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Dix mythes sur la tarification du carbone au Canada

27 avril 2019

C’est grâce à un article du Devoir paru vers la fin mars que j’ai pris connaissance du rapport intitulé 10 Myths about Carbon Pricing in Canada (Dix mythes sur la tarification du carbone au Canada) publié par la Commission de l’écofiscalité du Canada. On peut aussi consulter un résumé en français sur cette page.

Introduction

La réalité du réchauffement climatique, l’ampleur de ses conséquences et l’urgence d’agir pour y faire face sont de moins en moins remises en question, mais les moyens de le combattre, notamment la tarification du carbone, font encore l’objet de fortes oppositions. Les cinq auteur.es de ce rapport considèrent que «les mythes et la désinformation minent le débat sur la tarification du carbone», même s’il s’agit d’une des meilleures politiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Dans ce contexte, ils et elle espèrent que ce rapport «permettra de rehausser le débat, en utilisant les meilleures données probantes disponibles pour réfuter dix mythes répandus».

Premier mythe, la tarification du carbone est une nouvelle idée non testée : Même si les débats sur ce sujet sont relativement récents au Canada, l’idée de mettre un prix sur la pollution ou d’autres externalités négatives a été proposée pour la première fois par Arthur Cecil Pigou vers 1920 (on parle d’ailleurs de taxes pigouviennes). Ce type de taxe a été utilisé dans les années 1990 aux États-Unis pour s’attaquer aux pluies acides et en Europe pour réduire les émissions de GES. Les taxes sur le carbone sont aussi utilisées en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et dans quelques provinces canadiennes et États des États-Unis.

Deuxième mythe, pour être efficaces, les taxes sur le carbone doivent être élevées : En fait, ces taxes commencent à produire des effets même à un niveau peu élevé. Cela dit, pour atteindre les objectifs de réduction du Canada, son niveau devra être grandement haussé. L’expérience la plus concluante à cet effet est celle de la Colombie-Britannique qui a adopté une taxe sur le carbone en 2008 et qui a vu réduire l’utilisation des énergies fossiles (essence, gaz naturel, diésel, etc.) de façon notable (mais pas suffisante pour atteindre ses objectifs de réduction). Il en fut de même dans tous les pays, provinces et États qui ont adopté des taxes semblables. En Colombie-Britannique, les émissions de GES ont augmenté de 7 % entre 2009 et 2016, malgré une hausse de près de 25 % du PIB réel. Il peut être décevant de constater que les émissions n’y ont pas baissé, mais la première étape pour atteindre cet objectif est d’en faire diminuer l’intensité. Avec la hausse du prix du carbone prévue, on peut s’attendre à une baisse au cours des prochaines années.

On observe qu’une hausse de cette taxe entraîne plus de changements de comportement qu’une hausse du prix des énergies fossiles dues à d’autres facteurs, probablement parce qu’on sait que cette taxe continuera à augmenter, alors qu’on peut espérer que les prix finissent par baisser lorsque leur hausse est due à d’autres facteurs. De même, ces attentes à de nouvelles hausses stimulent les innovations et leur adoption (d’autant plus que les revenus de la taxe peuvent servir à les financer au moins en partie).

Troisième mythe, la tarification du carbone coûtera cher aux familles canadiennes : Oui, les taxes sur le carbone peuvent faire augmenter les dépenses des ménages pour les produits les plus émetteurs de GES, mais cette hausse peut être réduite en raison de la diminution de la consommation de ces produits, du transfert de consommation vers d’autres produits moins émetteurs et de l’utilisation d’une partie des revenus tirés de cette taxe pour rembourser les consommateurs, notamment les moins riches, transformant cette taxe en outil de redistribution des richesses. Par exemple, la taxe fédérale sur le carbone, en force dans les provinces qui n’ont pas adopté leur propre taxe sur le carbone, soit la Saskatchewan, le Manitoba, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick (avec en plus le Yukon et le Nunavut), retournera aux ménages 90 % de ses recettes (le 10 % restant servant à compenser les dépenses supplémentaires des petites entreprises, des municipalités et des organismes publics), faisant en sorte qu’au moins 70 % des ménages (80 %, selon le directeur parlementaire du budget) recevront plus de sous qu’ils n’en verseront. Le principe est que tous les ménages recevront le même montant, mais que les ménages les plus riches dépenseront beaucoup plus en taxes sur le carbone que les autres ménages. Notons que le Québec a plutôt choisi d’utiliser les recettes de sa taxe (le système québécois de plafonnement et d’échange de droits d’émission, ou SPEDE) pour financer des investissements visant à réduire les émissions de GES dans le cadre du Fonds vert (sans grand succès jusqu’à maintenant…).

