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Les banques centrales servent-elles nos intérêts?

9 août 2021

banques centrales servent-elles nos intérêtsAvec leur livre Les banques centrales servent-elles nos intérêts?, Peter Dietsch, François Claveau et Clément Fontan, philosophes et économistes, abordent «trois thèmes clés dans le débat contemporain sur les banques centrales : les effets distributifs de leur politique monétaire, l’influence disproportionnée des marchés financiers sur leurs décisions ainsi que les conflits d’intérêts qui minent l’expertise produite par les banquiers centraux».

Introduction – Les banques centrales devraient servir l’intérêt public : Face aux interventions non conventionnelles des dernières années, dont l’achat massif de titres financiers (assouplissement quantitatif), les auteurs se demandent si ces actions servent au mieux l’intérêt public.

Banques centrales – les éléments fondamentaux : Pour pouvoir discuter de la pertinence des actions des banques centrales, il faut en premier lieu comprendre leur fonctionnement. Les banques centrales poursuivent en général deux objectifs, la stabilité financière et la stabilité des prix. Elle peut avoir d’autres objectifs, comme favoriser l’emploi, mais ces deux objectifs sont communs à presque toutes les banques centrales, quoique certaines ne visent que la stabilité des prix. Les auteurs abordent aussi :

  • le monopole des banques centrales dans l’émission de monnaie qui a cours légal (à ne pas confondre avec la création de monnaie par les banques commerciales);
  • le fonctionnement, la justification et les conséquences de l’indépendance des banques centrales;
  • le processus et les objectifs du contrôle des taux d’intérêt par les banques centrales;
  • l’évolution de leurs interventions après la crise financière commencée en 2007, dont les programmes d’assouplissement quantitatif.

L’action des banques centrales et les inégalités : Comme toutes les interventions en économie, celles des banques centrales entraînent des effets secondaires souvent négatifs, notamment sur les inégalités, mais l’évitement de ces effets ne fait pas partie de leurs mandats. Les auteurs abordent ensuite :

  • les raisons pour lesquelles il est important de garder l’inflation à un faible niveau, mais aussi de réduire les inégalités économiques;
  • l’effet de l’assouplissement quantitatif sur les inégalités de revenus et de richesse;
  • d’autres interventions aussi ou plus efficaces qui réduiraient les inégalités plutôt que de les augmenter, ou qui contribueraient à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES);
  • une proposition pour intégrer les objectifs macroéconomiques (emploi, lutte aux inégalités, etc.) aux mandats des banques centrales;
  • le concept d’incohérence temporelle (par exemple, quand une politique adoptée en vient à nuire aux objectifs poursuivis quand elle fait sentir ses effets) qui appuie en fait l’intégration d’objectifs macroéconomiques aux mandats des banques centrales.

Ils concluent qu’une «politique monétaire aveugle à ses conséquences sur la distribution [et donc sur les inégalités] ne peut pas bien servir les intérêts de la population».

Les banques centrales et la finance : Au cours des dernières décennies, l’évolution des marchés financiers a fragilisé la stabilité financière que les banques centrales doivent protéger. Elles ont pourtant fait la promotion de bien des innovations responsables de cette fragilisation (dont les produits dérivés et la titrisation) et ont continué à les appuyer après la crise financière débutée en 2007, même si ces innovations en étaient en grande partie responsables. Plutôt que de se contenter de leur rôle d’intermédiaire entre les épargnant.es et les emprunteur.euses, les banques commerciales se sont financiarisées. Pour expliquer ce changement, les auteurs abordent :

  • la sous-estimation des risques associés aux activités de marché par les banques centrales en raison de leurs croyances en la théorie des marchés efficients (voir notamment ce billet), donc en la nocivité de la réglementation des marchés financiers;
  • d’autres facteurs qui ont contribué à la sous-estimation de ces risques et à l’appui des banques centrales à la financiarisation des banques commerciales;
  • les caractéristiques de la domination de la finance sur les décisions des banques centrales après la crise financière;
  • l’aide des banques centrales aux banques trop grosses pour faire faillite et ses conséquences négatives, notamment sur l’augmentation de la prise de risque par ces banques;
  • l’insuffisance des interventions des banques centrales pour faire face à cet aléa moral;
  • la dépendance des banques centrales au secteur financier qui rend encore plus incohérent leur désir d’être indépendantes des gouvernements.

