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Le bilan social du Conference Board

7 février 2013

bilan_conference_boardJe m’intéresse depuis longtemps aux indicateurs qui remplacent ou complètent le PIB pour évaluer l’avancement d’une société. Je ne citerai ici que trois de mes billets portant sur le sujet, soit ceux sur l’indice de développement humain, l’indice canadien du mieux-être et l’indice Vivre mieux.

Le Conference Board (CB) a publié au début de la semaine son Society Report Card du Canada (bilan social du Canada) qui regroupe 16 indicateurs. On en a parlé un peu dans les médias, mais pas assez à mon goût! Alors, je vais combler cette lacune.

Voici comment le CB décrit son objectif :

[traduction] Pour atteindre l’objectif que le Conference Board a fixé pour le Canada, soit d’offrir une haute et durable qualité de vie pour tous les Canadiens, il faut beaucoup plus que la réussite économique. Par «haute qualité de vie», nous parlons de communautés qui:

  • assurent la participation active des individus au sein de la société, y compris ses citoyens les plus vulnérables (tels que les jeunes et les personnes handicapées);
  • minimisent les inégalités entre les citoyens les plus pauvres et les plus riches;
  • ne vivent pas dans la crainte des troubles sociaux et de la violence.

Étonnant, n’est-ce pas, de la part de cet organisme! Le CB, pour souligner l’importance de regarder autre chose que la performance économique telle qu’estimée par le PIB pour évaluer la qualité de vie, donne comme exemple les États-Unis qui, comme on peut le voir dans l’image au haut de cette page, arrive au dernier rang des 17 pays analysées.

Pour établir son classement, le CB a compilé pour 17 pays (parfois 16, puisque les données ne sont pas toujours disponibles) les résultats de 16 indicateurs regroupés en 3 grands thèmes : l’autosuffisance, l’équité et la cohésion sociale.

L’autosuffisance

Pour évaluer l’autosuffisance, le CB a utilisé deux indicateurs :

– proportion de jeunes âgés de 20 à 24 ans qui ne sont ni aux études, ni en emploi

Pour devenir autosuffisant, il est important de participer aux activités sociales ou économiques. Cet indicateur est pertinent, car il est démontré (par exemple dans cette étude de Statistique Canada) que les jeunes qui ne travaillent pas ou ne sont pas aux études ont un risque beaucoup plus élevé que les autres de vivre un chômage chronique et de gagner de faibles revenus tout au long de leur vie active. Le Canada se classe dans la moyenne pour cet indicateur (neuvième sur 16 pays évalués, au niveau B). Les jeunes Canadiens se distinguent avec le taux le plus faible de jeunes dans des programmes de formation professionnelle, mais se classent mieux avec un taux de chômage moyen. Compte tenu de leur situation actuelle, on ne s’étonnera pas de trouver l’Irlande et l’Italie aux deux derniers rangs (vu l’absence de la Grèce et de l’Espagne dans les pays étudiés…).

– revenu des personnes handicapées en proportion du revenu des personnes non handicapées

Le CB a choisi cet indicateur pour faire ressortir l’importance que tous les citoyens puissent disposer d’un revenu permettant d’assurer leur autosuffisance. Le Canada se classe encore une fois dans la moyenne (huitième sur 16 pays évalués, au niveau A, car son résultat est proche des meneurs). Les États-Unis et les trois autres pays de langue anglaise (Irlande, Australie et Royaume-Uni) se classent aux quatre derniers rangs et sont les seuls à se voir accoler la pire note, soit un D.

Le Canada se démarque quand même fort positivement pour ce thème.

L’équité

Pour évaluer l’équité, le CB a cette fois utilisé six indicateurs, un pour examiner l’égalité des chances et cinq pour estimer l’égalité des revenus.

– l’égalité des chances, la mobilité intergénérationnelle du revenu

Cet indicateur mesure la possibilité pour un fils ou une fille d’avoir un revenu plus élevé que celui de ses parents. Il s’agit du meilleur indicateur pour évaluer l’égalité des chances. Le Canada se classe au quatrième rang pour cet indicateur et obtient un A avec trois pays scandinaves. Les États-Unis et le Royaume-Uni obtiennent ici aussi un D. En effet, on ne rappellera jamais assez que les États-Unis sont un des pays où le rêve américain de partir de rien pour gravir les échelons est le moins réel…

– l’égalité des revenus, le taux de pauvreté des aînés

Grâce à ses bons programmes sociaux pour les personnes âgés, programmes que les conservateurs veulent rendre moins généreux, le Canada obtient un A, au troisième rang sur 17 pays. Si les États-Unis s’en sortent avec un C, l’Australie récolte un autre D au dernier rang.