Quatrième mythe, la tarification du carbone détruit des emplois : La tarification du carbone a des effets à la fois positifs et négatifs sur l’emploi, l’impact global étant neutre et relativement modeste (comme on l’a observé en Colombie-Britannique et dans d’autres pays). Cela dit, il est important de prévoir des politiques pour favoriser une transition harmonieuse pour les personnes qui perdent leur emploi en raison de cette taxe et pour les industries les plus touchées (en les aidant à réduire leurs émissions).

Cinquième mythe, les gros pollueurs sont exemptés : Si l’État prévoit de l’aide aux industries les plus touchées par la tarification du carbone, cela ne veut pas dire qu’elles sont exemptées du paiement de ces taxes. Le système est de fait différent pour les entreprises, visant la baisse de leurs émissions dans un contexte de concurrence internationale et ressemblant au concept du marché du carbone du Québec, mais leur contribution est au bout du compte similaire (les entreprises d’une industrie qui émettent plus d’émissions payant plus que celles qui en émettent moins).

Sixième mythe, la tarification du carbone est une façon d’aller chercher plus d’argent : Que les recettes de la taxe soient retournées aux ménages ou utilisées comme au Québec pour financer des investissements pour réduire les émissions de GES, elles ne servent pas à financer d’autres activités gouvernementales.

Septième mythe, la tarification du carbone ne fera pas modifier les comportements de la population : C’est en fait justement l’objectif de ces taxes et la raison pour laquelle elles permettent de réduire les émissions de GES. Il est vrai que certaines personnes ne modifient pas leurs comportements à court terme, mais avec la hausse de la taxe, elles le feront sûrement à moyen ou long terme. Le document présente un grand nombre de façons qu’a la population pour modifier ses comportements et épargner des sous, surtout dans ses dépenses de transports, d’électricité et de chauffage (et de climatisation). En plus, comme mentionné auparavant, cette taxe encourage les innovations qui fourniront de nouvelles options pour réduire la consommation de produits émetteurs de GES.

Huitième mythe, la tarification du carbone ne sert à rien si les gouvernements remboursent ces taxes : En fait, que les ménages paient peu ou beaucoup de taxes sur le carbone, ils recevront le même montant (dépendant de leur province et de leur taille). Ainsi, l’incitatif à payer moins de taxes et à consommer moins de produits émetteurs sera le même que s’il n’y avait pas de remboursement.

Neuvième mythe, d’autres politiques seraient plus efficaces pour réduire nos émissions : Il existe de fait d’autres mesures que la tarification du carbone pour lutter contre les émissions de GES, dont la réglementation et les subventions de produits moins émetteurs (comme les automobiles électriques). Ces subventions sont toutefois très onéreuses et sont souvent versées à des personnes qui auraient acheté ces produits moins émetteurs même sans subvention. Elles sont en plus peu efficaces. Par exemple, le programme québécois de subvention à l’achat d’automobiles électriques revient à environ 400 $ par tonne de GES réduits. La tarification du carbone, de son côté, coûte environ 30 $ par tonne. L’efficacité de la réglementation varie considérablement selon le cas. Le premier exemple donné par les auteur.es (la réglementation obligeant l’ajout de biocarburants dans l’essence et les subventions pour leur production, ce qui est selon moi un mauvais exemple, car c’est une mauvaise mesure) coûte entre 128 $ et 185 $ la tonne. Les auteur.es reconnaissent toutefois que d’autres types de réglementations peuvent être plus efficaces. En effet, l’utilisation de la tarification du carbone n’empêche pas l’adoption de règlements pertinents, comme la réduction des fuites de méthane dans le secteur gazier et pétrolier (13 $ la tonne). Cela dit, l’ampleur des baisses d’émissions dans ces exemples est nettement moindre que celle découlant de la tarification du carbone, car celle-ci s’applique aux produits les plus émetteurs (essence, gaz naturel et autres combustibles).

