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Inflation (2) – Les comparaisons

7 janvier 2013

inflation_comparaisonsDans le premier billet de cette série, on a vu comment est calculée l’inflation, soit essentiellement avec l’Indice des prix à la consommation (IPC). On a pu aussi se rendre compte que, même si le concept de l’inflation est relativement simple, les calculs pour l’estimer sont beaucoup plus complexes qu’on ne pourrait le penser.

Les caractéristiques du calcul de l’inflation ont de grandes conséquences qui se manifestent encore plus quand on veut la comparer d’un territoire avec un autre et encore plus quand on veut la comparer dans le temps.

Comparaisons entre les territoires et les régions

Les comparaisons de l’inflation d’un territoire à l’autre sont très délicates et peuvent amener à des conclusions fautives. En effet, le premier problème est que le panier de consommation peut varier considérablement d’un endroit à un autre. Même dans un pays nordique comme le Canada, on peut voir sur ce tableau que la structure de consommation est passablement différente d’une province ou territoire à l’autre.

Par exemple, les Québécois consacrent une part près de quatre fois plus élevée de leur budget (0,52 %) au vin que les habitants de la Saskatchewan (0,14 %), mais trois fois moins élevée aux spiritueux (0,16 %) que les habitants de Yellowknife (0,49 %). Les Ontariens, eux, consacrent 20 fois plus de leur budget aux transports en commun urbain (0,63 %) que les habitants de Terre-Neuve et de l’Île-du Prince-Édouard (0,03 %). Mais, même en Ontario, cette proportion doit être bien différente entre les ménages de Sudbury et ceux de Toronto!

En effet, les différences que j’ai notées sont tirées de moyennes provinciales (ou municipales dans le cas de Yellowknife). Il est clair que le panier d’un Montréalais est très différent de celui d’un Gaspésien. Si Statistique Canada fournit des données sur l’inflation pour les grands centres comme Montréal, de telles données n’existent tout simplement pas pour les régions économiques. Non seulement le panier est-il très différent, mais on peut soupçonner que les prix le sont aussi! D’ailleurs, comme on peut le voir dans ce tableau, le prix du panier de consommation (différent de celui de l’IPC) établi pour mesurer le faible revenu dans la Mesure du panier de consommation diffère de façon importante selon la taille des municipalités au Québec. De même, l’augmentation du prix total de ce panier entre 2001 et 2010 a aussi varié de façon importante, passant de 33,6 % dans les municipalités de moins de 30 000 habitants à 40,6 % dans la région métropolitaine de recensement de Montréal. Et cela ne dit rien de la différence des prix et de l’inflation dans des municipalités de tailles identiques mais de régions différentes (Côte-Nord, Gaspésie et Abitibi Témiscamingue, par exemple)

Si de telles différences s’observent au Québec et au Canada, on peut s’imaginer qu’elles sont encore plus grandes entre les pays. Même entre les pays industrialisés, les différences de climat, les particularités des cultures et des préférences, la place bien différente de l’État dans l’économie (dont le coût des services, je le rappelle, n’est pas considéré dans le calcul de l’IPC) et bien d’autres facteurs influencent grandement le contenu du panier de consommation et la structure des prix.

Ces différences sont bien sûr encore plus grandes quand on veut comparer l’inflation dans les pays industrialisés avec celle qu’on observe dans les pays en développement qui ont une structure de consommation totalement différente. Bref, on peut toujours comparer l’inflation entre différents pays, mais il faut être conscient des limites de l’exercice.

Comparaisons dans le temps

Si les comparaisons de l’inflation entre les régions et les pays doivent être faites avec prudence, c’est aussi le cas quand on veut comparer les prix dans le temps, ce qui est pourtant la raison d’être de l’inflation.

