L’école du racisme
Avec son livre L’école du racisme – La construction de l’altérité à l’école québécoise (1830-1915), Catherine Larochelle, professeure au Département d’histoire de l’Université de Montréal, «postule que l’école au Québec, tant francophone qu’anglophone, a, dès ses débuts et pendant des décennies, enseigné et cautionné la domination coloniale et le racisme. Elle éclaire la façon dont les figures de l’Autre ont été construites par une variété de discours, selon différentes caractéristiques culturelles ou corporelles, et la façon dont elles ont occupé diverses fonctions dans la formation de l’identité collective de l’élève québécois, blanc et civilisé».
Introduction : L’autrice présente les objectifs de ce livre, qui est tiré de sa thèse de doctorat, les sujets qui y seront abordés, la méthode qu’elle a utilisée pour sa recherche, le choix de la période examinée (1830 à 1915), les sources consultées et un résumé très succinct du contenu des chapitres.
1. Les théories de l’altérité : L’autrice explique les différentes dimensions de l’altérité, tant philosophiques et éthiques que politiques et sociologiques, puis les applique à la représentation scolaire de l’Autre (surtout des Autochtones, mais pas seulement) qui était uniquement extérieure, loin des élèves auxquel.les on s’adressait, donc déshumanisante. Elle aborde aussi les concepts d’assimilation, d’homogénéisation et d’impérialisme culturel face au nous qui est considéré comme la norme; l’invisibilisation des femmes; la différence de vision entre celle des Autres occidentaux (Anglais.es, Allemand.es, etc.) et des autres Autres; la distinction entre l’altérité des corps (races, genres, etc.) et l’altérité culturelle (religion, civilisation, politique, etc.); l’histoire comme outil du nationalisme; les recherches universitaires antérieures sur la représentation de l’altérité dans les systèmes d’éducation, mais aussi dans la littérature jeunesse; et le rôle de l’enseignement de la géographie dans l’apprentissage de l’altérité.
2. Des sociétés autres – savoirs impérialistes et représentations orientalistes : Au XIXe siècle, le contenu français et anglais des cours de géographies se ressemble beaucoup quand ces cours parlent des «peuples étranges», c’est-à-dire d’origine autre qu’européenne. Et ce contenu ressemble aussi à celui des cours donnés dans tous les pays européens. Ce n’est qu’au XXe siècle que le contenu des cours au Québec commence à se distinguer avec des éléments patriotiques (qui ne sont pas les mêmes pour les anglophones et les francophones, quoique les deux célèbrent l’Empire britannique), tout en continuant à véhiculer la même vision de la supériorité de la culture occidentale et à partager de grandes parties communes. L’autrice aborde aussi :
- la mise en récit des conquêtes impérialistes (comme la «découverte» de l’Amérique et la mission civilisatrice des «explorateurs»);
- la dévalorisation des Autres;
- la hiérarchie entre les peuples et entre les religions;
- la supposée absence d’évolution chez les Autres;
- la rareté des mentions des femmes Autres, sinon assimilées à des esclaves;
- la généralisation des Autres, refusant leur individualité;
- l’orientalisme scolaire, l’Orient étant presque toujours «despotique et décadent», mais parfois «originel et sacré, intimement lié au christianisme»;
- bien d’autres aspects et exemples de la supériorité des Occidentaux sur tous les Autres.
3. Le corps-autre ou l’altérité inscrite dans la chaire : «Par la couleur de la peau, par les ornements ou les vêtements qui le recouvrent, le corps permet de percevoir et de nommer l’altérité». L’autrice examine dans ce chapitre l’utilisation de l’apparence corporelle dans l’enseignement pour reconnaître l’Autre simplement en le voyant et pour hiérarchiser les races avec une approche intimement liée avec le «projet politique colonial et génocidaire du Canada». Dans ce contexte, elle aborde :
- les images (photos, gravures, etc.) stéréotypées du corps des Autres visant à faire ressortir ses différences avec le corps des Occidentaux qui représente la norme et qui n’a donc pas besoin d’être décrit;
- le concept de race dans les manuels scolaires découlant du «racisme scientifique hégémonique»;
- les différences du concept de race dans les versions francophones et anglophones qui sont «corrélatives des constructions nationales qui s’opèrent au même moment au Canada»;
- l’attrait sexuel et la beauté relative des corps racialisés, presque uniquement masculins;
- la vision particulière, méprisante et souvent déshumanisante des corps noirs;
- le silence sur l’esclavage en Amérique du Nord.
