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La misère des niches

9 juillet 2018

Avec son livre La misère des niches – Musique et numérique, alerte sur les enjeux d’une mutation, Alain Brunet, chroniqueur de musique à La Presse depuis 35 ans, nous alerte «sur la détérioration dramatique des conditions imposées aux musiciens à l’aube de l’ère numérique».

Introduction : L’auteur présente les principaux sujets qu’il abordera dans ce livre, notamment le paradoxe «entre l’abondance pour le consommateur et ses choix de plus en plus restreints».

1. Misère de la grande mutation : L’auteur fait le tour des conséquences sur les industries culturelles et de l’information de l’apparition d’Internet et de l’amélioration constante des ordinateurs et de la vitesse des connexions, insistant surtout sur le rôle des médias sociaux, du mashup, du piratage et de la mutation des droits d’auteur. Résultat? La culture est de plus en plus accessible, mais la «condition des auteurs, compositeurs, chanteurs et musiciens n’a cessé d’empirer», condition empirée par la «baisse du financement public à la culture», moins rentable politiquement que par le passé.

2. Misère de la Longue Traîne : La théorie de la «Longue Traîne» avance que, depuis l’avènement d’Internet, l’ensemble des micromarchés musicaux (ou marchés de niches) est beaucoup plus important que le marché dominant (ou «mainstream»). L’auteur montre que cela est de fait le cas, mais que, étonnamment, ce même mouvement a fait en sorte que le marché dominant est encore plus concentré qu’avant (et encore plus uniforme), la minorité qui «réussit» comptant moins d’artistes qui gagnent des revenus encore plus élevés qu’avant.

3. Misère de la « disruption » : Ce chapitre porte sur les innovations de rupture (l’auteur parle de «disruption» et de «disruptive innovations»), soit des innovations qui éliminent les anciennes technologies en les remplaçant par d’autres.

4. Misère des victimes de la mondialisation : Dans le domaine de l’information et de la culture, les géants actuels (Apple, Google, Youtube, Facebook, Amazon, Netflix, etc.) ont tous tassé les géants antérieurs (et même des entreprises moins grosses) au moyen d’innovations de rupture. Comme on le voit, dans ce domaine (comme AirBnB et Uber le font dans d’autres domaines), ces innovations ont favorisé la concentration, souvent au profit d’entreprises étrangères. Et les ventes de ces entreprises sont difficiles à taxer et leurs profits à imposer (surtout quand les gouvernements ne cherchent pas à le faire…). Il aborde finalement la question de la neutralité du net.

5. Misère de l’ère post-factuelle : Comme son titre l’indique, ce chapitre porte sur les fausses informations qui circulent sur les médias sociaux. L’auteur a raison, mais j’aurais aimé qu’il fasse preuve d’autocritique et reconnaisse que les médias traditionnels ne sont pas irréprochables à ce sujet, que ce soit en raison de leur manque de rigueur ou des exigences de publier toujours plus vite, et qu’il arrive que d’humbles blogueurs les corrigent (je pourrais mettre plein de liens à cet effet, mais me contenterai de celui-ci). Mais, il ne doit pas le savoir…

6. Misère du modèle d’affaires : L’auteur montre à quel point les revenus des ventes des supports traditionnels de musique ont chuté et que les revenus des nouveaux supports n’ont pas du tout compensé ces pertes. Mais, évidemment, les plus grands perdants sont les «auteurs, compositeurs, chanteurs et musiciens». L’auteur présente ensuite les activités, les revenus et la capitalisation des GAFAM ( Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), de leurs filiales et de quelques autres géants du Web dans le domaine culturel.

7. Misère de la rémunération : L’auteur analyse plus à fond les éléments clés de la rémunération des «auteurs, compositeurs, chanteurs et musiciens», dont les changements qu’il faudrait apporter aux règles de propriété intellectuelle, la popularité de l’écoute en continu qui n’apporte que des pinottes à la grande majorité des artistes et le système de redevances au Canada qui n’apporte de bons revenus qu’à une minorité d’artistes.

8. Misère de la production indépendante : Pour présenter la situation des producteurs indépendants, l’auteur décrit la situation d’Analekta, maison de disques spécialisée dans la musique classique, et d’Effendi, «label jazz indépendant».

9. Misère de la consommation : L’auteur avance que les consommateur.trices ne bénéficient pas vraiment de la baisse du prix de la musique, car ils dépensent plus pour leur accès Internet et leurs téléphones interactifs. Ce serait donc les géants du Web qui y gagneraient au détriment des «auteurs, compositeurs, chanteurs et musiciens». S’il y a une partie de vérité dans cette analyse, je doute de mon côté que les consommateur.trices ne se paieraient pas d’accès Internet et de téléphones s’ils ne pouvaient pas en plus s’y procurer de la musique en continu. Dans ce cas, le coût marginal de ces services et équipements pour la consommation de musique serait négligeable. Il est toutefois difficile d’imaginer un Internet sans musique et sans autres produits culturels.

10. Misère de l’éclectisme et de la qualité : L’auteur approfondit cette fois son analyse de la variété des styles de musique disponibles. Elle a grandement augmenté depuis les années 1980, mais la majorité des personnes se cantonnent dans quelques styles bien particuliers, avec une prédominance d’un nombre peu élevé de superstars, concentrées dans la musique pop qui a peu évolué depuis 50 ans. L’auteur aborde ensuite la critique musicale (son métier), les effets des algorithmes de référencement et l’usage des métadonnées.

11. Misère de la mobilisation : L’auteur revient sur la faible rémunération des artistes et avance des propositions pour corriger la situation. Il propose notamment deux grands axes d’intervention, soit «la pression politico-juridique et la créativité de l’auto-organisation économique». Et il conclut :

«Seule une mobilisation historique avec des revendications communes pourra faire bouger les gouvernements, modifier les traités internationaux sur la propriété intellectuelle, contraindre les nouveaux monopoles à un partage équitable de leurs profits hallucinants.»

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire, mais surtout si le sujet vous intéresse et si vous ne le connaissez pas déjà bien. L’auteur fait bien le tour de la question, si ce n’est sur les revenus provenant des produits dérivés. Ont-ils augmenté depuis la baisse des revenus provenant de la vente de disques ou de redevances? Pour le reste, le portrait est complet et le texte se lit bien. Je déplore toutefois la structure du livre qui ressemble à un regroupement de textes séparés (d’ailleurs, il précise dans cet article que ce livre vient notamment de billets sur le sujet qu’il a écrits dans son blogue), avec de nombreuses répétitions. Pire, les notes sont en fin de chapitres, ce qui est la pire façon de les placer. Heureusement, il s’agit essentiellement de références.

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