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Légendes pédagogiques

24 mars 2014

légendesL’éducation est un domaine sur lequel tout le monde a une opinion et où on ne se gêne pas pour la donner même si on n’a aucune compétence en la matière. Je me souviens encore lorsque je siégeais dans un conseil d’établissement que certains parents tentaient de donner des trucs aux enseignants, quand ils ne leur proposaient pas carrément de nouvelles méthodes d’enseignement (bon, ce n’était pas très fréquent, juste trop!). À une réunion d’un comité de parents, une théoricienne universitaire est même venue nous présenter sa méthode en nous demandant de convaincre les enseignants de l’adopter car, en l’appliquant en maternelle, elle permettrait une baisse du décrochage scolaire plus tard…

Je ne suis donc pas étonné que Normand Baillargeon ait pu rassembler 14 méthodes pédagogiques pour le moins douteuses (voir la table des matières) dans son livre Légendes pédagogiques – L’autodéfense intellectuelle en éducation.

Démarche

L’auteur a choisi son titre en comparant l’émergence de ces méthodes pédagogiques à celle des légendes urbaines. On ne sait pas toujours d’où elles proviennent, on les répète jusqu’à ce qu’elles deviennent coutumières et elles circulent abondamment, souvent dans des milieux dits alternatifs, ce qui leur donne un attrait supplémentaire par leur aura de progressisme. On est toutefois plus laxiste quand le temps vient de se demander (si on se le demande) si ces méthodes fonctionnent vraiment…

M. Baillargeon a décidé, lui, de les passer au crible. Pour cela, il a appliqué une méthode systémique :

  • il se demande en premier lieu en quoi consiste la légende, sa thèse et ses prétentions;
  • il cherche ensuite son origine, si elle vient d’une idée ou d’un auteur reconnu, si elle a fait l’objet d’une parution scientifique et si elle a été commentée par des pairs;
  • puis, il l’analyse notamment en cherchant si elle a fait l’objet de recherches scientifiques, si les résultats de ces recherches ont pu être reproduits et si ses conclusions sont compatibles avec des concepts admis en science de l’éducation;
  • il conclut sur l’opportunité d’utiliser ou pas la méthode étudiée.

Selon la légende, il est possible qu’il ne soit pas en mesure d’appliquer cette méthode à la lettre, mais elle demeure à la base de ses analyses.

Je vais maintenant présenter trois de ces légendes, que j’ai choisies en raison de mes intérêts personnels…

Faire découvrir

Cette légende est selon moi la plus crédible et j’avoue y avoir déjà succombé partiellement, n’en connaissant pas tous les aboutissants. L’auteur regroupe ici diverses versions de la méthode (dont la pédagogie de la découverte, celle qui m’avait attiré…) qui repose sur l’affirmation qu’on apprend et retient mieux une idée qu’on a découverte par nous-même. Cette affirmation a toutes les allures du gros bon sens : raison de plus de s’en méfier!

En fait, l’auteur ne nie nullement cette affirmation, mais montre que son application nuit plus souvent qu’autrement. Cela n’empêche pas d’insérer dans l’enseignement, ce qui s’est toujours fait, des approches pour que l’élève «découvre» (en fait grâce aux directives et à l’accompagnement de l’enseignant) la notion que veut lui faire apprendre, mais la généralisation de cette méthode peut être désastreuse.

Les recherches montrent en effet que les méthodes centrées sur les élèves sont beaucoup moins efficaces que celles qui reposent sur les directives de l’enseignant. Je résume ici grossièrement les propos de l’auteur qui explique avec de nombreux faits et nuances cette analyse. Bref, oui, on peut laisser place «au plaisir de la découverte en éducation», mais on doit utiliser avec parcimonie «les méthodes centrées uniquement sur celle-ci».

Nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau

Je devais être encore adolescent la première fois que j’ai entendu cette légende. On prétendait aussi que le 90 % non utilisé de notre cerveau expliquerait des phénomènes paranormaux comme la télépathie, rendue possible par l’apprentissage de cette part non utilisée. Y ai-je cru? Oui, un peu… j’avoue!