Par exemple, Statistique Canada publie dans son tableau cansim 326-0020 des données de l’IPC depuis janvier 1914 (seulement pour la Canada). Mais que signifie l’indice de 6,0 qu’on attribue à janvier 1914, par rapport à l’indice de 121,9 pour novembre 2012? Que les biens et services sont en moyenne 20,3 fois plus chers? C’est souvent comme cela qu’on interprète cette donnée, mais il faut réaliser que le panier de consommation utilisé en 1914 n’a vraiment pas grand-chose à voir avec celui de 2009 utilisé actuellement.

Les autos devaient par exemple représenter une bien faible portion des dépenses à l’époque! En plus, une auto de 1914 a peu à voir avec une auto de 2012. Les électroménagers n’existaient pas, pas plus que les télés et les ordinateurs (ni la radio, d’ailleurs). Les logements étaient très différents des nôtres et même l’alimentation était bien moins variée que maintenant (rappelons l’anecdote de l’orange comme cadeau de Noël). Bref, en comparant le coût de la vie à l’époque avec celui d’aujourd’hui, on compare des pommes avec des oranges (qui coûtent proportionnellement bien moins cher aujourd’hui!).

J’ai par exemple tenté de comparer le contenu du plus vieux panier de l’IPC que j’ai trouvé, celui de 1986 (le lien fonctionne mal pour moi, on peut toutefois télécharger ce fichier à partir de cette page), avec celui de 2009 pour trouver les biens et services qui se sont ajoutés entre ces deux années et estimer quel pourcentage du nouveau panier ces biens et services représentent, mais, même certaines grandes catégories ont changé de titre. Il est donc impossible de savoir exactement ce que contiennent ces catégories et donc ce qui s’est ajouté. Chose certaine, je n’ai pas trouvé d’ordinateurs ni de téléphones interactifs dans le panier de 1986! Les fours micro-ondes étaient énormes et moins puissants que les actuels, les téléviseurs étaient tous analogiques, sans haute définition et les écrans plats n’étaient pas encore sur le marché. Si quelques ménages avaient des ordinateurs (probablement inclus dans une catégorie qui contenaient bien d’autres biens), on parle d’ordinateurs qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Et Internet n’existait pas… Il est d’ailleurs probable que le contenu réel du panier de 2012 a déjà changé de façon significative depuis 2009 pour certains produits.

En fait, l’IPC ne calcule que la variation du coût des paniers moyens qui ont varié depuis 1914 avec le coût du panier moyen actuel. Comme le panier actuel contient bien plus de produits (biens et services) et que ces produits sont plus performants (là, on pourrait débattre longtemps en raison de l’obsolescence planifiée plus courante maintenant que par le passé…), l’IPC ne permet pas de savoir si un ménage moyen s’est réellement enrichi ou pas (si on définit la richesse par la consommation de biens et services précis). Il est donc inexact de prétendre, comme le font la majorité des observateurs, que la classe moyenne s’est peu enrichie depuis trente ans. On sait qu’elle consomme plus de biens et services, mais on ne peut pas savoir à quel point. Il faudrait, je dois ajouter, aussi tenir compte de la hausse de l’endettement qui permet l’achat des biens contenus dans le panier actuel. Bref, les comparaisons ont toujours des limites et il est impossible de pouvoir quantifier réellement l’enrichissement des ménages. J’y reviendrai en conclusion.

J’ai d’ailleurs déjà soulevé l’absurdité de comparer la richesse entre les époques à l’aide uniquement de l’inflation dans un autre billet dans lequel je ridiculisais un peu un article qui publiait le classement des hommes les plus riches de l’histoire, en comparant la valeur des possessions de riches du Moyen-Âge avec celle des possessions de riches d’aujourd’hui.

Ce que fait Statistique Canada pour rendre comparable l’incomparable

Statistique Canada connaît bien les problèmes que je viens de mentionner et prend divers moyens pour que ces comparaisons demeurent possibles. Ces moyens permettent seulement, comme je l’ai mentionné plus tôt, de comparer la variation du coût des paniers moyens depuis 1914 avec le coût du panier moyen actuel.

