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Dépenses scientifiques et technologiques de l’administration fédérale

2 juillet 2014

dépenses_sc-techJ’ai déjà mentionné à quel point la diffusion gratuite des tableaux cansim de Statistique Canada permet d’accéder à des données fiables sur toutes sortes de sujets. Dans ce billet, je présenterai, comme son titre l’indique, des données sur l’évolution des dépenses scientifiques et technologiques de l’administration fédérale. On sait à quel point le gouvernement fédéral actuel se fie peu et se méfie même des données scientifiques et des analyses de son personnel scientifique. Ce billet permettra de quantifier à quel point et dans quels domaines ce mépris des données scientifiques se manifeste.

Les dépenses

Les données sur les dépenses scientifiques et technologiques de l’administration fédérale offerts par Statistique Canada (voir les 14 fichiers mentionnés dans son communiqué récent sur leur mise à jour) sont présentées en dollars courants et en dollars constants (mais avec une année de moins). Cela dit, ils ne tiennent pas compte de l’accroissement de la population et du PIB. Je trouve donc plus pertinent de présenter ces données en proportion du PIB. Le graphique qui suit a donc été construit à l’aide des tableaux cansim 358-0143 pour les dépenses et 380-0064 pour le PIB en dollars courants.

dépenses_sc-tech1

Ce graphique nous permet de constater que la proportion des dépenses scientifiques et technologiques de l’administration fédérale en fonction du PIB a varié entre 0,52 % et 0,73 % du PIB au cours de la période illustrée, soit de 1998-1999 à 2014-2015 (les données pour cette dernière année correspondent aux «intentions» de dépenses). Elle a connu un bond au tournant du siècle, puis une baisse graduelle suivie par un autre bond en 2009-2010 pour atteindre son sommet, avant de diminuer de 29 % entre cette année et 2014-2015. On se rappellera que le gouvernement majoritaire conservateur est justement arrivé au pouvoir au début de l’année financière suivante (2 mai 2011)…

Les nombreux fichiers offerts permettent de chercher à savoir si cette baisse fut plus ou moins accentuée selon le type de dépenses. En fait, la baisse fut très semblable selon bien des caractéristiques. Elle fut, à ma surprise, presque aussi forte pour les dépenses externes (28 %) que du côté des dépenses internes (31 %), des dépenses en sciences sociales et humaines (31 %) ou de celles en sciences naturelles et génie (29 %).

Il y a bien sûr eu des différences entre les ministères, mais moins que je ne l’aurais cru. Par exemple, la proportion de ces dépenses par rapport au PIB a diminué à un taux semblable à la moyenne (29 %) dans le domaine de l’environnement (30 %). Les plus gros écarts avec cette moyenne furent observés dans les ministères et organismes suivants :

  • hausse de 8 % à l’Agence spatiale canadienne, seul domaine ayant connu une hausse;
  • baisse de seulement 5 % à la Fondation canadienne pour l’innovation;
  • baisse de plus de 70 % à Industrie Canada (ce serait intéressant de fouiller davantage cette baisse étonnante);
  • baisse de 44 % à Santé Canada;
  • baisse de 42 % à Ressources naturelles Canada (encore là, ce serait intéressant de savoir ce qui a été abaissé);
  • baisse de 36 % à Statistique Canada (baisse qui m’étonne moins, mais que j’aurais pensée encore plus forte par rapport à la moyenne).

Le personnel

Comme il n’est pas évident de présenter l’évolution du personnel scientifique en fonction du PIB ou de la population (quoique, j’aurais pu…), je devrai me contenter de montrer les données brutes, qui diminueront forcément moins que la proportion des dépenses sur le PIB entre 2009-2010 et 2014-2015. Le graphique qui suit, tiré du tableau cansim 358-0147, illustre l’évolution de l’emploi dans trois catégories de personnel disponibles de 1993-1994 à 2014-2015.

