Les inégalités au Québec et au Canada au cours de la pandémie
Statistique Canada a publié deux communiqués la semaine dernière sur les «Comptes économiques du secteur des ménages canadiens», le premier sur le revenu, la consommation et l’épargne, l’autre sur le patrimoine. Ces communiqués étaient accompagnés de tableaux contenant entre autres des données sur la répartition des revenus et du patrimoine par quintile et par tranche d’âge. Je me suis dit que cela serait intéressant de regarder ces données pour savoir si, au bout du compte, les inégalités ont augmenté ou diminué au cours de la pandémie.
Évolution du revenu disponible
– par quintile au Canada
Le graphique ci-contre, tiré de données du tableau 36-10-0663-01 de Statistique Canada, montre l’évolution du revenu disponible des ménages du Canada du premier trimestre de 2020 (au deux tiers avant la pandémie) au deuxième trimestre de 2021. Malheureusement, ce tableau ne fournit pas de données antérieures qui auraient permis de vraiment isoler l’impact de la pandémie sur les revenus. On notera que le revenu indiqué est le revenu trimestriel, représentant environ le quart du revenu annuel.
Entre le premier trimestre de 2020 et le deuxième trimestre de 2021, les revenus ont augmenté en moyenne de 14,8 %, mais de :
- 36,9 % chez les ménages du quintile inférieur;
- 16,7 % chez les ménages du deuxième quintile;
- 14,0 % chez les ménages des troisième et quatrième quintiles;
- 12,0 % chez les ménages du quintile supérieur.
Comme les revenus ont augmenté bien plus dans les quintiles inférieurs que supérieurs, on peut conclure que les inégalités ont diminué au cours de la pandémie. Je reviendrai là-dessus en conclusion. Le ratio entre les revenus des ménages du quintile supérieur et ceux du quintile inférieur est d’ailleurs passé de 7,3 à 6,0 en un peu plus d’un an. En fait, toute cette croissance s’est réalisée entre le premier et le deuxième trimestre de 2020, les revenus ayant même diminué par la suite pour l’ensemble des ménages (de 1,6 %) et pour les ménages des trois quintiles supérieurs. Ils sont toutefois demeurés stables chez les ménages du deuxième quintile et ont augmenté de 7,0 % chez ceux du quintile inférieur. Par ailleurs, les données du tableau nous montrent aussi que la hausse des revenus entre le premier et le deuxième trimestre de 2020 vient uniquement de la hausse de près de 60 % des transferts reçus (on pense bien sûr à la prestation canadienne d’urgence ou PCU), alors que ces transferts ont au contraire diminué de 25 % par la suite, baisse compensée par une hausse de 15 % de la rémunération des salarié.es. De même, la baisse des revenus au premier trimestre de 2021 est due en bonne partie à la hausse des «transferts payés» (surtout formés des impôts) possiblement en raison de remboursements de la PCU ou des impôts qui y étaient associés et qui n’avaient pas été retenus sur les paiements en 2020. Ces transferts payés sont demeurés élevés au deuxième trimestre de 2021, mais les revenus (surtout les salaires) ont augmenté.
Le graphique ci-contre, tiré de données du tableau 36-10-0588-01, montre que le revenu disponible annuel des ménages du Canada a augmenté de 17,5 % en moyenne entre 2016 et 2020, dont 10,9 points de pourcentage en 2020 seulement, soit 62 % du total, et de :
- 30,4 % chez les ménages du quintile inférieur, dont 22,7 points en 2020, soit 75 % du total;
- 18,3 % chez les ménages du deuxième quintile, dont 14,8 points en 2020, soit 81 % du total;
- 17,7 % chez les ménages du troisième quintile, dont 12,5 points en 2020, soit 71 % du total;
- 16,0 % chez les ménages du quatrième quintile, dont 8,2 points en 2020, soit 51 % du total;
- 15,9 % chez les ménages du quintile supérieur, dont 8,5 points en 2020, soit 53 % du total.
Ces données font aussi penser que les inégalités ont diminué au cours de la pandémie. Le ratio entre les revenus des ménages du quintile supérieur et ceux du quintile inférieur est d’ailleurs passé de 6,4 en 2016 et en 2019 à 5,7 en 2020.