L’expertise des banques centrales : Les chapitres précédents ont surtout porté sur l’expertise régulatrice des banques centrales, mais celui-ci se penche sur leur expertise testimoniale qui consiste à expliquer «au grand public et au personnel politique le fonctionnement, réel et souhaitable, de l’économie». Pour ce, les auteurs abordent :

  • l’absence de mécanismes efficaces de correction de leurs erreurs;
  • les conditions de la présence de tels mécanismes (transparence, encouragement de la critique et disposition à remettre en questions leurs croyances), conditions loin d’être satisfaites;
  • les raisons pour lesquelles les banques centrales sont peu réceptives aux critiques, notamment parce que leurs intérêts «en tant qu’experts régulateurs entravent leur rôle d’experts testimoniaux».

De nouvelles directions pour le futur des banques centrales : L’analyse des chapitres précédents nous fait douter «de la capacité des banques centrales à servir nos intérêts aussi bien qu’elles le devraient». Dans ce chapitre, les auteurs présentent pour réflexion des propositions de réforme qui pourraient faire en sorte qu’elles puissent les servir correctement. Ils abordent notamment :

  • une meilleure collaboration entre les gouvernements et les banques centrales pour que celles-ci intègrent à leurs interventions des objectifs macroéconomiques, dont la lutte aux inégalités;
  • l’ajout à leur mandat de l’examen de l’impact macroéconomique et environnemental lors de l’utilisation d’instruments extraordinaires, comme l’assouplissement quantitatif;
  • l’adoption de réglementations pour diminuer le «degré de financiarisation de nos économies», dont «l’introduction d’une taxe sur les transactions financières»;
  • la réduction de la place des banques centrales dans la production scientifique liée aux questions monétaires et financières;
  • l’augmentation de la diversité parmi les dirigeant.es et les économistes des banques centrales;
  • l’utilisation de l’hélicoptère monétaire au lieu de l’assouplissement quantitatif, soit de donner directement aux ménages des liquidités plutôt que d’acheter des titres financiers;
  • le financement d’une partie de la dette publique par les banques centrales;
  • l’interdiction de création monétaire par les banques commerciales en exigeant des réserves équivalentes aux prêts (les auteurs rappellent qu’il ne s’agit pas de recommandations, mais de sujets de réflexion);
  • la possibilité pour les citoyen.nes d’ouvrir un compte à la banque centrale (idem);
  • l’indépendance entre les banques centrales et leurs départements de recherche.

Les auteurs reviennent sur les trois principaux défis des banques centrales : l’effet de leurs actions sur les inégalités, la domination financière sur leurs activités et les conflits entre leur expertise réglementaire et leur expertise testimoniale. Ils concluent que «nous devons tout mettre en œuvre pour que notre réaction à la prochaine crise financière modifie profondément les règles du jeu et remette l’activité des banques centrales au service de nos intérêts».

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre aborde un sujet aride et souvent négligé, mais qui a des conséquences majeures sur l’économie et sur le bien-être de la population. Il est donc important de comprendre, au moins de façon minimale, le fonctionnement de la politique monétaire et des banques centrales pour pouvoir en parler et les critiquer. Ce livre sait bien présenter les principaux problèmes dans le fonctionnement actuel des banques centrales. Même si certaines sections sont complexes, la lecture de ce livre permet de mieux comprendre ce qui ne tourne pas rond avec le fonctionnement actuel des banques centrales. Comme ce n’est pas un sujet que je maîtrise, je suis bien content d’avoir consacré quelques heures à ce court livre (136 pages, selon l’éditeur). Malheureusement, les 118 notes, surtout des références, mais aussi des compléments d’information, sont à la fin du livre, ce qui m’a obligé à utiliser deux signets. Mais, cela représente un désagrément bien mineur par rapport aux qualités de ce livre.

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