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Le Fonds des générations et le remboursement de la dette

14 mars 2018

J’écoutais RDI ce matin quand messieurs Couillard et Leitao ont annoncé leur intention d’utiliser 10 milliards $ du Fonds des générations sur cinq ans pour rembourser des emprunts qui financent la dette du Québec. On ne peut pas dire que les conséquences de cette décision étaient limpides! Je me suis alors dit que ce serait intéressant d’aller un peu plus loin. Je ne reprendrai pas ici le contenu des billets que j’ai consacrés à cette question (en juillet 2016 et en décembre 2017), mais me concentrerai plutôt sur le sens à donner à l’annonce de ce matin.

Pourquoi ne pas utiliser le Fonds à d’autres dépenses?

Quand des journalistes ont posé cette question, M. Leitao a répondu que, pour utiliser le Fonds à d’autres dépenses, il faudrait changer la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations qui l’a créé. Il n’a pas tort, mais, en fait, il faut savoir que, comme les sommes comptabilisées dans ce fonds sont soustraites de la dette, toute utilisation pour un autre objectif que de rembourser des emprunts ferait automatiquement augmenter la dette, de la même façon que la hausse des dépenses dans le budget régulier du gouvernement (payée par son fonds consolidé) créerait un déficit (ou ferait diminuer un surplus) et entraînerait une hausse de la dette (ou une diminution de sa baisse). Bref, payer des dépenses publiques avec le budget régulier du gouvernement ou avec le Fonds des générations, ça ne change rien à la dette. Mais, bon, ce n’est pas la partie la plus importante de cette manœuvre.

Pourquoi utiliser le Fonds pour rembourser des emprunts?

M. Leitao explique que le remboursement de 10 milliards $ d’emprunts sur cinq ans (à raison d’environ 2 milliards $ par année) a deux objectifs : se protéger contre l’instabilité des marchés financiers et faire diminuer les dépenses consacrées au service de la dette pour pouvoir ainsi dépenser davantage dans des services à la population. Si le premier objectif est assez facile à comprendre (il correspond même à une recommandation d’un mémoire récent de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec), la mécanique du deuxième est plus complexe.

Mécanique

Le graphique qui suit (tiré de la page G.15 de la mise à jour de novembre 2017 du Plan économique du Québec) montre l’évaluation faite en novembre dernier des sommes déposées annuellement au Fonds des générations au cours des dernières années et prévues au cours des prochaines.

La partie en noir des barres représente les dépôts et la partie en gris le rendement (ou les revenus de placements). La Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations oblige actuellement le gouvernement de déposer les sommes provenant de sources identifiées et d’y laisser les revenus de placement, et ce, en plus de devoir équilibrer son budget (je laisse tomber ici le rôle du Fonds de stabilisation pour simplifier). Cela veut dire que le gouvernement doit équilibrer ses revenus et dépenses, et en plus verser quelque deux milliards $ par année. Mais, en fait, c’est encore pire. En effet, en décidant de laisser 13 milliards $ dans le Fonds des générations plutôt que d’utiliser cette somme pour rembourser ses emprunts, le gouvernement augmente ses besoins financiers de 13 milliards $, doit donc emprunter 13 milliards $ de plus et payer des intérêts sur ces emprunts supplémentaires. Au taux d’intérêt payé cette année (2,8 % en 2017, selon l’affirmation du ministre à RDI économie ce soir), cela représente une augmentation d’environ 364 millions $ au service de la dette (2,8 % x 13 milliards $ = 364 millions $). Donc, en plus de devoir équilibrer le budget, de devoir faire un surplus d’environ 2 milliards $ pour compenser les dépôts au Fonds, le gouvernement doit en plus faire un autre surplus de 364 millions $ dans ses autres dépenses pour permettre au Fonds des générations d’amasser des rendements (de 7,3 % en 2016, selon la page G.16 du document mentionné au début du paragraphe précédent). Bon, 364 millions $, cela peut sembler peu sur un budget de plus de 100 milliards $, mais, comme les sommes accumulées dans le Fonds augmentent chaque année (elles atteindraient 22 milliards $ en 2021-2022, selon le tableau G.6 de la page G.13 du même document, soit dans quatre ans) et comme les taux d’intérêt augmenteront aussi, cette ponction deviendra de plus en plus élevée. En supposant des taux de 3,3 % comme semble l’avoir fait M. Leitao en parlant d’une économie de 1 milliard $ sur cinq ans, cette augmentation du service de la dette atteindrait 726 millions $ en 2021-2022, soit deux fois le montant actuel. Si les taux d’intérêt atteignaient leur niveau de 2007, soit 4,7 %, cette ponction dépasserait le milliard $ cette année-là et encore plus au cours des années suivantes!

En retirant 2 milliards $ par année du Fonds (ou plutôt en le faisant augmenter de 2 milliards $ de moins par année, car il continuera à augmenter de plusieurs centaines de millions $ par année, voir le graphique), M. Leitao n’a pas vraiment tort de dire qu’il diminue cette ponction d’un milliard $ sur cinq ans, mais il serait plus exact de dire qu’il l’empêche d’augmenter d’un milliard $ de plus! Avec une hausse des taux d’intérêt entre 3,3 % et 4,7 %, cette ponction atteindrait tout de même entre 500 et 700 millions $ dans cinq ans (en 2022-2023), pour un total sur cinq ans se situant entre 2 et 3 milliards $. Sans la décision d’aujourd’hui, ce total serait plus élevé d’un milliard $, soit entre 3 et 4 milliards $. Alors, oui, ce total baissera d’un milliard grâce à la décision d’aujourd’hui, mais il sera loin d’être nul! Pas sûr que la population sait cela…

Et alors…

J’ai précisé dans mes deux billets précédents sur le Fonds des générations que, mis à part une certaine réticence (en fait une réticence certaine) à la financiarisation de nos activités budgétaires, je n’ai pas vraiment d’objection fondamentale à la création du Fonds des générations. Ce n’est en fait pas pire que ce que la Norvège fait avec son fonds souverain. J’ajoutais toutefois que je m’élève avec véhémence contre l’instrumentalisation qu’on en fait au moyen de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations. J’écrivais que cette loi «instrumentalise ce fonds pour faire en sorte que les sommes qu’on y verse s’ajoutent à l’équilibre budgétaire et forcent ainsi le gouvernement à faire des surplus équivalents à ces versements». J’aurais en fait dû ajouter l’augmentation du service de la dette qu’elle entraîne et qui force les gouvernements à faire des surplus encore plus élevés que ce que j’en disais.

Au bout du compte, la décision de M. Leitao peut être considérée positivement, car elle fait diminuer la hausse des dépenses du service de la dette, mais en fait, cette stratégie rocambolesque que peu de gens peuvent comprendre n’est due qu’à une loi mal ficelée. Ce serait bien plus simple (et beaucoup plus équitable et logique) d’imputer au Fonds des générations les dépenses supplémentaires qu’il entraîne au service de la dette. De cette façon, le rendement laissé au Fonds serait son vrai bénéfice : la différence entre les revenus de placements qu’il permet et les dépenses du service de la dette qu’il entraîne. Mais, c’est peut-être au fond l’objectif qu’avait le gouvernement quand il a adopté cette loi, soit de forcer des surplus de plus en plus élevés et ainsi se voir «obligé» d’imposer des compressions aux services publics quand ces surplus sont trop difficiles à réaliser. Mais là, il s’est peut-être aperçu qu’il est allé trop loin et que cette ponction l’empêche de faire ses promesses à la veille des élections!

(Ce billet a une suite ici)

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