble de leur population, soit de 15,5 points (seulement 48,8 % par rapport à un 64,3 % déjà pas très élevé).
  • Les taux d’emploi les plus élevés au Québec du côté des immigrants récents étaient les mêmes que pour l’ensemble de ces populations et pour les titulaires d’un diplôme universitaire, soit ceux des Phillipins (83,8 %, par rapport à 78,1 % chez les hommes n’appartenant pas à une minorité visible et à 69,1 % pour l’ensemble des hommes y appartenant) et des Philippines (75,1 %, par rapport à 57,2 % chez les femmes n’appartenant pas à une minorité visible et à 48,8 % pour l’ensemble des femmes y appartenant).
  • Les taux d’emploi les plus faibles au Québec du côté des immigrants récents s’observaient chez les Asiatiques occidentaux (49,1 %), les Coréens (58,8 %) et les Chinois (59,0 %). Si ces deux premiers groupes se distinguent par un faible taux d’emploi dans les trois tableaux, la présence des Chinois dont le taux d’emploi était près de la moyenne des groupes appartenant à une minorité visible dans les deux tableaux précédents étonne davantage. Du côté des immigrantes récentes, les taux d’emploi les plus faibles s’observaient chez les Asiatiques occidentales (33,7 %), les Arabes (36,1 %) et les Sud-Asiatiques (38,0 %). Aucune surprise cette fois sur l’identité de ces groupes, mais toute une sur le niveau extrêmement bas de ces taux d’emploi.

– Taux de chômage

  • Les écarts négatifs des taux de chômage des immigrant.es récent.es du Québec, que ce soit avec les données canadiennes ou avec celles du Québec pour l’ensemble de ces populations (premier tableau) sont encore plus marqués que ceux des taux d’emploi. Cela dit, je vais me concentrer ici sur les données du Québec.
  • Chez les personnes n’appartenant pas à une minorité visible, le taux de chômage des immigrants récents du Québec était plus élevé de 3,4 points de pourcentage que ceux de l’ensemble de leur population (premier tableau), soit de plus de 50 % (9,9 % par rapport à 6,5 %), tandis que celui des immigrantes récentes l’était de 11,0 points, soit de près de 250 % (15,5 % par rapport à 4,5 %)! Chez les personnes appartenant à une minorité visible, ce taux était plus élevé de 4,6 points que ceux de l’ensemble de leur population, soit de près de 50 % (14,4 % par rapport à 9,8 %), tandis que celui des immigrantes récentes l’était de 9,1 points, soit de plus de 80 % (20,0 % par rapport à 10,9 %). Il est remarquable de constater que chez l’ensemble des personnes n’appartenant pas à une minorité visible, le taux de chômage des femmes est plus bas que celui des hommes par une bonne marge (4,5 % par rapport à 6,5 %), alors qu’il leur est beaucoup plus élevé chez les immigrant.es récent.es, que ces personnes appartiennent ou pas à une minorité visible. Comme mentionné dans un billet précédent, ce phénomène peut être en partie dû au fait que les hommes immigrants sont beaucoup plus souvent les demandeurs principaux que les femmes immigrantes.
  • Les taux de chômage les plus élevés chez les immigrants récents s’observaient chez les Coréens (31,0 %, mais il ne s’agissait que de 45 chômeurs), les Asiatiques occidentaux (21,5 %, avec 380 chômeurs), les immigrants récents appartenant à des minorités visibles multiples (19,4 %, avec 90 chômeurs), les Arabes (17,3 %, avec 1825 chômeurs) et les Noirs (14,1 %, avec 1850 chômeurs). Notons que le taux de 0,0 % des Japonais n’est pas significatif, ne s’appliquant qu’à une population active de 40 personnes.
  • Chez les immigrantes récentes, les taux les plus élevés étaient ceux des Arabes (29,6 %, avec 1930 chômeuses), des Asiatiques occidentales (25,7 %, avec 390 chômeuses) et des Sud-Asiatiques (22,6 %, avec 305 chômeuses). Il n’était inférieur à 10 % que chez les Philippines (8,3 %), encore une fois parce qu’une forte proportion de ces immigrantes arrivent au Québec avec un emploi dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR).

– Écarts

Seulement huit des 56 cellules indiquant les écarts entre les taux canadiens et québécois (14 %) montrent un avantage aux populations du Québec, proportion plus faible que dans les deux tableaux précédents. On voit ainsi que l’intégration au marché du travail des personnes appartenant à une minorité visible est encore plus difficile chez les immigrant.es récent.es.

Et alors…

Il était peut-être ambitieux de ma part de vouloir présenter les taux d’emploi et de chômage des personnes appartenant à une minorité visible en les comparant à la fois avec leur situation dans l’ensemble du Canada, avec celles des personnes n’y appartenant pas, et en plus avec la situation des personnes qui sont titulaires d’un diplôme universitaire et de celles qui sont des immigrant.es récent.es. Ça fait beaucoup de chiffres à suivre (surtout durant une semaine de canicule…)! Par contre, cela permet de vraiment faire ressortir leurs particularités et elles sont nombreuses, on l’a vu.

Ce billet boucle vraiment la boucle de ma série de billets sur la situation sur le marché du travail des personnes appartenant à une minorité visible, alors qu’il aurait dû la débuter (ce que j’aurais fait si j’avais pris connaissance du fichier que j’ai utilisé ici avant celui que j’ai utilisé pour les précédents billets). Avoir eu cet aperçu de base en partant, j’aurais pu dans les autres billets de cette série relativiser les données que j’y ai commentées. Mais, bon, aussi bien le présenter à la fin que pas du tout!

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