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L’anecdote ou l’art de la généralisation hâtive

20 juillet 2013

anecdoteDarwin apprécie relever les «expressions qui lui tapent sur les nerfs» en consultant les récentes archives de plusieurs auteurs, éditorialistes, chroniqueurs et journalistes. Or, certains types spécifiques de discours fallacieux m’irritent davantage, tellement qu’ils m’amènent à débuter ma propre série sur la «rhétorique trompeuse de la semaine». Précédemment, j’ai publié un billet au sein duquel je dressais ma propre liste d’anecdotes afin d’élaborer, principalement à titre d’avant-propos, sur le sujet abordé lors des billets suivants. Néanmoins, j’ai aussi tenu à souligner le fait que l’exemple anecdotique seul ne pouvait être utilisé afin de dresser un portrait juste et complet de la réalité propre à de larges pans de la population.

La généralisation fautive

En statistique, il est commun de faire appel à la généralisation. Toutefois, celle-ci requiert un échantillonnage réalisé à partir de plusieurs cas observés et la confiance accordée aux résultats de la généralisation est justement directement liée à la taille (nombre de cas observés) de l’échantillon et à son caractère probabiliste. Le problème avec les généralisations se basant sur l’anecdote est qu’il n’y a aucune manière de s’assurer que la situation rapportée est de nature isolée et marginale ou découle d’un phénomène affectant véritablement une partie de la population concernée. Le nombre d’observations composant l’échantillon, se limitant habituellement à un seul récit anecdotique rapportée par une seule personne (rendant en plus la chose difficile à corroborer), est à ce point considérablement peu élevé que le propos rapporté s’avère négligeable tout en devenant plus souvent qu’autrement la base de préjugés ou de mythes.

Malheureusement, sous prétexte qu’on peut «faire dire n’importe quoi aux chiffres», certaines personnes tendent à rejeter les statistiques au profit de leurs expériences personnelles afin d’effectuer leurs propres généralisations.

«Je suis un informaticien au chômage, donc le chômage explose dans le secteur informatique, donc le gouvernement doit subventionner les multinationales!»

Dans sa chronique de jeudi dernier, Francis Vailles semble s’appuyer principalement sur des anecdotes rapportées par ses lecteurs afin de tenter d’offrir un croquis de faits généraux propres à l’industrie informatique au Québec :

«Un informaticien qui a perdu son emploi au détriment d’un employé de l’Inde fait valoir qu’on n’a pas le choix [de subventionner les multinationales en informatique]. En 2009, par exemple, IBM a transféré de Montréal vers l’Inde une bonne partie des services offerts à une institution financière du Québec.»

L’exemple offert n’est certes pas complètement impertinent mais il est impossible de savoir si les transferts de services chez IBM ont véritablement entraîné un déclin au sein de l’ensemble du secteur informatique québécois. Aucune donnée formelle n’est présente dans l’article afin de corroborer cet évènement apparemment limité à «une bonne partie des services» procurés par IBM. Cependant, cela n’empêche pas l’informaticien de non seulement conclure à un déclin généralisé mais en plus, il en arrive déjà aux déductions normatives : on n’a pas le choix de subventionner!

Un peu plus loin, M. Vailles nous divulgue un autre récit anecdotique :

«Un consultant d’expérience fait valoir que, partout, les industries sont subventionnées. «Je suis allé au Brésil, en Inde dans la région où se développent les grands centres de support informatique, au Maroc où des centres d’appels sont transférés. Ces États fournissent tous des aides de diverses façons: locaux, congé de taxes, subventions à l’embauche», dit-il.»

Encore une fois, on préfère l’expérience personnelle d’un individu plutôt que des données formelles se basant sur plusieurs observations (et plus d’un observateur!). Sans compter que l’auteur affirme que «partout, les industries sont subventionnées» alors que seuls trois pays sont donnés en exemple; quel échantillonnage épuisant! On étend à partout («partout» censé inclure tous les pays) les méthodes propres à trois États… Notons que ce qu’il dit est peut-être vrai, mais que ce n’est sûrement pas son affirmation sans précision qui peut nous convaincre que ça l’est!

Et alors…

Je ne cherche pas à blâmer tous ceux qui parviendront à formuler une partie de leur raisonnement en utilisant des anecdotes, je l’ai moi-même déjà fait. Ce que je reproche à certains, c’est cette tendance à généraliser pour arriver à des conclusions hautement normatives («il faut subventionner, on n’a pas le choix!») avec pour seul véritable base argumentaire un tissu d’histoires dont rien ne permet de croire qu’elles puissent être autres choses que de simples constats isolés. L’exemple factuel peut paraître plus convaincant tout en offrant une vision concrète de certaines réalités mais ne peut à lui seul dresser un juste portrait d’une situation générale.

Si j’appliquais cette méthode à mon propos, je pourrais conclure que tout le monde généralise, mais ce n’est pas mon genre!

One Comment leave one →
  1. 20 juillet 2013 12 h 17 min

    Il y a tellement d’exemples de ce type de généralisations que plein de faussetés circulent avec le statut de vérité incontournable. Un exemple est ce qu’on appelle les chômeurs instruits.

    Il est inutile de montrer que, selon le tableau cansim 282-0004 le taux de chômage passait en 2012 au Québec de 17,8 % pour les personnes sans diplôme à 7,8 % pour les diplômés d’un DES, à 6,4 % pour les titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires non universitaire, à 5,4 % pour les bacheliers et à 4,7 % pour les diplômés de plus d’un bacc (maîtrise, DESS et doctorats). Il en est de même du taux d’emploi qui augmente avec le niveau de scolarisation. Mais, non, cela ne passe pas. On préfère les anecdotes des chômeurs instruits, que les employeurs préfèrent embaucher des personnes moins scolarisées et j’en passe..

    Attention, cela existe, des chômeurs instruits. Ils sont juste proportionnellement moins nombreux que les chômeurs moins instruits! Et, il existe aussi des employeurs qui ne veulent pas embaucher des personnes «trop» instruites, mais il y en a encore plus qui préfèrent les embaucher tant en raison de leurs compétences que de leurs possibilités de servir de relève pour d’autres emplois qui exigent plus de scolarisation.

    Mais, bon, tout le monde connaît des chômeurs instruits, alors, ils doivent être très nombreux!

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