– l’égalité des revenus, la pauvreté des enfants

Malgré des promesses répétées d’améliorer le sort des enfants, le Canada arrive 15ème sur 17 pays et obtient un C, faisant un peu moins mal que les États-Unis, seul pays à se voir sanctionné avec un D.

– l’égalité des revenus, la pauvreté des personnes en âge de travailler

Encore une fois 15ème sur 17, le Canada n’échappe pas cette fois au D, tout comme le Japon et les États-Unis qui arrivent encore une fois au dernier rang. Il est à noter que le taux de pauvreté des enfants et des personnes en âge de travailler est fortement corrélé, car la plupart des enfants vivent avec des parents qui ont l’âge de travailler. Le plus mauvais résultat du Canada ici que pour la pauvreté des enfants montre probablement que le taux de pauvreté des personnes en âge de travailler qui vivent seules est encore pire que celui des familles avec enfants.

– l’égalité des revenus, les inégalités de revenus

Le Canada obtient ici un C, avec un coefficient de Gini parmi les plus élevés (12ème sur 17), les États-Unis arrivant derniers (un autre D), juste derrière la Grande-Bretagne.

– l’égalité des revenus, les écarts de revenus entre les sexes

Même s’il se targue d’être un pays qui assure les mêmes chances aux hommes et aux femmes, le Canada obtient un C (comme les États-Unis) et se classe au 11ème rang sur 17. Ici, c’est le Japon qui arrive dernier, avec un D.

On voit donc que le Canada se classe mal dans quatre des six indicateurs d’équité (trois C et un D). Et, si les inégalités continuent de croître et si les programmes sociaux pour les personnes âgées ne sont pas au moins maintenus, on peut craindre que les deux bons résultats du Canada ne le demeurent pas à moyen et long terme.

La cohésion sociale

Huit indicateurs permettent au CB d’évaluer la cohésion sociale, deux touchant à la participation à la société, trois aux attitudes face à sa vie et à sa communauté, et enfin trois aux échecs (breakdown) de la vie en communauté.

– participation à la société, participation aux élections

Une faible participation aux élections est un signal d’alarme indiquant que la population croit de moins en moins en la démocratie représentative ou s’en fout carrément. Le Canada n’obtient qu’un C en se classant 14ème sur 17 pays, les États-Unis obtenant un autre D pour son dernier rang.

– participation à la société, réseau d’appui social

Le Canada se classe ici au 5ème rang pour le pourcentage de la population qui considère avoir de la famille ou des amis sur qui elle peut compter pour l’aider en cas de besoin, et obtient un B. Les États-Unis se classent 15ème sur 17, ce qui ne les empêche pas de récolter un autre D, en compagnie du Japon et de l’Italie qui arrive bonne dernière.

– attitudes face à sa vie et sa communauté, confiance au parlement

Même si le Canada se retrouve avec un autre C, il se classe au 6ème rang sur 16 pays pour la proportion de personnes qui ont assez ou beaucoup confiance en leur parlement. Un autre dernier rang et un autre D pour les États-Unis…

– attitudes face à sa vie et sa communauté, niveau de satisfaction dans leur vie

Très bon résultat pour le Canada qui obtient un A avec son deuxième rang sur 17 pays. Les États-Unis arrivent onzième avec un B. Le CB précise que cet indicateur est assez subjectif et que l’appréciation peut changer selon les cultures, même si les recherches montrent que cet écart n’a qu’un effet limité.

– attitudes face à sa vie et sa communauté, acceptation des différences

Le Canada arrive premier sur 17 et récolte un A sur le pourcentage de sa population qui répond positivement sur le fait que sa communauté accepte les gens d’autres ethnies ou cultures. Les États-Unis obtiennent aussi un A avec leur sixième rang (ça m’étonne…). L’Italie et le Japon, pays avec peu d’immigration, occupent les deux derniers rangs.

– échecs de la vie en communauté, homicides

Le Canada obtient un A, même s’il arrive au 15ème rang sur les 17 pays. Il faut dire que le dernier rang des États-Unis, qui reçoivent un autre D avec un taux d’homicide presque trois fois plus élevé que l’avant-dernier (à ma grande surprise, la Finlande, qui s’en tire tout de même avec un B), doit faire décaler l’échelle utilisée pour l’octroi des cotes.

– échecs de la vie en communauté, cambriolages

Le Canada et les États-Unis obtiennent un B se classant respectivement au huitième et au neuvième rang sur 17. J’ai failli m’étouffer en voyant le Danemark au dernier rang avec un taux deux fois plus élevé de cambriolages que le pays qui arrive avant-dernier!

– échecs de la vie en communauté, suicides

Le Canada et les États-Unis obtiennent encore une fois un B ayant atteint respectivement le septième et le onzième rang. Sans surprise, le Japon arrive dernier.