L’origine de cette légende est inconnue (l’auteur présente tout de même quelques hypothèses), mais elle est très répandue : plus des deux tiers de la population des États-Unis y croient. Pire près de la moitié des enseignants du Royaume-Uni et des Pays-Bas en font autant!

Cette légende ne demande pas une grande analyse. En effet, grâce à la technologie moderne, on sait que toutes les régions du cerveaux sont utilisées. En outre, quelque soit la partie endommagée, la victime ressentira cette perte d’une façon ou d’une autre (intellectuelle, locomotrice, langagière, etc.). L’auteur cite John Geake, un neuroscientifique, qui a déjà dit que si vous n’utilisiez que 10 % de votre cerveau, vous seriez : «dans un état végétatif si proche de la mort que vous devriez souhaiter (mais ne le pourriez pas) que vos proches débranchent la machine qui vous maintient en vie».

Brain Gym

Cette légende m’a intéressé, car je vois fréquemment des publicités sur cette «méthode» au début de vidéos sur Youtube. Leur seule qualité est qu’on peut les interrompre après cinq secondes! Mais, comme je ne les ai jamais écoutées plus des cinq secondes en question, je n’ai jamais su en quoi elles consistaient. J’imaginais qu’il s’agissait de faire des exercices du genre résoudre des énigmes, jouer aux échecs ou faire des mots croisés. Pas du tout! Ça demande bien trop d’effort! La gymnastique du cerveau consiste en la répétition de gestes rituels sur le corps pour sensément activer certains réseaux qui permettraient un meilleur fonctionnement du cerveau… La page Internet de Brain Gym affirme d’ailleurs que «Ces exercices sont rapides à exécuter, amusants et nous remplissent d’énergie».

L’auteur donne des exemples de ces exercices dans un de ses billets (dont je vous conseille la lecture…) :

«Formez un ‘C’ avec le pouce et l’index de votre main droite. Appliquez ces deux doigts de chaque côté de votre sternum, exercez une petite pression et déplacez-les de haut en bas, tout en posant la paume de votre main gauche sur votre nombril. Voilà! Vous venez d’exécuter un des 26 exercices du programme Brain Gym. D’autres consistent à ramper, à dessiner, à tracer des symboles dans les airs, mais aussi …. à bailler et à boire de l’eau. Les promesses de ces mouvements sont inversement proportionnelles à la facilité de leur exécution.»

On pourrait bien sûr rejeter du revers de la main ce genre d’idiotie, mais l’auteur, fidèle à sa méthode, la démolit rationnellement et systématiquement. Il précise en plus qu’il est vrai que c’est bon de boire beaucoup d’eau et de faire de l’exercice, mais qu’on n’a pas besoin de se faire emplir de sornettes pour apprendre ça!

Et alors…

Alors, lire ou ne pas lire? Lire! J’ai adoré ce petit livre pour une foule de raisons. D’une part, il est très bien structuré (une des principales qualités que j’attribue aux essais) et agréable à lire. En plus, les explications de l’auteur nous initient aux résultats de nombreuses recherches en éducation.

Par exemple, une des explications de l’auteur qui revient le plus souvent pour déconstruire les légendes présentées dans son livre concerne le fonctionnement du cerveau, notamment de la mémoire de travail. Cette mémoire ne pourrait traiter que sept éléments à la fois, plus ou moins deux selon les personnes et les circonstances (voir cet autre billet de Normand Baillargeon pour plus de précisions et sur la façon d’apprendre et de fonctionner efficacement malgré cette caractéristique). Il est donc clair que les méthodes pédagogiques qui reposent sur une utilisation trop grande de la mémoire de travail auront moins de succès. Et c’est le cas dans la plupart des légendes qui ne sont pas carrément à rejeter en raison de leur caractère erroné manifeste (comme les deux dernières que j’ai présentées).