– par quintile au Québec
Le graphique ci-contre est conçu comme le premier, mais pour le Québec. Notons ici que les quintiles utilisés par Statistique Canada sont ceux du Canada, ce qui signifie que les cinq quintiles pour le Québec ne comptent pas chacun 20 % des ménages (données non fournies). Entre le premier trimestre de 2020 et le deuxième trimestre de 2021, les revenus ont augmenté en moyenne de 17,4 %, mais de :
- 34,9 % chez les ménages du quintile inférieur;
- 8,0 % chez les ménages du deuxième quintile;
- 6,2 % chez les ménages du troisième quintile;
- 39,6 % chez les ménages du quatrième quintile;
- 15,7 % chez les ménages du quintile supérieur.
Mis à part la hausse étrangement élevée pour les ménages du quatrième quintile, les constats sont semblables à ceux des données pour le Canada. Le ratio entre les revenus des ménages du quintile supérieur et ceux du quintile inférieur est d’ailleurs passé de 7,2 à 6,2 en un peu plus d’un an. Malheureusement, les données sont plus limitées pour le Québec que pour le Canada, ne nous permettant pas de creuser la question. Comme pour le Canada, toute cette croissance s’est réalisée entre le premier et le deuxième trimestre de 2020, les revenus ayant même diminué par la suite pour l’ensemble des ménages (de 2,2 %). De même, la hausse des revenus entre le premier et le deuxième trimestre de 2020 vient uniquement de la hausse de 57 % des transferts reçus, alors que ces transferts ont au contraire diminué de 25 % par la suite, baisse compensée par une hausse de 17 % de la rémunération des salarié.es.
Le graphique ci-contre montre que le revenu disponible des ménages du Québec a augmenté de 21,0 % en moyenne entre 2016 et 2020, dont 12,0 points de pourcentage en 2020 seulement, soit 57 % du total, et de :
- 30,3 % chez les ménages du quintile inférieur, dont 27,0 points en 2020, soit 89 % du total;
- 11,9 % chez les ménages du deuxième quintile, dont 7,4 points en 2020, soit 63 % du total;
- 26,1 % chez les ménages du troisième quintile, dont 21,0 points en 2020, soit 80 % du total;
- 31,9 % chez les ménages du quatrième quintile, dont 22,7 points en 2020, soit 71 % du total;
- 4,1 % chez les ménages du quintile supérieur, avec une baisse de 2,2 % en 2020.
Encore une fois, la forte hausse du côté des ménages du quatrième quintile étonne, mais les transferts au cours de la pandémie ont aussi clairement contribué à faire diminuer les inégalités de revenus. Le ratio entre les revenus des ménages du quintile supérieur et ceux du quintile inférieur est d’ailleurs passé de 6,6 en 2016 à 6,8 en 2019, puis à 5,3 en 2020.
– par tranche d’âge au Canada
Le graphique ci-contre est conçu comme les deux premiers, mais par tranche d’âge pour le Canada. On voit que le revenu disponible augmente avec l’âge jusqu’au sommet atteint chez les 45-54 ans (il s’agit en fait de la tranche d’âge du soutien économique principal de ces ménages), puis qu’il diminue par la suite pour atteindre son niveau le plus bas chez les 65 ans et plus. Le revenu disponible a le plus augmenté entre le premier trimestre de 2020 et le deuxième de 2021 chez les moins de 35 ans (26,7 %), alors qu’il a augmenté d’entre 12 % et 14 % dans les quatre autres groupes. Alors que les transferts reçus ont plus que doublé dans les trois premières tranches d’âge (hausses de 159 %, 104 % et 126 %) entre le premier et le deuxième trimestre de 2020, ils ont augmenté de 69 % chez les 55-64 ans et de seulement 9 % chez les 65 ans et plus. Il faut dire que c’est dans cette tranche que ces transferts ont été les plus élevés dans les six trimestres (sûrement en raison de la sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti) et que la PCU était conçue pour remplacer des revenus de travail, mais il demeure que c’est le groupe qui a de loin le moins bénéficié des mesures spéciales adoptées au cours de la pandémie. C’est aussi le groupe dont le revenu disponible a le moins augmenté entre 2016 et 2020 (6,8 % par rapport à la moyenne de 17,5 %) et entre 2019 et 2020 (4,5 % par rapport à la moyenne de 10,1 %).