Avec trois A, trois B et deux C, le Canada obtient de bons résultats pour ce thème, mais sans vraiment se démarquer.

Et alors…

Il est remarquable de constater que les quatre pays scandinaves évalués à cette étude raflent quatre des cinq premières positions, dont les trois premiers rangs. On voit bien qu’un modèle social-démocrate permet un meilleur niveau d’autosuffisance, d’équité et de cohésion sociale. À l’inverse, trois des cinq pays anglophones (si on compte le Canada) se classent parmi les cinq derniers, dont les États-Unis qui obtiennent clairement le dernier rang. On ne s’étonnera pas de constater que l’individualisme n’est vraiment pas la solution idéale pour vivre harmonieusement en société.

Même si je ne dispose pas des données précises pour le Québec, je suis certain qu’il se serait mieux classé que le Canada, qui termine tout de même dans la première moitié, au septième rang. D’une part, le Québec se démarque avantageusement de la moyenne canadienne dans tous les indicateurs d’équité ainsi que dans ceux sur l’autosuffisance. Pour la cohésion sociale, il obtiendrait sans aucun doute un meilleur résultat pour les homicides, mais un moins bon pour les suicides, même s’il s’est grandement amélioré à cet égard au cours des dernières années. D’autre part, on a vu qu’il se classait premier ou deuxième de l’OCDE (selon la pondération des indicateurs) dans l’indice Vivre mieux, qui regroupe de nombreux indicateurs identiques ou semblables à ceux utilisés par le Conference Board.

Ce genre d’indicateur gagnerait à recevoir plus d’attention. C’est bien beau le PIB et la richesse, mais pourquoi voulons-nous plus de richesse, sinon pour mieux vivre? N’est-on pas mieux d’évaluer à quel point nous atteignons cet objectif plutôt que de se limiter à ne regarder qu’un des moyens pour l’atteindre? N’est-ce pas ça, finalement, la vraie richesse?

9 commentaires leave one →
  1. 7 février 2013 6 h 13 min

    Très intéressant. Il est rare de retrouver tant d’indicateurs socio-économiques regroupés dans une même étude. L’analyse que tu en fais rend le tout fort digestible.

    Ginette

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  2. 7 février 2013 6 h 45 min

    @ Ginette Tremblay

    Bienvenue! En passant, tes prochains commentaires ne seront plus en modération, mais édités immédiatement.

    «L’analyse que tu en fais rend le tout fort digestible.»

    Merci! Je craignais d’ailleurs d’en favoir fait trop…

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  3. 7 février 2013 11 h 58 min

    Paradoxalement, ce qui explique pourquoi les organistes de droite comme l’IEDM cite les pays scandinaves et plus particulièrement la Suède comme modèle!!!!

    Si cela pourrait leurs servir, Marx devient un type qui prône le capitalisme!

    « Un con, ça ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait ! » – Audiard

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  4. 7 février 2013 18 h 49 min

    «ce qui explique pourquoi les organistes de droite comme l’IEDM cite les pays scandinaves et plus particulièrement la Suède comme modèle!!!!»

    L’IÉDM cite la Suède en raison d’un très léger virage à droite. Il pense ainsi mettre le modèle de gauche en contradiction. Ils taisent toutefois que plus de 50 % de l’économie est encore aux mains de l’État.

    Le cas du CB me semble très différent. C’est essentiellement un organisme de service qui est financé par des clients. Quelques fois par année, il diffuse des études progressistes. L’an passé, ce fut sur les inégalités (étude dont j’ai parlé dans ce billet, dès le premier paragraphe), cette année, c’est cette étude.

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  5. 8 février 2013 14 h 32 min

    Voilà qui est très intéressant: http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/national/archives/2013/02/20130208-043422.html

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  6. 8 février 2013 17 h 05 min

    « (à ma grande surprise, la Finlande, qui s’en tire tout de même avec un B) »
    « J’ai failli m’étouffer en voyant le Danemark au dernier rang avec un taux deux fois plus élevé de cambriolages que le pays qui arrive avant-dernier! »

    Darwin, savez-vous quelle est probablement votre plus grande qualité en tant que blogueur/analyste/auteur? Votre honnêteté intellectuelle! Bien que certains faits puissent vous paraître désagréables et/ou contraire à vos idéaux, vous en faite tout de même la mention au sein de vos billets!

    Vous ne savez à quel point j’aimerais tant que certains autres «thinktanks», blogueurs et chroniqueurs (pour ne pas les nommer…) en fassent autant. Bon, je vais m’arrêter ici ou bien je risque d’avoir l’air encore plus lèche-bottes.