Dixième mythe, il n’est pas nécessaire de réduire les émissions de GES du Canada : Les auteur.es précisent que :

  • la séquestration du carbone par les forêts du Canada ne représente qu’environ 20 % de ses émissions;
  • si le Canada bénéficiera un peu du réchauffement climatique (construction, agriculture, etc.), il en subira les conséquences, de façon indirecte par les chocs subis par ses partenaires commerciaux et directement par les inondations (quoique des études prévoient au contraire la diminution de leur fréquence), les canicules, la sécheresse, les feux de forêt, l’érosion des berges, la hausse du niveau des océans, l’invasion d’insectes et d’espèces étrangères, etc.
  • le Canada doit être solidaire des actions des autres nations qui risquent de subir des dommages plus importants, d’autant plus qu’il est un des plus importants émetteurs de GES par habitant (au premier rang selon les sources les plus récentes, troisième selon d’autres sources antérieures) et qu’il arrive même au neuvième rang pour ses émissions totales;
  • les pays les plus riches doivent faire plus d’efforts et montrer l’exemple.

Conclusion

On peut toujours débattre des meilleures mesures pour réduire les émissions de GES, mais il demeure que la tarification du carbone doit en faire partie. Ayant contredit 10 mythes parmi les plus répandus sur cette tarification, les auteur.es espèrent réduire les résistances à leur utilisation. Disons que les dernières élections provinciales de partis conservateurs me font leur souhaiter bonne chance…

Et alors…

Ce rapport est davantage un document de promotion qu’une étude neutre. J’aurais entre autres aimé que les auteur.es explorent davantage d’autres mesures qui pourraient compléter la tarification du carbone, comme une limitation de l’exploitation du gaz et du pétrole, l’interdiction des voitures à combustion à moyen terme ou des investissements massifs en transport en commun associés à une diminution des investissements en infrastructures routières. Cela dit, il est indéniable selon moi que la tarification du carbone est un outil important dans l’arsenal des mesures à utiliser pour diminuer les émissions de GES.

Le SPEDE en force au Québec n’est pas idéal, mais il a le mérite d’exister et de financer le Fonds vert qui permet de réaliser des investissements complémentaires même si, je le répète, l’utilisation du Fonds vert est actuellement déplorable. Il serait plus efficace s’il était utilisé pour financer l’amélioration du transport en commun ou un plan de transition économique. Cela dit, je préfère nettement une taxe sur le carbone comme en Colombie-Britannique ou comme celle adoptée par le gouvernement fédéral pour les provinces qui ont refusé d’implanter des tarifications sur le carbone. Dans ce dernier cas, cette taxe permet même une certaine répartition des richesses, transformant une mesure qui pourrait être régressive (quoique les données du tableau 11-10-0223-01 de Statistique Canada, tirées de l’Enquête sur les dépenses des ménages, montrent que la part des dépenses des ménages du quintile le plus pauvre en achats liés aux automobiles, fourgonnettes et camions à usage privé, y compris l’essence, est moins élevée que celle des ménages des quatre quintiles suivants) en mesure progressive, comme l’illustre bien le graphique ci-contre tiré de l’analyse du système fédéral de tarification du carbone effectuée par le directeur parlementaire du budget et publiée cette semaine.

On voit bien que ce sont les ménages des quintiles les plus pauvres qui bénéficient le plus de ce système (surtout en Ontario) et que seuls les ménages du quintile le plus riche paient plus qu’ils ne reçoivent (sauf au Manitoba, où tous les ménages sont gagnants). Il serait même possible de concevoir un remboursement des ménages encore plus progressif, en redistribuant des montants plus élevés aux ménages les plus pauvres, graduellement moins élevés aux ménages des trois quintiles centraux et en n’accordant aucun remboursement aux ménages du quintile le plus élevé, ce qui permettrait en plus de conserver une partie de la taxe pour financer un plan de transition économique. La tarification du carbone n’est pas une panacée (ce que le rapport présenté dans ce billet laisse un peu penser), loin de là. Il est essentiel de la compléter avec des investissements et des mesures réglementaires, de sensibilisation, d’éducation et autres. Bref, la tarification du carbone est un outil, incomplet, certes, mais qu’on ne peut pas se permettre d’ignorer, surtout qu’on a vu qu’elle peut servir à la fois à réduire les émissions de GES et les inégalités. Pourquoi alors des personnes, de droite, mais aussi de gauche, s’opposent-elles à ce qu’on mette la tarification du carbone dans notre boîte à outils de lutte au réchauffement climatique?

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