Les mesures prises par Statistique Canada à cet égard sont expliquées en détail dans un article de la Revue de la Banque du Canada. Comme il serait fastidieux (et long!) de décrire et d’expliquer toutes ces mesures, je vais simplement mentionner les principaux biais dont Statistique Canada doit tenir compte. Quant aux mesures correctives, il est possible qu’elles aient changé un peu, car cet article date de 1998.

  • Le biais attribuable à la substitution des produits (pages numérotées 41 à 43) : il s’agit des changements dans la consommation des produits pendant la durée d’un panier.
  • Le biais attribuable aux nouveaux biens (pages 43 à 46) : comme je l’ai mentionné plus haut, il s’agit de la consommation de biens nouveaux non considérés par le panier de départ.
  • Le biais lié aux variations de la qualité (pages 46 à 48) : j’en ai aussi parlé plus haut, les biens actuels ont en général une qualité bien plus grande (ou offrent des possibilités beaucoup plus grandes) que les biens anciens.
  • Le biais lié à la substitution de points de vente au détail (pages 48 à 51) : quand de nouveaux points de ventes ouvrent, ils peuvent offrir des produits différents et les vendre à un autre prix.

Et alors…

Avec toutes les réserves que j’ai mentionnées sur la possibilité de comparer l’inflation entre des territoires et surtout dans le temps, on pourrait penser que je crois impossibles et trompeuses toutes ces comparaisons. Ce n’est pas le cas.

Le but de ce billet est simplement de montrer le sens véritable de ces comparaisons. Il peut être très utile de comparer l’évolution des prix de paniers différents, tant qu’on sait qu’ils sont différents.

En effet, le sentiment de richesse ou même de confort de toute personne est toujours relatif, fonction de ce qu’elle peut se procurer par rapport à ce que peuvent se procurer les autres citoyens de la société à laquelle elle appartient. Je n’ai par exemple pas souffert de ne pas avoir d’ordinateur dans ma jeunesse, ni d’accès à Internet. Un jeune d’aujourd’hui (et même un adulte!) se sentirait exclus sans ces équipements (et sans un téléphone interactif, probablement). Il est donc normal si on veut comparer la situation des gens selon les besoins courants de leur époque de comparer les prix à l’aide de paniers différents qui représentent l’univers de consommation de chacune de ces époques.

Il n’en demeure pas moins que je suis toujours un peu mal à l’aise quand un journaliste compare par exemple les salaires «réels» d’il y a 50 ou 100 ans avec ceux d’aujourd’hui. Il y a tellement de nuances à apporter! Et j’en apporterai d’autres dans le prochain billet de cette série!

14 commentaires leave one →
  1. Gilbert Boileau permalink
    7 janvier 2013 14 h 49 min

    Eh! Oui! Plusieurs journalistes auraient intérêt à consulter les documents explicatifs fournis par Stat. Can ou l’ISQ. Mais ils n’en n’ont pas le temps, je suppose. Au diable l’analyse, on répète ce que la masse des journalistes «économiques» passe comme message. Une demie-vérité devient-elle vérité en la répétant ad nauseam?

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  2. 7 janvier 2013 15 h 51 min

    «Une demie-vérité devient-elle vérité en la répétant ad nauseam?»

    Si un mensonge le devient souvent, alors, une demie-vérité…

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  3. Marc Sauvageau permalink
    9 janvier 2013 16 h 13 min

    «Mais que signifie l’indice de 6,0 qu’on attribue à janvier 1914, par rapport à l’indice de 121,9 pour novembre 2012? Que les biens et services sont en moyenne 20,3 fois plus chers? C’est souvent comme cela qu’on interprète cette donnée, mais il faut réaliser que le panier de consommation utilisé en 1914 n’a vraiment pas grand chose à voir avec celui de 2009 utilisé actuellement.»