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Si le personnel de l’administration fédérale affecté aux sciences et à la technologie a globalement diminué de 10 % entre 2009-2010 et 2014-2015 (après avoir augmenté de 32 % entre 1998-1999 et 2009-2010, période où la recherche et la science semblaient plus importantes), le graphique montre que le nombre d’emplois a évolué de façon très différente selon la catégorie de personnel. Tout d’abord, le nombre de techniciens (ligne bleue) n’a augmenté que légèrement entre 1993-1994 et 2009-2010 (moins de 1 % par année), avant de diminuer de 21 % en cinq ans pour se retrouver en 2014-2015 à un niveau 11 % plus bas qu’en 1993-1994! Puis, l’«autre personnel», formé sûrement en bonne partie du personnel administratif (ligne jaune), n’a jamais connu autre chose que des baisses d’emploi, d’environ 1 % par année entre 1993-1994 et 2009-2010, mais beaucoup plus fortes récemment, soit de 26 % en cinq ans. Le personnel scientifique et professionnel (ligne rouge), de son côté, qui, mis à part une légère baisse au milieu des années 1990, n’avait connu que des hausses entre 1993-1994 et 2009-2010 (de 2,4 % par année en moyenne), a aussi augmenté en 2010-2011 (de 14 %!) et en 2011-2012 (de moins de 1 %) avant de subir une baisse de tout de même 7 % entre 2011-2012 et 2014-2015. Le fait que le nombre de scientifiques et professionnels ait davantage tardé avant de diminuer par rapport aux autres catégories de personnel peut à première vue laisser penser que les conséquences des fortes baisses de dépenses au cours de cette période pourraient être amoindries, mais, cette baisse demeure très significative, surtout en regard des hausses précédentes qui illustraient bien l’importance croissante de leurs fonctions dans une société moderne.

On ne s’étonnera pas que les ministères et organismes les plus touchés par ces diminutions de personnel soient les mêmes que celles qui ont le plus subi les baisses de dépenses. Je soulignerai tout de même que la baisse la plus forte au cours des cinq dernières années, baisse de 24 %, a touché Statistique Canada. Voilà qui augure mal pour la disponibilité de données fiables à l’avenir…

Et alors…

Je dois avouer que, sur le coup, j’ai été surpris de constater que les diminutions de dépenses et de personnel des dernières années ne soient pas davantage concentrés dans des secteurs comme l’environnement ou les sciences sociales. Par contre, quand on sait que l’idéologie du gouvernement actuel le porte à diminuer les dépenses un peu partout, la baisse étant davantage l’objectif que ce qui est abaissé, il est moins étonnant de constater ce résultat. Par principe, l’État doit rapetisser, peu importe ses fonctions. Et, ne tentons même pas de soulever le fait qu’il est illogique, incohérent et contradictoire de prétendre que l’avenir de l’économie repose sur la hausse de la productivité et sur l’innovation tout en diminuant fortement les dépenses gouvernementales en recherche. L’idéologie n’a cure de la logique…

Maintenant que ce premier objectif est atteint, les prochaines compressions seront-elles du même type, bref aveugles et généralisées? Rien n’est moins sûr. Il ne serait pas étonnant que ce gouvernement choisisse davantage ses victimes à l’avenir, et pas pour le mieux. Si on lui en donne l’occasion…

6 commentaires leave one →
  1. Boileau permalink
    2 juillet 2014 7 h 42 min

    Fort éclairant. Quelques surprises en effet. Mais avec le gouvernement Harper, on a souvent de grandes surprises … Merci de le rappeler.

    Aimé par 1 personne

  2. Benton permalink
    2 juillet 2014 10 h 24 min

    En fournissant autant d’informations aux public, Statistique Canada risque d’être sous enquête!

    http://www.lapresse.ca/actualites/national/201407/01/01-4780331-ottawa-veut-debusquer-les-lanceurs-dalerte.php

    Aimé par 3 personnes

  3. 7 juillet 2014 8 h 09 min

    Une bonne chronique de Fabien Deglise sur les conséquences des compressions à Statistique Canada :

    «Pour ne pas avoir de réponses, il est préférable de ne pas poser de questions. Depuis quelques mois, la formule s’impose d’elle-même chaque fois que l’on se promène sur le site de Statistique Canada à la recherche de données permettant de quantifier le présent.»

    Et aussi, pour conclure, il parle des données que j’ai présentées dans ce billet :

    «Ce sont d’ailleurs ces données qui, début juin, ont permis de constater que le fédéral prévoit réduire de 5,4 % ses dépenses en science et technologie pour 2014-2015, indiquait justement, avec une ironie de circonstance, Statistique Canada. Trois quarts de cette enveloppe, soit 7,9 milliards, vont être affectés aux sciences naturelles et au génie, alors que le reste (2,4 milliards) va nourrir les sciences sociales et humaines, et surtout l’état de malnutrition évident d’un pan de la connaissance qui, à la longue, pourrait bien finir par ne plus être en mesure de documenter sa propre agonie. Triste paradoxe.»

    http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/412765/chroniquefd-l-obscurite

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