– par tranche d’âge au Québec
Comme pour le Canada, on voit dans le graphique ci-contre que le revenu disponible des ménages québécois augmente jusqu’au sommet atteint chez les 45-54 ans, puis qu’il diminue par la suite pour atteindre son niveau le plus bas chez les 65 ans et plus (proportionnellement plus bas que la moyenne au Québec qu’au Canada, probablement parce qu’on prend notre retraite plus tôt au Québec que dans le reste du Canada). Le revenu disponible a le plus augmenté entre le premier trimestre de 2020 et le deuxième de 2021 chez les moins de 35 ans (38,4 %), alors qu’il a augmenté d’entre 9 % et 17 % dans les quatre autres groupes. C’est aussi le groupe des 65 ans et plus dont le revenu disponible a le moins augmenté entre 2016 et 2020 (10,3 % par rapport à la moyenne de 21,0 %). Il a aussi augmenté beaucoup moins que la moyenne entre 2019 et 2020 (6,8 % par rapport à la moyenne de 11,1 %).
Évolution du patrimoine
– par quintile de revenus au Canada
Le graphique ci-contre, tiré de données du tableau 36-10-0661-01, montre l’évolution du patrimoine des ménages du Canada du quatrième trimestre de 2019 (donc, avant la pandémie) au deuxième trimestre de 2021. En fait, ce tableau contient des données depuis 2010, mais, comme je cherche à isoler l’impact de la pandémie, j’ai utilisé comme point de départ le trimestre le plus rapproché de son début. Au cours de cette période, le patrimoine a augmenté en moyenne de 22,6 %, malgré une baisse de 4,0 % entre le quatrième trimestre de 2019 et le premier de 2020, mais de :
- 35,1 % chez les ménages du quintile inférieur;
- 39,1 % chez les ménages du deuxième quintile;
- 32,6 % chez les ménages du troisième quintile;
- 27,3 % chez les ménages du quatrième quintile;
- 13,1 % chez les ménages du quintile supérieur.
Les contributions gouvernementales ont donc permis de faire augmenter davantage le patrimoine des ménages des deux quintiles inférieurs que celui des deux quintiles supérieurs, permettant de réduire aussi les inégalités de richesse. Le ratio entre le patrimoine des ménages du quintile supérieur et celui du quintile inférieur est d’ailleurs passé de 6,4 à 5,7 en un an et demi. On notera toutefois que la plus faible croissance du patrimoine des ménages du quintile supérieur n’est due qu’au fait que leur patrimoine a diminué (de 1,3 %) entre le premier et le deuxième trimestre de 2020, alors que celui des ménages des quatre autres quintiles augmentait de plus de 10 % (entre 11 % pour les ménages du quatrième quintile et 20 % pour ceux du deuxième). Au cours des quatre trimestres suivants, leur patrimoine a augmenté au même rythme que la moyenne, avec très peu de différences entre les quintiles. Il serait donc étonnant que cette baisse des inégalités se prolonge après la pandémie.
– par quintile de revenus au Québec
Le graphique ci-contre montre l’évolution du patrimoine des ménages du Québec du quatrième trimestre de 2019 au deuxième de 2021. Au cours de cette période, le patrimoine a augmenté en moyenne de 20,1 %, malgré une baisse de 4,1 % entre le quatrième trimestre de 2019 et le premier de 2020, mais de :
- 22,2 % chez les ménages du quintile inférieur;
- 35,0 % chez les ménages du deuxième quintile;
- 28,7 % chez les ménages du troisième quintile;
- 40,7 % chez les ménages du quatrième quintile;
- 0,0 % chez les ménages du quintile supérieur.
Encore ici, la hausse chez les ménages du quatrième quintile étonne, mais on peut voir que le patrimoine des ménages des deux quintiles inférieurs a augmenté plus que la moyenne et que celui du quintile supérieur n’a pas du tout augmenté, permettant au Québec aussi de voir ses inégalités de richesse diminuer. Le ratio entre le patrimoine des ménages du quintile supérieur et celui du quintile inférieur est d’ailleurs passé de 6,6 à 5,3 en un an et demi, baisse encore plus forte qu’au Canada. Encore plus que pour le Canada, la plus faible croissance du patrimoine des ménages du quintile supérieur n’est due qu’au fait que leur patrimoine a diminué (de 11 %) entre le premier et le deuxième trimestre de 2020, alors que celui des ménages des quatre autres quintiles augmentait de plus de 6 % (entre 6,5 % pour les ménages du quintile inférieur et 24 % pour ceux du quatrième). Au Québec aussi, leur patrimoine a augmenté au même rythme que la moyenne au cours des quatre trimestres suivants, avec très peu de différences entre les quintiles. Les écarts de croissance entre les quintiles au cours de cette période ne sont donc dus qu’au choc du début de la pandémie.
