La révolution Harper et le secteur financier
Le capitalisme au Canada et la «révolution» Harper est un petit livre de 135 pages qui ne contient que quatre textes. Ils abordent différents aspects des conséquences du passage (trop) prolongé des conservateurs de Stephen Harper au pouvoir. On y analyse :
- l’évolution du capitalisme canadien à l’ère de la mondialisation;
- les contorsions des conservateurs lors de la crise débutée en 2008;
- les attaques répétées des conservateurs contre les travailleurs et les syndicats;
- les véritables enjeux entourant la réforme de l’assurance-emploi.
Je pourrais bien sûr résumer ces textes, ou à tout le moins un, mais, comme j’ai déjà publié des billets ou ait lu d’autres textes plus complets des auteurs sur ces sujets, je préfère développer une idée qui m’est venue en regardant les graphiques insérées dans le premier de ces textes.
Cela dit, il s’agit d’un bon petit livre à lire, surtout si on connaît peu ces sujets. Les textes sont de qualité et pertinents, avec des auteurEs qui savent de quoi ils et elle parlent!
Le secteur financier
Dans son texte sur la mondialisation, Pierre Beaulne présente deux graphiques qui comparent les profits et la contribution au produit intérieur brut (PIB) du secteur financier avec ceux d’autres secteurs industriels. Cela m’a donné l’idée, que j’avais en fait depuis longtemps, de présenter un graphique qui illustrerait la contribution du secteur financier sous différents aspects. Compte tenu de la disponibilité des données pour les trois variables présentées dans ce graphique, j’ai dû utiliser celles sur la «Finance, assurances, services immobiliers et services de location et de location à bail», car Statistique Canada ne publie pas de données spécifiques au secteur de la finance et des assurances pour la part du produit intérieur brut (PIB). Cela demeure quand même éloquent! De toutes façon, les données sur l’emploi montrent que le secteur de la finance et des assurances embauche 75 % des personnes qui travaillent dans ce grand groupe et accapare près de 85 % de ses profits (mais, selon un fichier plus récent, seulement 35 % de son PIB)! On voit donc que ce secteur domine ce grand groupe. Pour éviter de répéter cette longue appellation, je parlerai dans ce billet du secteur financier. Je précise en plus que toutes ces données sont pour l’ensemble du Canada, car Statistique Canada ne fournit pas de données sur les profits et la part du PIB pour le Québec.
La ligne bleue représente la part du PIB du secteur financier. Cela peut paraître étrange que j’aie fait partir cette série près de 30 ans plus tôt que les deux autres courbes, mais le mouvement le plus important de la part du PIB du secteur financier a eu lieu avant l’année de départ des séries de données que Statistique Canada publie pour les deux autres variables (emploi et bénéfices). On peut en effet voir que la part du PIB du secteur financier est demeurée inférieure à 15 % de 1961 à 1980 (entre 12,8 % en 1974 et 14,7 % en 1978), a dépassé une première fois la barre des 15 % en 1981 (année de récession) pour atteindre un sommet de 19,8 % en 1998 et demeurer au dessus de 18 % jusqu’en 2011, dernière année où des données sont disponibles pour cette variable. Compte tenu de cette hausse de la part du PIB du secteur financier, bénéficions-nous vraiment de meilleurs services dans ce domaine? Comment se fait-il que les nombreux changements technologiques et les vagues de fermetures de succursales bancaires n’aient pas au contraire permis une plus grande efficacité de ces services? Serait-ce que le secteur financier est devenu un parasite de notre économie? Subissons-nous nous aussi les effets de la malédiction financière? Que signifie le PIB, si près de 20 % de sa «valeur» (soit autant que les secteurs de la construction, de l’enseignement et de la santé et de l’assistance sociale réunis!) n’offre en fait que bien peu de bien-être?
La ligne rouge illustre l’évolution de la part des bénéfices (profits) accaparés par le secteur financier. Si on exclut les années 1991 à 1993, autre période de récession, où les bénéfices des industries autres que financières ont diminué de plus de 50 % entre 1989 et 1992 alors que ceux du secteur financier ont diminué de moins de 30 %, la part des bénéfices du secteur financier a en général varié entre 30 % et 35 % du total. Oui, en moyenne, le secteur financier accapare le tiers de tous les profits au Canada…
La ligne jaune nous montre que la part de l’emploi du secteur financier est demeurée assez stable de 1988 à 2013, passant d’un minimum de 5,8 % en 2000 à un maximum de 6,6 % de 1991 à 1993 (période de récession qui a moins touché ce secteur).
Et alors…
Il est quand même étonnant de constater (quoique rien ne devrait nous étonner dans ce secteur) que la part du PIB du secteur financier fut en moyenne de 1988 à 2011 trois fois plus élevée que sa part de l’emploi, et que sa part des profits lui fut plus de cinq fois plus élevée, tout en étant 70 % plus élevée que sa part du PIB! Et pourtant, le salaire hebdomadaire moyen n’y fut que 11 % supérieur à la moyenne entre 1997 à 2013, selon le tableau cansim 282-0072. Il y a manifestement quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume de la finance… et de notre économie!
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