Bref, tant pour l’apprentissage que pour le plaisir de la lecture (j’allais écrire de la découverte…), n’hésitez pas à lire ce livre!

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8 commentaires leave one →
  1. 24 mars 2014 23 h 13 min

    J’ai récemment écouté l’émission « Les stupéfiants » (Mythbusters) où on teste justement le mythe qu’on utilise 10% de notre cerveau.

    Selon les tests, l’on utilisait jusqu’à 35% de notre cerveau…. pour une activité dédiée a une seule tâche. (Le type était couché dans un IRM, sans possibilité de bouger)

    Ajoutant un corps en mouvement, dans un environnement ouvert,etc… et le pourcentage devrait être plus élevé.

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  2. 24 mars 2014 23 h 20 min

    J’ai lu dans l’Actualité voilà plusieurs années que peu importe la méthode il y a toujours le même 60% des élèves qui vont s’adapter et réussir. Pour le 40% restant, se sera profitable pour la moitié et néfaste pour l’autre moitié…. dépendamment de la méthode!

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  3. 25 mars 2014 5 h 25 min

    «Ajoutant un corps en mouvement, dans un environnement ouvert,et»

    Pas nécessairement, mais ce ne serait pas nécessairement le même 35 % qui serait utilisé. Ça dépend aussi du type d’activité.

    «il y a toujours le même 60% des élèves qui vont s’adapter et réussir»

    Ça, j’aimerais avoir l’avis de M. Baillargeon sur le sujet… Ça me semble un peu trop déterministe. Mais, bon, je ne connais pas suffisamment le sujet pour approuver ou démentir.

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  4. Benton permalink
    25 mars 2014 14 h 42 min

    En faite, le 35% était la somme des divers zones du cerveau. (Gauche, droite, frontale, etc…, de mémoire, 7 zones au total)

    Les tests étaient fait dans un environnement très restreint où seul un doigt bougeait pour répondre au test. On avait d’ailleurs demandé à la personne de ne rien faire et ne rien penser et le cerveau fonctionnait à…. 15%! (J’imagine qu’il faut bien maintenir les fonctions vitaux!)

    Pour le poucentage de 60%, je ne serais dire s’il est exacte ou non, mais j’aime a croire que la majorité des enfants s’adaptent bien.. à bien des situations! (C’est sûr que si la situation est extrême…)

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  5. 25 mars 2014 16 h 51 min

    «On avait d’ailleurs demandé à la personne de ne rien faire et ne rien penser et le cerveau fonctionnait à…. 15%»

    Ça correspond bien au contenu de la citation de John Geake dans mon billet…

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  6. 26 mars 2014 15 h 53 min

     »Cette mémoire ne pourrait traiter que sept éléments à la fois, plus ou moins deux selon les personnes et les circonstances » Je trouve curieuse cette affirmation : Sept éléments à la fois? Comment définit-on un élément? Il me semble que notre conscience ou nos capacités intellectuelles utilisent plutôt une arborescence d’éléments, chacun ayant un degré de conscience plus ou moins élevé dépendamment de leur importance. Si chaque élément se décompose en sous-éléments plus inconscients, et chacun se décomposant en éléments encore plus inconscients, etc. Comment arrive-t-on au chiffre sept plus ou moins deux?

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  7. 26 mars 2014 16 h 49 min

    Dans le livre, Normand Baillargeon explique plus à fond cette notion. On parle uniquement ici de la mémoire de travail. Si on s’est habitué à travailler avec plusieurs éléments, un ensemble d’éléments peut ne compter que pour un seul élément des sept. Par exemple. un joueur d’échec chevronné pourra retenir la position de toutes les pièces sur un échiquier (et même sur plusieurs!), car, pour lui, il s’agit d’un seul ensemble, tandis que quelqu’un qui n’a jamais joué aux échecs et n’a jamais vu ce jeu ne pourrait replacer que 7 pièces (plus ou moins deux).

    Il est certain qu’il est mieux de lire le livre pour bien comprendre cette notion…

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