    @Benton

    « Paradoxalement, ce qui explique pourquoi les organistes de droite comme l’IEDM cite les pays scandinaves et plus particulièrement la Suède comme modèle!!!! »

    Ouais et bien, en parlant du loup…

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  7. 8 février 2013 18 h 14 min

    @ pseudovirtuose

    «Bien que certains faits puissent vous paraître désagréables et/ou contraire à vos idéaux, vous en faite tout de même la mention au sein de vos billets!»

    J’ai toujours cru qu’il fallait tenir compte de tous les faits pour avoir une position solide. Je m’enrage autant (et même plus!) quand des gens de gauche triturent les faits pour faire valoir leurs points que quand des gens de droite le font. Je considère que les faits (et mes valeurs, bien sûr) justifient amplement mes positions sans en remettre. Et je ne veux pas faire ce que je reproche aux autres…

    «Votre honnêteté intellectuelle!»

    Et j’y tiens! Je considère aussi que cette façon de faire (se bâtir une bonne crédibilité) est bien plus convaincante que de ne présenter que ce qui fait notre affaire.

    @ David Gendron

    «Voilà qui est très intéressant:»

    En effet! En voilà (y compris et surtout les libéraux qui avaient connaissance de ce document) qui ne présentent que ce qui fait leur affaire!

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  8. Richard Langelier permalink
    9 février 2013 4 h 08 min

    @ Pseudovirtuose et Darwin

    Je crois, moi aussi, que pour mettre plus de justice dans la société, il est nécessaire de pratiquer la rigueur intellectuelle. La Raison politique (Régis Debray) ayant ses raisons que le cœur ne connaît pas, le refuge dans la contemplation m’est souvent apparu comme la seule solution possible. D’autre part, je suis incapable de rester les bras croisés devant l’injustice.

    Parfois, je crois que c’est la question nationale québécoise qui a relégué les autres questions politiques au second plan. Je n’ai sûrement pas été le seul souverainiste scandalisé lorsque Gilles Duceppe a appuyé l’utilisation de l’amiante pour conserver la circonscription de Richmond-Arthabaska, comme étape nécessaire pour obtenir la souveraineté.

    Les 4 semaines de vacances existent en France depuis 1936. Lorsque Québec solidaire et le Parti vert n’ont pas été acceptés au Débat des chefs, RDI en a présenté un. En commentaires, Liza Frulla demandait : « Qui paiera pour ces 4 semaines de vacances proposées par Québec solidaire? » Il y a de quoi fermer la télé et s’enfermer dans ses lectures!

    Le Parti Démocrate américain est incapable de faire consensus pour un régime d’assurance-maladie universel.

    J’ai supposé que le débat droite-gauche était simple dans les démocraties européennes. Le productivisme y a conduit à une zone de libre-échange. Faute d’entente sur l’Europe sociale, on s’est rabattu sur la monnaie unique. (Ce peut sembler pléonastique qu’un traité sur une monnaie unique fût monétariste, mais je n’y crois guère).

    Cette semaine, je ne renonce pas pour autant à l’action politique partisane. Je dois rédiger une proposition pour mon parti politique sur les exemptions de l’imposition des gains en capital. Pour une ferme, la loi actuelle exempte la première tranche de 750 000$, puisqu’il s’agit de l’oeuvre d’une vie. Sur Jeanne Émard, il y avait eu un débat épique entre Koval et Youlle. Je suis trop vieux pour fouiller dans les archives de Jeanne Émard, via un moteur de recherche. De mémoire, Koval nous expliquait qu’il était possible d’acheter du bœuf d’élevage et le revendre quelques années plus tard sans imposition, alors que ce n’était pas l’oeuvre d’une vie. Par charité chrétienne ou athée, Darwin, pourrais-tu retrouver cette explication de Koval? Ce peut sembler facétieux, mais je crois qu’un tel exemple peut indiquer la complexité de l’action : comment trouver un compromis pour que l’idéal de justice ne fasse pas en sorte que chaque ligne d’une Déclaration de revenus n’oblige pas tous les contribuables à embaucher un docteur en fiscalité?

    Pour me reposer de cette situation schismogénétique [1], j’écoute Gerry Boulet chantant ces paroles de Pierre Harel illustrant la difficulté d’être entre les hommes et les femmes de ma génération sur l’air de I’m a rocker de Chuck Berry.

    [1] Je n’utilise pas le terme selon la définition sur http://anastassiou.free.fr/glossaire.htm , je l’utilise en lien avec la situation du fils qui veut plaire à sa mère qui veut en faire un violoniste et à son père qui veut en faire un boxeur.

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  9. 9 février 2013 9 h 19 min

    «Darwin, pourrais-tu retrouver cette explication de Koval?»

    Je n’ai pas l’intention de tout relire ça! Mais, l’échange sur les fermes a commencé ici :

    Les cosmovores

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