    Vous avez raison le panier de consommation de 1914 était assez différent en effet, et comparer un panier de 1914 avec un panier de 2009 serait boiteux. Mais l’IPC n’est qu’un instrument de comparaison général et approximatif. Il faut interpréter l’IPC comme suit : un bien acheté 1.00 $ en 2002 m’aurait coûté 6¢ en janvier 1914 et me coûterait 1,22 $ aujourd’hui, même si ce produit était inexistant en 1914.

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  4. 9 janvier 2013 17 h 00 min

    «Il faut interpréter l’IPC comme suit : un bien acheté 1.00 $ en 2002 m’aurait coûté 6¢ en janvier 1914 et me coûterait 1,22 $ »

    Donc ma télé achetée 200$ en 2002 ne m’aurait coûté que 12 $ en 1914?

    Ce billet visait justement à démonter que ce genre de comparaison n’a pas de sens et que ce n’est pas du tout cela que le changement d’indice indique. Il est clair que j’ai manqué mon coup avec vous!

    Comme le panier est différent, les biens ne sont pas les mêmes. En outre, l’indice s’applique au panier, pas à chacun des biens qui le composent.

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  5. Cynthia Dubé permalink
    12 janvier 2013 21 h 31 min

    Si je peux me permettre, « se rendre compte » et non « se rendre contre » en début d’article. Il y a là un lapsus comique. 😉

    Et il y a longtemps que je voulais mentionner ma difficulté à faire des recherches vers des articles plus anciens ou déjà lus. Les tags à mon avis ne sont pas suffisants. S’il y avait un widget de recherche ou d’archives, cela aiderait grandement. Par ailleurs, je constate que la présence du widget des commentaires récents en début de colonne facilite les échanges et est une force de votre blogue.

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  6. 12 janvier 2013 21 h 39 min

    «« se rendre compte » et non « se rendre contre »»

    Oups… Et je ne peux pas plaider l’erreur de frappe. C’est corrigé… 😳

    «S’il y avait un widget de recherche ou d’archives»

    Désolé les experts en technique sont Koval et Lutopium, et ils ne viennent pas souvent… Je peux regarder… Mais, les nuages, c’est un peu laid…

    «la présence du widget des commentaires récents en début de colonne facilite les échanges et est une force de votre blogue»

    C’est moi qui avait demandé de mettre le plus de commentaires récents possible. Le max est de 15 et il y en a 15!

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  7. 12 janvier 2013 21 h 47 min

    Bon, j’ai mis celui des archives et un de recherche. Mais le texte n’est qu’en anglais…

    C’est mieux?

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  8. Cynthia Dubé permalink
    12 janvier 2013 22 h 46 min

    Wow, si vite! Vous avez une lectrice comblée 😉

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  9. 12 janvier 2013 23 h 04 min

    J’exagère toujours mon incompétence technique…

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  10. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    12 janvier 2013 23 h 36 min

    Oups… Et je ne peux pas plaider l’erreur de frappe. C’est corrigé…
    Héhé.. pour une fois qu’il y a un p’tit bonhomme qui rougit pis que ce n’est pas moi qui se fait prendre en défaut.

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  11. 12 janvier 2013 23 h 45 min

    Personne n’est infaillible! Mais, je dois avouer que cette erreur est gênante… Normalement, Richard aurait ri de moi pour celle-là! Je préfère la méthode de Cynthia! Mais, que veux-tu, nous, personnes de gauche, savons reconnaître nos erreurs (même si nous en faisons relativement peu!)! 😉

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  12. THE LIBERTARIAN BADASS permalink
    12 janvier 2013 23 h 53 min

    Nous aussi à droite on reconnait nos erreurs… on fait juste semblant de ne pas les reconnaître! 🙂

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  13. 13 janvier 2013 0 h 03 min

    C’est justement la définition de ne pas reconnaître ses erreurs! 😈

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