4. L’Indien – domination, effacement et appropriation : La présentation des Autochtones dans les manuels scolaires était une fiction servant d’outil de nationalisation de la culture scolaire et d’appropriation de l’indianité. L’autrice ajoute que, «pour pouvoir utiliser ainsi l’Indien fictif, il faut parallèlement présumer l’inévitable disparition de l’Indien réel». Dans ce contexte, elle aborde :
- l’Autochtone, appelé le «Sauvage» et qualifié de paresseux, mais aussi de féroce et sanguinaire, qui est la «principale figure de l’altérité du discours scolaire»;
- l’effacement de sa présence dans l’étude géographique de l’Amérique;
- la critique de sa façon de s’habiller et de se tatouer, et sa déshumanisation;
- les «vertus» de la conversion et de la civilisation amenée par les Occidentaux;
- l’histoire enseignée avec une vision nationaliste, patriotique et colonialiste, avec une présentation bien plus respectueuse de l’Autre anglais;
- l’invisibilisation presque complète des femmes autochtones et l’omniprésence de la religion et de la mission civilisatrice des Français;
- la présentation opposée de la violence des Autochtones cruels et de celle des colonisateurs héroïques;
- l’appropriation culturelle dans les manuels scolaires, dans la littérature canadienne-française et au théâtre.
Soulevant le paradoxe apparent de l’appropriation culturelle par rapport aux tentatives d’éradication de la culture réelle des Autochtones, l’autrice avance que «l’éradication de l’altérité et l’appropriation d’une altérité fantasmée rendent compte de la même intention» qui sont toutes deux des manifestations d’un «rapport de domination fondé sur l’autorité de la parole européenne».
5. L’Autre observé ou «l’enseignement par les yeux» : Ce chapitre porte sur le «rôle des images dans la représentation scolaire de l’altérité au XIXe siècle». Après avoir expliqué les raisons qui justifient de consacrer un chapitre à ce rôle, l’autrice aborde :
- l’introduction graduelle des images dans les manuels scolaires et particulièrement celles représentant les Autres, surtout en géographie;
- les messages stéréotypés transmis par ces images, avec de nombreux exemples;
- les impacts de ces images sur la vision de l’Autre par les élèves;
- la simplification et l’uniformisation de cette vision;
- la «violence oculaire du racisme» et l’invariabilité morphologique des Autres qui se manifestent notamment par l’utilisation des mêmes images pendant des décennies et dans des manuels différents;
- la quasi-absence des femmes dans ces images et uniquement dans des rôles bien précis;
- la «représentation raciste et déshumanisante des communautés noires».
6. De mission et d’émotions – les enfants et la mobilisation missionnaire : L’autrice raconte une conférence tenue en 1872 à Québec par un missionnaire revenant de Chine et s’adressant à 3000 enfants sur leur intérêt à devenir des martyrs de la chrétienté pour convertir des enfants chinois. Cette conférence était typique de la relance missionnaire du XIXe siècle et avait l’appui du milieu de l’éducation. On distribuait aussi dans les écoles des revues s’adressant aux enfants sur les missions étrangères de conversion et on organisait des écoles du samedi sur ce sujet. L’autrice aborde aussi :
- les autres activités de l’Œuvre de la Sainte-Enfance (ça m’a rappelé de mauvais souvenirs…);
- l’impact de ces activités sur la vision de l’Autre et sur le racisme des jeunes;
- la représentation dégradante des «pauvres enfants chinois» (et parfois africains ou autochtones) et surtout de leurs parents qui les abandonneraient dans la rue et les feraient dévorer par des chiens et des pourceaux;
- l’utilisation des émotions pour accentuer la compassion pour ces pauvres enfants, mais aussi pour attiser la colère contre les Autres et contre leur niveau d’altérité;
- la marchandisation des émotions et des enfants chinois (et autres) dans un contexte capitaliste;
- les motivations des jeunes qui embrassaient l’œuvre missionnaire;
- la concurrence entre les œuvres charitables, les conflits entre elles et les contestations des histoires horribles utilisées par la Sainte-Enfance;
- l’exploitation du sentiment maternel et de l’héroïsme masculin dans le discours missionnaire.
Conclusion : L’autrice revient sur les principaux constats des chapitres précédents en faisant des liens entre eux. Elle souligne ensuite l’influence des stéréotypes transmis par l’institution scolaire dans les débats contemporains (charte des valeurs du PQ, commission Bouchard-Taylor, commission Viens, décès de Joyce Echaquan, etc.) et la survivance de certains préjugés, notamment envers les personnes racisées. Elle conclut en remarquant que sa recherche lui a aussi permis de revisiter son cheminement, avec des expériences en aide internationale et le privilège blanc dont elle a bénéficié. Écouter l’Autre lui a aussi permis de reconnaître «notre appartenance à une humanité commune et différente à la fois».
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Ça dépend… Lire, car ce livre érudit fournit une information complète et détaillée de la représentation méprisante de l’Autre dans l’histoire de l’éducation au Québec, et parce que le texte se lit bien même s’il est tiré d’une thèse de doctorat. Hésiter, car, justement, la quantité de détails qu’il contient peut devenir redondante. De mon côté, je suis bien content de l’avoir lu, même si je confesse avoir parcouru quelques pages en diagonale… Non seulement ce livre contient 352 pages selon l’éditeur, mais les caractères sont relativement petits. Heureusement, il contient de nombreuses images qui, en plus d’agrémenter la lecture, complètent très bien le texte et permettent de mieux comprendre les propos de l’autrice. Autre bon point, les 682 notes, presque toutes des références (seulement quelques compléments d’information) sont en bas de page.