– par tranche d’âge au Canada
Alors que ce sont les 45-54 ans du Canada qui gagnent les revenus les plus élevés, ce sont les 55-64 ans qui ont les patrimoines les plus élevés, ces personnes ayant eu plus de temps pour épargner. Quant aux 65 ans et plus, selon leur âge et leur situation, ces ménages ont déjà commencé à dépenser leur épargne, ce qui fait diminuer la valeur de leur patrimoine. Entre le quatrième trimestre de 2019 et le deuxième de 2021, le patrimoine a augmenté de :
- 39,1 % chez les ménages dont le principal soutien financier a moins de 35 ans;
- 26,1 % chez les 34-44 ans;
- 22,8 % chez les 45-54 ans;
- 20,1 % chez les 55-64 ans;
- 17,8 % chez les 65 ans et plus.
Comme la croissance du patrimoine au cours de cette période s’explique en premier lieu par la hausse de la valeur de l’immobilier plus de deux fois plus élevée que la hausse du passif hypothécaire, il n’est pas étonnant que ce soit les ménages les plus jeunes qui ont connu la forte hausse de la valeur de leur patrimoine. En effet, même si la valeur de leurs actifs immobiliers représente moins de 60 % de la valeur moyenne, celle-ci a augmenté nettement plus que la moyenne, probablement parce que ces ménages sont proportionnellement plus nombreux à acheter une première maison.
– par tranche d’âge au Québec
Le graphique ci-contre pour le Québec, malgré des niveaux bien moins élevés, est très semblable au précédent. Entre le quatrième trimestre de 2019 et le deuxième de 2021, le patrimoine a augmenté de :
- 40,2 % chez les ménages dont le principal soutien financier a moins de 35 ans;
- 23,2 % chez les 34-44 ans;
- 19,7 % chez les 45-54 ans;
- 17,2 % chez les 55-64 ans;
- 16,2 % chez les 65 ans et plus.
Et alors…
Cela fait depuis le début de la pandémie que je me dis que les inégalités ont dû diminuer en 2020. En effet, comme ce sont les personnes qui avaient les revenus les plus bas et qui travaillaient à temps partiel qui ont perdu le plus d’emplois, le taux fixe à 500 $ par semaine de la PCU et de la prestation canadienne de la relance économique (PCRE) devait dans ces cas être plus élevé que leur salaire perdu (d’autant plus qu’aucun impôt n’était retenu sur les prestations de la PCU). Cette courte étude de Statistique Canada montre de fait que «Les travailleurs à faible revenu étaient les plus susceptibles de recevoir des paiements de la PCU» (voir le texte et le graphique sur cette page).
Cela dit, ces données ne sont pas assez détaillées pour conclure. D’une part, comme la PCU et la PCRE n’étaient offertes qu’aux personnes ayant perdu un emploi, les plus pauvres sans emploi n’ont pas vu leur situation s’améliorer, loin de là, comme le montre la forte hausse de la fréquentation des banques alimentaires (de 22 % entre 2019 et 2021). On lit d’autre part dans le Bilan-faim 2021 que «La hausse des visites des banques alimentaires a coïncidé avec la fin de la PCU, le maintien des mesures de confinement et la hausse du chômage découlant de la pandémie». Et les personnes à faible salaire qui sont restées en emploi n’ont rien gagné au bout du compte, même si certaines d’entre elles ont reçu quelques primes bien insuffisantes pour compenser les dépenses supplémentaires dues à la pandémie.
Bref, même s’il est probable que les données montrent une baisse des inégalités en 2020 et en 2021, ce qu’on saura dans quelques mois, probablement en mars 2022 si je me fie à la date de publication des données pour 2019, cela ne veut pas dire que la situation de tous les plus pauvres s’est améliorée et surtout pas que cette baisse se poursuivra.
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